Une Eglise qui ne juge plus (16/12/2014)

Dans la Nuova Bussola Quotidiana, l’archevêque de Ferrare (Italie), Mgr Negri appelle l’Eglise à se ressaisir. La traduction de son message se trouve sur le site de notre consoeur de « Benoît et moi". Extraits : 

« […] Le scandale de la situation actuelle de l'Eglise - et j'utilise délibérément le mot «scandale» - c'est que l'Église a été jetée en pâture à la presse. L'Eglise est un instrument manipulable et manipulé par la presse, une presse qui en Italie (et ailleurs! ) est à 90% d'empreinte laïciste et anti-catholique. Nous en sommes donc au paradoxe que la mentalité laïciste est maîtresse dans notre propre maison, prétendant décider qui sont les vrais orthodoxes et qui sont les hétérodoxes, quelle est la position correcte et quelle est la position du Saint-Père, pour qu'ensuite chacun prétende, ou se vante d'un crédit auprès du Saint-Père. Et donc, nous assistons impuissants à une manipulation qui est avilissante, c'est-à-dire qu'elle avilit la foi de notre peuple. Parce que nos gens ont une expérience de foi réelle et personnelle qui n'a rien à voir avec le plan d'Eugenio Scalfari et d'autres.

Ceux-ci peuvent être des outils qui indiquent une position, mais le dialogue - comme l'a dit à plusieurs reprises Benoît XVI au Synode sur l'évangélisation - est l'expression d'une identité forte. Forte non pas de moyens, mais forte de raisons. S'il y a une identité forte, il est inévitable que cette identité, en prenant position, rencontre des hommes, des situations, des conditions, des problèmes, des difficultés; donc entre en dialogue avec ceux qui ont une autre position. Mais s'il n'y a pas d'identité, le dialogue est une illusion. Le dialogue est la conséquence d'une identité, il ne peut pas être l'objectif. L'objectif est l'évangélisation.

C'est un moment bien défini par cette déclaration de Paul VI à Jean Guitton , quelques mois avant sa mort: «À l'intérieur du catholicisme semble prédominer parfois une pensée de type non-catholique, et il peut arriver que cette pensée non-catholique au sein du catholicisme devienne demain la plus forte. Mais elle ne représentera jamais la pensée de l'Église. Il faut que subsiste un petit troupeau, aussi petit qu'il soit». C'est une déclaration qui requiert d'assumer un critère de jugement auquel fait suite un comportement.

[…] Qu'est-ce que la crise actuelle de la chrétienté (et par chrétienté, on doit entendre une expérience de peuple chrétien jouant son identité à ce moment de l'histoire)?  Dans la période qui s'étend aux deux pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI, l'Eglise était une réalité qui jugeait, et agissait en conséquence. Et ainsi, elle donnait sa contribution, majoritaire ou minoritaire peu importe, elle donnait sa contribution pour favoriser la lecture de la situation et une ligne de développement adéquate au moins celle que l'on pouvait penser adéquate. Ce n'était pas un jugement abstrait, idéologique, c'était la tentative d'investir la situation d'une certitude du jugement qui naissait de la certitude de la foi.

Comme l'a dit George Weigel, à Jean-Paul II a été donnée la fortune de changer le cours de l'histoire. Jean-Paul II en vertu de sa seule foi, et de son extraordinaire capacité à revivre toute la grande expérience ecclésiale de la Pologne et en elle la grande expérience du catholicisme, a montré que le communisme n'était pas invincible. Même la chrétienté, jusqu'à l'époque de Jean-Paul II, agissait, écrasée par un terrible hypothèse: qu'ils allaient de toute façon gagner. Et étant déjà écrit que c'étaient eux qui allaient gagner - par la puissance politique, économique, militaire - il s'agissait de sauver ce qui était sauvable. Cette expression revint en permanence dans certains milieux de la chrétienté italienne et détermina des choix de type ecclésial, comme la soi-disant Ostpolitik, menée sur le fil du «sauver ce qui était sauvable». 

Le magistère de Jean-Paul II et Benoît XVI a donné au christianisme le sens d'une unité réelle, et d'un jugement, et de la nécessité du jugement.

Sur cela, aujourd'hui, il y a une crise. Elle n'est pas niable: aujourd'hui la chrétienté semble ne plus être en mesure de porter des jugements pertinents, mais je dirais plus. Certains secteurs de la chrétienté disent que ce n'est pas absolument nécessaire de porter des jugements, et même que la formulation de jugements représenterait quelque chose de pathologique, car elle mettrait en crise la radicalité et la pureté de la foi, la souillant avec des circonstances de caractères historique et donc contingentes.

Cela signifie que l'idéal est une Eglise sans capacité de jugement, une Église réduite de façon individualiste à certaines pratiques spirituelles, certaines émotions individuelles ou une certaine pratique caritativo-sociale. Ce sont les choses contre lesquelles Benoît XVI met en garde l'Eglise au début de son encyclique Deus caritas est, quand il dit que le christianisme n'est ni une série de pratiques spirituelles, ni des sentiments, ni un projet à caractère caritativo-social, mais c'est un rencontre avec une personne, le suivre Lui, changer de vie en Lui, communiquer cette vie nouvelle aux hommes.

[…] Une certaine chrétienté qui a mûri son propre chemin de foi, ne doit pas accepter une relecture partielle ou falsifiée de l'histoire de la chrétienté italienne. Qui n'est pas l'histoire de gens refusant accepter le fait de n'avoir plus aucune hégémonie et qui pour retrouver cette hégémonie ont mené la bataille sur le divorce, l'avortement et d'autres. Batailles inutiles - dit-on - car elles seraient certainement perdues. En réalité, pour plus d'une génération, ce furent des batailles pour la foi, pour la maturité de la foi. Défaite ou victoire, c'était pareil dans le sens où elles ont permis à tous la maturation de la foi. 

La crise de l'Eglise n'est pas une crise ponctuelle, c'est une grande crise. Mais on n'a pas besoin d'une analyse qui cherche à établir les responsabilités. L'Église est à Dieu, l'Église ne disparaît pas, la modalité selon laquelle Dieu conduit son Eglise dépasse nos capacités. Mais nous avons la tâche de faire une véritable expérience d'Eglise, dans le chemin que la Providence nous a fait rencontrer. Faisons ce que Dieu nous a demandé de faire et alors Dieu prendra ce que nous faisons et lui donnera le poids. Les modes et les temps, c'est lui qui les choisit, à nous revient la clarté de notre position, qui vient de la loyauté avec notre conscience et notre histoire, et de cette capacité de compagnie qui, si nous la réalisons dans la pratique de notre condition, rend le chemin moins ardu […]"

Ref. LA CRISE DE L'EGLISE, LE BESOIN DE SAINTETÉ

JPSC

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