Pourquoi un médecin catholique ne peut pas recourir à l'euthanasie (26/09/2014)

Le 21 septembre, sur le site de La Croix, Isabelle de Gaulmyn faisait écho en des termes assez ambigus à la parution du livre de Corinne Van Oost ("Médecin et catholique, je pratique l'euthanasie"). Le Docteur Catherine Dopchie a réagi à cet article en ces termes : 

De quoi parle-t-on, en effet ?

En cette rentrée, c’est par des militants que l’euthanasie revient au-devant de la scène. La loi belge définit clairement le terme « euthanasie » et met le cadre. Elle l’a imposée au colloque singulier de la relation soignants-soignés. Faire un livre d’une pratique, un article d’une demande acceptée, n’a rien de neutre. Un médecin qui pose un acte d’euthanasie, même si à côté de cela il a une pratique en soins palliatifs, sort du cadre des soins palliatifs. Ces derniers, en effet, « n’entendent ni accélérer ni repousser la mort » (définition O.M.S.2002). Celui qui se dit catholique a rencontré Jésus. « Qui dit : «  Je le connais » , alors qu’il ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. » (1 Jn 2, 4). « Le droit à l’euthanasie » n’existe pas, même en Belgique, seul le droit à la demander est l’objet d’une loi de dépénalisation sous conditions pour le médecin qui accède à cet homicide.

Maintenir des clivages qui sont loin d’être simplistes.

Le courage n’est pas toujours où l’on croit. En étant confronté au quotidien à la souffrance globale de nos patients, en devant faire face à la demande d’euthanasie dans un pays qui l’a dépénalisée, la tentation euthanasique existe. Elle est parfois vive, violente, oppressante.

Nous avons, le Dr Van Oost et moi, commencé à travailler en soins palliatifs à la même époque. Nous avons appris, ensemble et avec nos équipes interdisciplinaires, à soulager les souffrances physiques et sommes devenus experts. Mais soulager la souffrance physique ne suffit pas. La souffrance humaine touche à toutes les dimensions de la personne. Nous sommes faits pour la plénitude de la vie. On voit combien aujourd’hui l’euthanasie est le remède proposé pour la souffrance de la perte de sens à vivre ou même de la perte du sens d’une vie. Nous avons dû apprendre à discerner où était notre juste place quand nous voulions offrir notre compétence à ceux qui souffrent au point de demander l’euthanasie avec insistance. 

La souffrance de la non maîtrise, souvent à l’origine de la demande d’euthanasie, atteint aussi la personne du médecin. Comment soulager l’autre dans cette souffrance si personnelle alors qu’il n’arrive plus à en avoir le désir ? Comment se respecter soi-même tout en respectant l’autre qui maintient sa demande d’euthanasie ? Comment continuer à se donner pleinement à celui qui souffre comme c’est notre vocation et éviter la compromission avec un acte que l’on juge mauvais, alors que l’on souhaite éviter un maximum d’euthanasies grâce aux soins palliatifs? Le piège était là. Devant le manque, l’être humain vit une vraie crise existentielle. L’attention que nous portons les uns aux autres dans la vie quotidienne ou dans la relation de soin, si elle est respectueuse, patiente, persévérante et espérante, nous porte. Mais nous ne pouvons sauver l’autre dans sa globalité. Un jour ou l’autre, le souffrant, comme l’aidant, doit affronter sa solitude face au manque. Celui qui souffre, s’il accueille la vie qui est en lui jusqu’au bout, garde la liberté de se tourner vers elle et la choisir.

Choisir la vie

Choisir la vie, c’est apprendre à entrer dans la profondeur de son esprit, s’ouvrir à la collaboration active avec l’Esprit de Vie qui habite le cœur profond, et avec Lui chercher comment traverser la souffrance, qui est unique à chacun comme chacun est unique. Tout au long de notre parcours terrestre, chaque victoire obtenue par la vie en nous sur la mort en nous, nous mène à une restructuration que nous vivons comme une résurrection de notre être profond. Nous apprenons à être en adéquation avec ce que nous sommes appelés à être, ce pour quoi nous sommes nés. Comment voulez-vous que cela se passe sans lutte, sans remous psychique ? Le mourir est une période très active de la vie de l’être humain. Ce temps douloureux permet parfois une telle unification des dimensions physiques, psychiques et spirituelles de la personne qu’il s’agit d’une vraie guérison intérieure. Par expérience, et non par idéologie, les soins palliatifs, croient en une «grâce qui rend capable venant d’au-delà de nous-mêmes.» (SAUNDERS, C. 1986). 

L’accompagnant, compatissant et impuissant

L’accompagnant ne peut souvent être que compatissant et impuissant. Témoin de ce combat, le soignant combat lui aussi pour apprendre à « être » au côté du soigné. Dans l’humble et dur combat spirituel qu’ils partagent, à des niveaux différents, souvent à travers la mort à une part d’eux-mêmes, soignant et soigné pourront peut-être retrouver du sens, et poursuivre leur chemin paisiblement malgré la souffrance et malgré la finitude. Le chrétien est responsable de son frère. Il sait que l’homme n’est jamais seul et qu’il n’est jamais abandonné par Dieu, pourtant il est invité à la compassion et à l’intercession. Il vit dans la communion mais sans fusion. Le chrétien se doit de lutter de toutes ses forces contre la souffrance, la sienne et celles des autres. Il n’aura pas peur de s’abandonner à la volonté du Père sur lui et sur celui qui lui est confié. Il saura petit à petit reconnaître ses émotions et les vivre à la lumière de l’Espérance, de la Foi et de la Charité. Le catholique croit en la Vérité révélée en Jésus et tend à ressembler à cet homme qui a parfaitement accompli la loi d’Amour venant de Dieu. Il sait qu’un acte qui met fin à la vie d’un de ses semblables est et sera toujours un acte intrinsèquement mauvais, quand bien même il serait posé avec de bonnes intentions et dans certaines circonstances particulaires. Il sait que Dieu ne commande pas de choses impossibles car Sa grâce agit dans nos faiblesses si nous la laissons agir.  » Ses commandements ne sont pas pesants (Jn 5, 3),  » Son joug est doux et son fardeau léger  » (Mt 11, 30).

Dès lors, il ne lui est « pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu’il en résulte un bien (Rm 3,8) (Paul VI, encyclique Humanae vitae n°14 et Jean-Paul II, encyclique Veritatis Splendor n°80). « Le Christ nous a rachetés ! Cela signifie : il nous a donné la possibilité de réaliser l’entière vérité de notre être » (Jean-Paul II, encyclique Veritatis Splendor n°103). « Cela se réalise par le don de l’Esprit Saint, Esprit de vérité, de liberté et d’amour : en Lui, il nous est donné d’intérioriser la Loi, de la percevoir et de la vivre comme le dynamisme de la vraie liberté personnelle : cette Loi est « la Loi parfaite de la liberté » (Jc 1, 25). » (Jean-Paul II, encyclique Veritatis Splendor n°83). Confrontées aux limites de l’accompagnement de celui qui souffre, animées du feu du désir d’être à la fois professionnellement compétentes au service du malade et humainement proches de lui, nous avons eu, Corinne et moi, comme tous ceux qui se mettent au service de ceux qui souffrent, à combattre la tentation de la toute-puissance. Pour persévérer dans un « oui » confiant à Dieu, il faut mourir au désir d’être le sauveur de l’autre. Corinne et moi n’avons pas choisi la même route. Il est de l’ordre du déni de croire que ces routes ne divergent pas. Choisir, c’est toujours renoncer. Pour le catholique, mais aussi pour d’autres, le clivage s’impose donc encore.

Priver de la vie.

Pallier, c’est reconnaître d’emblée qu’atténuer une souffrance faute de remède, n’a qu’une efficacité incomplète. L’euthanasie ne s’inscrit pas dans la philosophie des soins palliatifs. Utiliser l’élocution « aider à mourir » témoigne du besoin de s’anesthésier, du souci que l’on a à travailler pour croire que c’est la maladie qui tue le malade et non le médecin qui injecte les produits euthanasiants. La réponse du soignant qui est de continuer à aller voir régulièrement et fidèlement celui qui souffre jusqu’à son décès naturel malgré son impuissance est éminemment humaine. L’écoute charitable et vraie accepte ainsi la communion dans la différence. Nous sommes unis mais séparés. Se respecter dans des choix divergents jusqu’au bout n’est pas un abandon thérapeutique, même si les chemins se séparent. Ni le malade ni la société n’a à enfermer le soignant qui refuse de collaborer à un acte euthanasique dans un sentiment de culpabilité, à accepter un jugement qui le déprécie, le qualifiant d’incapable ou de dur, de sans cœur, ou l’accusant de se protéger plutôt que de protéger la personne malade, de le blâmer parce qu’il se retire. Seuls les paroles et les actes peuvent être jugés, pas les personnes. Tout soignant est particulièrement appelé à s’améliorer dans sa capacité à être présent à l’autre pour qu’il trouve en lui la force d’avancer en eaux profondes. Mais il n’est pas responsable de la souffrance et de son évacuation totale au prix de la vie humaine par un acte mortifère venant de l’extérieur, tout efficace qu’il soit sur la réalité immédiate. Le risque que prend le soignant en succombant à la tentation euthanasique est mortel. C’est évident pour celui qui est objet de l’acte, mais tout aussi vrai pour celui qui est poseur de l’acte. Exiger de la médecine qu’elle maîtrise toute souffrance, c’est réduire la médecine à une science qui résout des problèmes, au lieu de soutenir la personne qui vit les problèmes. Dire que la médecine est responsable de toujours savoir offrir à l’homme la santé définie comme un état de complet bien-être physique, mental et social, auquel chacun aurait droit, enferme dans une impasse le patient et le médecin quand ils se retrouvent dans une situation d’impuissance partagée. La souffrance doit bien sûr être combattue avec compétence et obstination, mais elle n’est pas le tout de l’homme. L’homme ne peut pas être réduit à sa souffrance, il est plus que cela. Le médecin ne peut pas être réduit à sa compétence, à sa fonction, il est plus que cela. Demander la mort et la donner lorsque la souffrance résiste, n’est ni un acte courageux ni un acte d’amour mais un acte de maîtrise et de fuite en avant. Le courage et l’amour ne mènent pas à la peur de souffrir ensemble, au repli sur soi, à l’instrumentalisation de l’autre. On ne peut impunément se prendre pour le créateur qui a à combler tous les besoins de l’être créé. On ne peut s’instrumentaliser pour répondre à la volonté de l’autre sans y perdre de son humanité. On ne peut perdre en humanité sans que cela rejaillisse sur l’humanité entière. Une histoire singulière, quand elle est humaine, ne touche jamais que les protagonistes de cette histoire particulière. L’impact ne s’arrête d’ailleurs pas dans la même temporalité mais est trans-générationnel. L’interdit du meurtre doit rester un principe fondateur de notre société et en particulier quand on touche aux plus vulnérables. L’efficacité d’une action qui vise le contrôle utopique de toute souffrance, même si c’est au prix de la vie humaine, n’est pas la voie qui défend le mieux notre humanité solidaire. Cherchons plutôt du côté de l’humble accueil de notre vulnérabilité et son intégration, les exemples sont nombreux des trésors inattendus qu’il permet de révéler.

Les « exceptions » survivent-elles à la loi ?

Transgresser la loi de vie, entrouvrir la porte revient à l’ouvrir toute grande. Ne nous laissons pas succomber au doute ni séduire par l’illusion d’une vie sans luttes. Luttons contre le spectre du séduisant mais déshumanisant cyborg. Gardons vive notre âme de chercheur, animés par le désir de collaborer à l’œuvre créatrice du monde réel. Traquons le kalon kakon, la Beauté cachée dans le Mal. On veut nous priver de notre capacité à réfléchir notre vie ensemble en nous présentant des histoires particulières qui nous émeuvent au point qu’elles font vaciller notre discernement. Ce qui est en jeu est notre manière de concevoir l’Homme. Concevoir l’homme digne comme celui qui se crée lui-même, celui qui décide pour lui-même qu’il est ce qu’il veut être, force le médecin à abandonner la finalité thérapeutique du prendre soin de l’Homme tel qu’il est, pour tendre vers une promesse d’amélioration des conditions humaines en fonction d’un idéal individuel. Le bien-être prend le pas sur la vie dans l’échelle des valeurs à défendre. L’Homme qui est pouvant être sacrifié au nom de la souffrance intolérable ressentie alors par la personne qui se sent indigne car n’étant plus celle qu’elle veut être. L’idéal individuel devient parfois une projection toute subjective détachée du réel, libérée de toute dépendance, de toute référence commune. Cet idéal individuel serait là pour faire de l’homme un homme augmenté dans ses choix ou ses capacités, un organisme cybernétique, soit disant purifié de toute réalité extérieure à lui et imposée par la nature, libéré de toute réalité objective contraignante en dehors de sa volonté.

Le médecin qui serait au service de cet homme-là, doit solutionner son problème s’il n’arrive pas à faire coïncider volonté et réalité objective. Cette recherche effrénée d’une toute maîtrise, qui nie la finitude inscrite dans l’Homme, qui nie l’Homme dans sa réalité concrète de créature en lien avec une transcendance, quelle qu’elle soit, est désespérante, car elle ne peut que sacrifier l’Homme fragilisé en faveur d’une image idéalisée et abstraite. Comment encore accompagner cet homme si la loi, qui était là pour défendre le vulnérable, devient de plus en plus normative, avec pour but d’améliorer la condition humaine selon ce que chaque individu désire, de manière déconnectée du réel ? Si la loi lui donne le droit de demander à être tué quand il ne correspond plus à l’idéal qu’il s’est fixé? 

La peur, qui enferme loin de la source intérieure ceux qui veulent se créer eux-mêmes comme forts et indépendants, est mauvaise conseillère. La peur d’être non conforme à notre projection devenant notre moteur en lieu et place du désir profond d’être unifié en nous-mêmes et avec les autres risque de nous isoler de plus en plus. Pour dépasser cette souffrance, elle n’offre que l’illusion d’une liberté qui pour s’exercer doit annihiler l’homme qui croit vivre cette fausse liberté et l’exalter. Alors, l’euthanasie n’est plus un échec, bien au contraire. Elle libère l’homme de souffrances inutiles et lui donne de vivre plus pleinement sa vie, se laissant guider par ses seuls choix et fort de pouvoir décider quand et où elle s’arrêtera car il n’en voudra plus. L’euthanasie devient un acte neutre, uniquement dicté par le cadre d’une loi qui n’est plus qu’individualiste.


Au cœur de cette société, l’homme qui a failli n’a pas de valeur. Il est regardé comme un homme sans avenir, irrécupérable, indigne de soutien. Comment pourrait-il encore trouver en lui, isolé qu’il est, le chemin vers la résurrection? On applaudira le fait qu’il reconnaisse que sa vie n’a pas de prix. Dépêchons nous de nous mobiliser pour bien vivre, vivre pleinement, cela nous permettrait peut-être de mieux mourir.

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