Ou va la réforme de la Curie ? (14/02/2015)
De Matteo Matzuzzi, dans Il Foglio (13/2/2015), traduit par "Benoît-et-moi" :
LE GRAND DÉBAT ENTRE CEUX QUI VOUDRAIENT DONNER TOUT LE POUVOIR AUX ÉGLISES LOCALES (COMME LE PAPE, ET BEAUCOUP D’AUTRES L’AIMERAIENT) ET CEUX QUI CRAIGNENT LE GRAND CHAOS.
Voici pourquoi, après deux ans, il n'existe pas encore un projet de la grande réforme de la Curie.
Ce qui est sûr est que, avant de voir rédigée noir sur blanc la réforme de la curie romaine, un autre Noël va passer (et même peut-être un autre Carême). C'est ce qu'a laissé entendre le Père Lombardi, directeur de la Salle de presse vaticane, à l'issue d'une matinée de débats consistoriaux dans la Salle nouvelle (Aula nuova) du Synode (160 présents sur 227; 25 ont envoyé une lettre pour justifier l'absence, a précisé le doyen Angelo Sodano): "Ce n'est pas comme si nous étions dans des horizons de finalisations imminentes de ce document. Il doit être mûri, très bien étudié, aussi du point de vue théologique et canonique, bien finalisé dans tous ses détails. Les temps sont donc assez consistants, assez longs". Aussi parce que le document tant attendu, le projet, la proposition finale qui devrait révolutionner la gouvernance vaticane, conformément à la demande formulée haut et fort par les cardinaux lors des congrégations générales du pré-Conclave, n'existe pas.
Hier matin, le cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, coordinateur du conseil de la couronne qui assiste le Pape dans le gouvernement de l'Eglise universelle et étudie la nouvelle constitution apostolique, s'est limité à illustrer le travail accompli par les neuf cardinaux en presque deux ans de travaux. C'est le secrétaire de cet organisme, Mgr Marcello Semeraro, qui a esquissé les bases théologiques et ecclésiologiques qui sous-tendent le projet auquel ils sont attelés.
Au stade actuel, les deux uniques nouveautés sont celles qu'on connaît depuis quelque temps déjà: l'institution d'une congrégation rassemblant charité, justice et paix (mais les eminentissimi ne sont pas d'accord non plus entre eux sur le fait de donner la préséance à la charité plutôt qu'à la justice dans la définition du nouvel organisme) et une deuxième englobant laïques, famille et vie (où par vie il faut entendre l'Académie pour la vie).
Une place de choix sera réservée à l'écologie, à qui sera très probablement consacré un bureau ad hoc.
Rien n'a été dit en revanche au sujet de la proposition du cardinal Gianfranco Ravasi de créer un maxi-dicastère rassemblant culture, bibliothèque, archive, éducation catholique, musées, Académie des sciences sociales et même l'Observatoire astronomique.
Depuis le tout début, l'objet véritable de la discorde est apparu: la possible dévolution de pouvoirs et compétences de la curie romaine aux conférences épiscopales nationales. Voilà le terrain sur quoi se joue le match clé, qui va bien au-delà du simple "restyling" de la structure du gouvernement du Vatican.
Il n'y a là rien de nouveau: il s'agit de la re-proposition de la confrontation fraternelle entre les cardinaux Joseph Ratzinger et Walter Kasper concernant le poids et le rôle des églises particulières (nationales), le second réclamant une réforme mettant en place "un gouvernement horizontal de l'Eglise afin de sortir des marais (*) du centralisme romain".
Le Cardinal Préfet de la Doctrine de la Foi, Gerhard Ludwig Müller, avait mis cette question au centre de son intervention publiée il y a quelques jours dans l'Osservatore Romano: "Favoriser une juste décentralisation ne signifie pas qu'aux conférences épiscopales soit attribué davantage de pouvoir, mais simplement qu'elles exercent l'authentique responsabilité qui leur est propre, sur la base du pouvoir épiscopal de magistère et de gouvernement qui revient à leurs membres, et en restant évidemment toujours en union avec la primauté du Pape et de l'Eglise romaine". Une réponse indirecte aux secteurs (nombreux) de l'ecclesia universa qui - pour utiliser les mots du cardinal Reinhardt Marx - "sentent souffler "de l'air frais" et sont prêts à faire "un tas (un sacco) (sic!!) de travail théologique", même s'ils jurent ne pas avoir l'intention de "créer une nouvelle église".
Pour éviter tout malentendu, le père Lombardi a mis en évidence que même les nuances lexicales ont pris part au débat consistorial, entre ceux qui souhaitent une curie plus "synodale" et ceux qui souhaitent qu'elle soit plutôt plus "collégiale" - Müller réaffirmait que "l'église universelle ne naît pas de la somme des églises particulières, ni les églises particulières ne sont de simples succursales de l'église universelle" et que, quoi qu'il en soit, "la primauté est liée pour toujours à l'église de Rome" et "le Pape n'exerce la primauté qu'en communion avec l'église romaine". Des concepts qui ont tous été réaffirmés dans la Salle par le cardinal préfet de ce qui fut le Saint Office, et qui a été parmi les premiers à prendre la parole (il n'y en a eu que douze dans la matinée), mettant en garde sur le risque de transférer des compétences du domaine doctrinal aux églises particulières. Le risque serait, a-t-il laissé entendre, celui d'un grand chaos.
Le problème est que l'ouverture à ce transfert avait été faite par le Pape en personne dans l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium, promulguée à l'automne 2013. Déjà dans le premier chapitre François écrivait que:
"la papauté et les structures centrales de l'église universelle doivent elles aussi écouter l'appel à une conversion pastorale. Le Concile Vatican II a en effet affirmé que, de même que les anciennes églises patriarcales, les conférences épiscopales peuvent apporter une contribution multiple et féconde afin que le sens de la collégialité se réalise concrètement. Mais ce souhait ne s'est pas encore pleinement réalisé, parce qu’un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme des sujets d'attributions concrètes, y intégrant aussi une authentique autorité doctrinaire, n'a pas encore été suffisamment explicité. Au lieux de l'aider, une centralisation excessive complique la vie de l'église et sa dynamique missionnaire".
Voilà ce qu'écrivait François en ce qu'il a lui-même qualifié, dans l'introduction, comme le texte fondamental de son pontificat:
"Je souligne que ce que j'entends ici exprimer a une signification programmatique et aux conséquences importantes. Je souhaite que toutes les communautés veillent à mettre en acte les moyens nécessaires pour avancer dans le chemin d'une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut pas laisser les choses comme elle le sont".
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NDT (*) Les "secche" sont les endroits des fleuves ou dans la mer où il n'y a pas assez d'eau pour naviguer proprement ou bien on s'y enlise.
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Commentaires
Est-ce qu’un fleuve remonte jamais à sa source ? C’était au XVIe siècle l’illusion des « réformateurs », dont les dérives de toutes sortes ont suscité le concile de Trente. L’Eglise d’aujourd’hui, fragilisée de l’extérieur comme de l’intérieur par la mentalité postmoderne, a surtout besoin de cohérence.
Écrit par : JPSC | 14/02/2015