Moyen-Orient : la barbarie n’est pas l’apanage de Daesch (24/09/2015)

Dans le « Figaro », l’abbé Pierre-Hervé Grosjean adresse cette « Lettre ouverte » aux autorités françaises :

XVM8d5b38dc-61dc-11e5-ab2a-75954d224542.jpg« Il a 21 ans. Demain, si rien n'est fait, il sera décapité, puis son corps sera exposé crucifié, «jusqu'au pourrissement». Par les barbares de Daech? Non. Par un de nos alliés. Un de nos partenaires commerciaux les plus importants. Un de nos «pays amis» que nos présidents successifs visitent souvent. Par l'Arabie saoudite.

Quel est le crime d'Ali Mohammed al-Nimr? Il est chiite. Il est le neveu d'un opposant célèbre au régime. Il a manifesté contre ce régime une fois, en 2012. Il n'avait que 17 ans. Il a été arrêté, torturé. Sous la torture, ce gosse a avoué détenir des armes. Il n'a pas eu le droit de communiquer avec son avocat. Son dernier recours a été rejeté. La sentence peut être exécutée à partir de ce jeudi. Même si ce jeune était coupable de ce que le régime lui reproche, comment supporter l'horreur de la peine décidée?

Nous nous sommes mobilisés pour Asia Bibi, chrétienne, jeune mère de famille condamnée à mort pour blasphème au Pakistan. Nous avons dit notre horreur face aux crimes de Daech, visant tour à tour chrétiens, yézidis, chiites ou encore personnes homosexuelles. Nous avons alerté le monde sur le drame des chrétiens d'Orient. Comment pourrions-nous nous taire aujourd'hui? La France, pays des droits de l'homme, peut-elle continuer à tenir ce silence ahurissant vis à vis des crimes du régime saoudien?

Car au delà du sort d'Ali Mohammed, c'est la situation des droits de l'homme en Arabie saoudite qui se révèle une fois de plus dramatique et la question de notre complaisance qui se pose.

Nos dirigeants se sont fait les défenseurs de la démocratie et des droits de l'homme contre Poutine, Saddam et Bachar… Pourquoi cette complaisance qui dure vis à vis de l'Arabie saoudite? Complaisance qui vire à la complicité, quand elle amène à se taire devant ces atrocités. Je ne suis pas un «spécialiste» de géostratégie ni de la raison d'Etat. J'imagine bien que «c'est compliqué» comme nous le diront les diplomates. Que la situation est «complexe». Que des «intérêts colossaux» sont en jeu. J'entends tout cela. Je remarque simplement, comme beaucoup de Français, que le deux poids deux mesures apparent est de plus en plus difficile à justifier, quand un tel «allié» rivalise avec Daech dans l'horreur. Alors je veux qu'on m'explique ce qui peut bien justifier qu'on se taise. Quels intérêt stratégique ou économique majeur impose que la France jette un voile pudique sur des crimes qu'elle dénonce ailleurs.

Le scandale éclate d'autant plus au grand jour quand on apprend que l'Arabie saoudite vient de prendre la tête du panel du Conseil des droits de l'homme, une instance stratégique de ce Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Comment peut-on supporter cela? C'est donc désormais un diplomate saoudien qui est à la tête du groupe qui doit choisir les experts chargés d'observer et rapporter les atteintes aux droits de l'homme dans le monde! Le discrédit est total. C'est une gifle terrible pour tous ceux qui souffrent de ces crimes.

L'Arabie saoudite ne reconnaît aucune liberté religieuse sur son sol, mais finance des mosquées partout dans le monde. L'Arabie saoudite est un des régimes les plus répressifs pour les opposants politiques. La condition des femmes, des minorités religieuses, des travailleurs immigrés est dramatique. Les décapitations et autres exécutions publiques se comptent par dizaines depuis le début de l'année. Sans parler du rôle trouble quant au financement des groupes radicaux. Et le monde occidental baisse les yeux, pudiquement.

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères, toutes les raisons d'Etat, tous les intérêts économiques et financiers en jeu, ne suffiront pas à faire oublier que demain, un jeune de 21 ans sera décapité et crucifié par un de nos pays «alliés». Pour sa religion. Pour ses opinions. S'il vous plaît, parlez d'Ali Mohammed al-Nimr comme vous avez parlé d'Asia Bibi, et de tant d'autres.

Ref. M. le Président, empêchez la décapitation et la crucifixion du jeune Ali par l'Arabie saoudite

L‘abbé Pierre-Hervé Grosjean, curé de Saint Cyr l'Ecole, est Secrétaire Général de la Commission «Ethique et Politique» du Diocèse de Versailles. Il a récement publié Aimer en vérité(Artège, 2014). Il est l'un des animateurs du Padreblog

JPSC

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