Radicalisation : qui donne le mauvais exemple à qui ? (18/01/2015)

Lu sur le site web de « La libre », cette opinion de Jacques Liesenborghs, ancien enseignant général, technique, professionnel et supérieur pédagogique :

« Après l’indignation devant l’inqualifiable, après la surenchère médiatique, après l’émotion et le sursaut populaires, l’heure est venue de chercher plus activement des remèdes à la radicalisation de centaines de jeunes en déshérence. Je laisse à d’autres plus compétents l’analyse des mesures sécuritaires envisagées. Parlons un peu éducation.

“Ils l’ont bien cherché !”

Expression qu’on a souvent entendue ces derniers jours et pas seulement dans la bouche de jeunes musulmans. Beaucoup de citoyens “bleu-blanc-belge” pensent et, petit à petit, osent dire la même chose ! Le travail à faire autour de la fameuse “liberté d’expression” (et de ses limites ?) est donc colossal et il concerne l’ensemble de la société.

Pour ma part, je partage avec tant d’autres la formule de Voltaire : “Je n’aime pas ce qu’ils disent, mais je me battrai pour qu’ils puissent le dire”. Mais ce n’est pas facile à expliquer et à faire entendre quand on se trouve par exemple avec une bande d’ados et qu’un fort en gueule proclame : “Ils le méritaient et votre minute de silence, je ne la respecterai pas” (traduction polie).

Des cours de citoyenneté ?

Certains politiques sont rapidement montés au créneau pour “vendre” leur solution : des cours de citoyenneté. Encore des cours en plus. Les programmes seraient-ils à ce point cadenassés ? On ne pourrait donc pas faire l’indispensable travail de formation citoyenne dans les cours d’histoire, de géographie, de français, de langues modernes, de sciences… ? Il me semble que tout enseignant devrait avoir pour mission de s’en préoccuper et de faire découvrir la dimension citoyenne de la plupart des sujets abordés en classe. Ou encore d’organiser des projets interdisciplinaires avec des collègues et, pourquoi pas, des élèves actifs. Et donc de favoriser la liberté d’expression le plus souvent possible. Toute école devrait faire le point. Qui fait quoi en la matière ? Quelles initiatives nouvelles prendre ? Avec quels partenaires ?

Au quotidien

 

Mais cela ne suffit pas. Pour moi, l’essentiel d’une éducation citoyenne passe par le vécu quotidien. A côté de la transmission des savoirs, l’école a une mission de socialisation et d’émancipation qui requiert du temps, beaucoup de temps. Bien plus que dans des cours supplémentaires (qui n’auront pas plus de succès que les autres), il faudrait consacrer beaucoup d’énergie et d’attention à tout ce qui, dans la vie quotidienne des élèves, relève de la citoyenneté. A commencer par les règlements, les procédures disciplinaires, les sanctions et leurs liens avec les principes de base de nos démocraties (par exemple : “Nul n’est juge et partie”). Découvrir le sens de la loi (qui protège d’abord le faible) dans la classe, à la cantine, dans la cour de récréation, etc. En débattre, l’améliorer, l’amender.

Dès l’école maternelle, et tout au long de la scolarité, on devrait s’arrêter à tous les incidents qui heurtent, blessent les uns ou les autres. En parler, prendre du recul, écouter tous les points de vue, toutes les justifications bonnes ou mauvaises. Instaurer des rites, respecter des procédures qui ont du sens pour les élèves, qui libèrent et émancipent. Pour la liberté d’expression, rien de tel par exemple que le journal d’école qui soulève tous les problèmes sensibles (censure, respect, sources, etc.).

Au-delà des belles théories, une recherche patiente de cohérence et de sens dans la vie quotidienne. Il ne s’agit évidemment pas de faire la morale à tout bout de champ. Mais de mettre en place des institutions où les élèves sont acteurs, voire même juges quand il le faut. Des procédures de médiation, de conciliation, de réparation ou de sanction qui ont du sens. En s’inspirant de Dolto, de Freinet, de la pédagogie institutionnelle. Sans oublier ce qui est au cœur de la “radicalisation” de certains jeunes : l’échec, l’humiliation à répétition, le sentiment d’être rejeté. Le manque de coopération entre élèves, le manque d’attention à leurs difficultés, le sentiment que l’école n’a pas tout fait pour les aider à sortir des ornières. Et les a même parfois enfoncés !

Quelles finalités ?

Ce travail éducatif doit être inscrit au premier rang dans les finalités de l’école. En conséquence, il faudra lui donner les moyens de le réaliser. Cela passera en premier lieu par une formation des enseignants et de tout le personnel (directeurs, éducateurs, etc.) dans ce sens. Cela passera aussi par un allègement de la pression des directions, inspections, parents trop préoccupés par l’avancement dans les programmes d’ailleurs trop chargés. Cela passera par des projets d’établissement où la qualité du vivre ensemble est vérifiée avec autant de vigilance que le “niveau des études”.

A force de pressions utilitaristes, de recherche de l’efficacité et de la performance, de pratiques compétitives, nous avons petit à petit sacrifié le vivre ensemble. Des horaires qui ne permettent ni aux élèves, ni aux éducateurs de souffler, des ambiances de cantine qui désapprennent à respecter la nourriture et les voisins, la disparition d’un éventail d’activités créatives et ludiques, etc.

C’est donc bien plus sur la citoyenneté au quotidien qu’il faut miser. Et ça ne coûte pas cher ! Sinon en temps à y consacrer. Mais cela demande une vigilance permanente et parfois des changements de pratiques, voire de mentalité.

L’école a certainement une responsabilité importante dans l’éducation à la citoyenneté. Mais la famille aussi. Et pèsent encore plus lourdement dans la balance les conditions de logement, la misère dans certains quartiers, le chômage de nombreux parents, le culte de l’argent-roi et l’absence de perspectives d’avenir. Ce serait trop facile et bien trop simple de tout attendre de l’école. »

 Réf. Radicalisation : la faute à l’école ?

JPSC

16:54 | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer |