Comment énumérer les raisons pour lesquelles ce passage ne pourrait plus être écrit de nos jours, ou ne pourrait plus être compris par nombre de diplômés d’université ? Un petit nombre de gens, depuis le film impressionnant d’imagination sur la bataille en question, pourrait reconnaître les noms Thermopyles et Léonidas, mais combien d’entre eux seraient capables de nommer les enjeux, les belligérants, ou ce que signifiait cette bataille pour l’Occident et la race humaine ? Pas une personne sur mille ne saurait trouver du sens là dedans.
Quand un journaliste du Washington Post ressent le besoin de définir la Via Dolorosa [3], il le fait de travers, la renomme Via Della Rosa, comme si c’était une route italienne de la rose, pour dire ensuite que les mots sont français – je pense qu’on peut sans crainte supposer que même « le trône du pécheur » l’embrouillerait, pour ne rien dire de la confrontation sous la neige au château de Canossa.
Mais à part l’intérêt pour la connaissance historique, qui se soucierait de chevalerie, ou de l’épisode d’un courageux saint moine luttant contre un empereur ? Qui ferait autre chose que ricaner à l’évocation de l’excommunication prononcée contre Henry IV ? Qui aurait envie de voir l’Église victorieuse dans son combat pour la liberté plutôt qu’avoir ses évêques plongés dans les mondanités ? Qui pourrait même écrire des phrases dans la veine épique que mérite Grégoire VII, l’inflexible réformateur ?
Il y a une raison qui n’a rien à voir avec ceux qui écrivent ou avec ceux qui lisent. Le cardinal Mercier n’a jamais cédé, n’a jamais trahi la Belgique au profit des chefs allemands. Il a informé ses compatriotes que « la seule autorité légale dans notre pays est celle de notre roi, de notre gouvernement, des représentants élus de notre nation... Par conséquent, les actes d’administration publique de l’envahisseur n’ont aucune autorité », mis à part ceux que les véritables autorités pourraient tacitement admettre en vue du bien commun.
« Les provinces occupées, a-t-il dit, ne sont pas des provinces conquises. La Belgique n’est pas plus une province allemande que la Galice n’est une province russe. » Par le traité de Londres, dont Mercier a lu les termes à haute voix devant les cyniques chefs d’États européens, la Belgique était destinée à former « un État perpétuellement neutre », et cela signifiait également ne pas donner licence aux Allemands d’attaquer à travers la Belgique pour envahir la France. « La Belgique n’est pas une route » avait déclaré le roi Albert.
Puis vinrent les atrocités, que le cardinal n’a cessé de dénoncer : ce qui avait été fait, quand, où, et à qui. Pour son propre peuple, il était un monument de solidité et un pourvoyeur infatigable de la meilleure consolation, celle que le monde ne peut comprendre. Il n’y avait rien de mesquin ou d’hésitant chez Mercier. En lui-même, il criait : « Pourquoi toute cette désolation, mon Dieu ? »
Et alors il « élevait les cœurs d’un peuple profondément catholique vers la croix qu’ils connaissaient si bien. » Voici ses propres mots :
« Le chrétien est le serviteur d’un Dieu qui est devenu homme en vue de souffrir et de mourir. Se rebeller contre la souffrance, se révolter contre la Providence parce qu’elle permet le chagrin et le deuil, c’est oublier d’où nous venons, l’école où nous devons apprendre, l’exemple que chacun de nous porte gravé dans le nom de chrétien, que chacun de nous honore dans son foyer, contemple à l’autel où il prie et dont il désire que sa tombe, le lieu de son dernier sommeil, porte le signe. »
Qui parle de la sorte de nos jours ? Mercier était un géant parmi les hommes, mesurant plus d’un mètre quatre vingt cinq, mais il était bien plus grand par l’intelligence, la sagesse, le courage et la fidélité. L’auteur dit qu’il aimait davantage la Belgique « avec la couronne d’épines sur le front que durant les jours de sa splendeur... Il a été le bon berger de son troupeau, le gardien de son peuple, le fidèle serviteur de son roi. »
Et maintenant comme alors, mais dans des maux aussi désespérément absurdes et méprisables qu’ils sont envahissants, le diable rôde à travers le monde comme un lion en chasse, cherchant qui dévorer. Le choix, maintenant comme alors, n’est pas entre un compromis ou un autre, mais entre un lion et un autre. Demandez à Léoninus, ou à l’éminent pasteur de Malines.
Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il enseigne à Providence College.
Illustration : portrait du cardinal Mercier, héros de la Belgique, par un artiste inconnu.
Source : http://www.thecatholicthing.org/201...