Thérèse de Lisieux : une sainteté acquise à travers l'épreuve (1er octobre) (01/10/2023)

Therese1896.jpgUne réflexion parue sur missel.free.fr :

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus souffre, si l’on peut dire, d’une iconographie mièvre, propre à l’époque où son culte se développa, et beaucoup, s’arrêtant là, se refusent à faire plus ample connaissance avec elle et, ce faisant, abusés par un vocabulaire obsolète, d’en obtenir des lumières bien nécessaires à leur vie spirituelle. Or, la vie toute entière de cette carmélite que Seigneur dispensa de vieillesse, conjugue la ravissante image de l’Enfant Jésus et la douloureuse figure de la Sainte Face. Devant ces représentations affectées, sous des flots de couleurs doucereuses et des torrents de roses, beaucoup oublieront qu’elle gagna la sainteté par la souffrance, un souffrance insoupçonnée, une souffrance héroïque, telle que le Seigneur la réclame : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. »

Certes, la piété populaire ne se trompe pas qui voit en Thérèse de l’Enfant Jésus une sainte aimable, sympathique et attirante, toute de grâce et de paix. Nul ne doute qu’elle a pris le bon Dieu par ses caresses et qu’elle a conquis les âmes par le rayonnement de sa simplicité. Dans sa mission singulière qui entend convaincre nos consciences que la véritable paix et le bonheur durable ne sont que dans la fidélité à Dieu, pour nous monter que la sainteté n’est ni impossible ni renfrognée, elle nous présente assurément le visage de la joie douce. Recourant au patronage de saint François de Sales, elle écrivit souvent, sur ses cahiers d’écolière : « Un saint triste et un triste saint » ; elle se refusait d’imiter les saints qui « étaient sérieux même en récréation » et, dans cet exercice, elle ne manquait jamais de réjouir le cloître de sa jeunesse, de ses réparties et de sa gaîté au point que, lorsque c’était son tour de vaisselle, les autres carmélites disaient à regret : « Alors, nous n’allons pas rire aujourd’hui. »

Or, cette joie, loin d’être une antithèse de la souffrance, se conjuguait avec elle, selon l’exemple qu’elle avait trouvé dans la vie du futur martyr Théophane Vénard[7] dont elle écrivit : « C’est une âme qui me plaît, parce qu’il a beaucoup souffert et qu’il était gai toujours. » Derrière la clôture du Carmel, elle est sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, par la joie, le sourire, l’épanouissement de paix et de bonheur parce qu’elle sainte Thérèse de la Sainte Face, par sa souffrance, ses épreuves, son acceptation et son offertoire. Son doux sourire épanoui et sa joyeuse vie ensoleillant, n’est pas seulement l’effet d’un bon naturel ou d’un heureux caractère, voire d’un optimisme à toute épreuve, comme si son tempérament l’avait insensibilisée à toutes les souffrances de la vie et à tous les renoncements de la vie religieuse.

Si vive et si expansive que nous apparaisse l’enfant des Buissonnets, nous savons que, jeune fille, elle était devenue timide et sensible à l’excès au point de devoir se cramponner à la rampe de l’escalier avant d’aborder sa supérieure.  Cette sainteté souriante ne s’est pas épanouie sur sa nature mais, au contraire, a dû contrecarrer cette nature, ce qui lui fit dire : Quelle paix inonde l’âme, lorsqu’elle s’élève au-dessus des sentiments de la nature! 

Outre la froideur de sa Supérieure et les déconvenues, Thérèse de l’Enfant Jésus eut à souffrir de la sensation de l’abandon de Dieu[8] ; elle connut de terribles tentations contre la foi, traversant un tunnel « noir à en étouffer et, cependant, elle chantait : Mon ciel c’est de sourire à ce Dieu que j’adore, lorsqu’il veut se cacher pour éprouver ma foi, sourire en attendant qu’il me regarde encore. » Pendant sa dernière maladie, à une religieuse qui lui dit qu’elle n’a jamais beaucoup souffert, elle répond en lui montrant un verre plein d’une potion rouge : « Voyez ce verre, on le croirait plein d’une liqueur délicieuse ; en réalité je ne prends rien de plus amer. Eh bien, c’est l’image de ma vie ; aux yeux des autres elle a revêtu toujours les plus riantes couleurs ; il leur a semblé que je buvais une liqueur exquise et c’était l’amertume. »

Au récit des mortifications héroïques, comme nous nous décourageons d’atteindre de telles hauteurs et que la sainteté nous semble un royaume réservé à quelques privilégiés[9], il faut nous tourner vers sainte Thérèse, la laissant nous instruire que la sainteté est possible à tous pour peu qu’elle reste l’enjeu de l’effort soutenu par la grâce divine. C’est la « Petite voie. » Pour la suivre, il nous faut d’abord considérer ce que nous sommes vraiment, sans nous  satisfaire de notre médiocrité et sans abaisser la hauteur du but ; ce faisant, regardant de si bas un but si haut, concevoir que, comme « le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté. » Incapable d’arriver par soi-même à la sainteté, l’âme se remet entièrement aux « bras de Jésus » et, soucieuse de bien faire ce qu’elle doit faire dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre temporel, elle accepte de passer là où Jésus l’entraîne : aimables grâces ou terribles tentations, sécheresse du cœur ou pieuse exaltation. Quoi qu’il lui arrive, l’âme voit en toute choses la manifestation de la volonté divine qui l’emmène vers les sommets de la sainteté et s’efforce de recevoir les dispositions de l’amour fait d’acquiescement, de docilité, de confiance et d’humilité.


[7] Missionnaire français, né à Poitiers (21 novembre 1829),  martyrisé en Annam (au nord du Viet-Nam), le 15 février 1861.

[8] Quand je ne sens rien, quand je suis incapable de prier, de pratiquer la vertu, c’est alors le moment de chercher de petites occasions, des riens qui font plus de plaisir à Jésus que l’empire du monde, ou même que le martyre souffert généreusement. Par exemple, un sourire, une parole aimable, alors que j’aurais envie de rien dire ou d’avoir l’air ennuyé. Ce nest pas pour faire ma couronne, pour gagner des mérites, c’est afin de faire plaisir à Jésus. Quand les mots défaillent, il nous reste la prière par les actes. Nous ne parlons plus à Dieu par des paroles, c’est lui qui parle aux autre à travers nous.

[9] Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré d’être une sainte, mais, hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qu’il existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Eternelle: «  Si quelqu’un est tout petit qu’il vienne à moi »  (Proverbes IX 4). Alors je suis venue. devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous bercerai sur mes genoux ! » (Isaïe LXVI 13) Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m’avez préparé dans votre royaume, en un mot, je désire être sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d’être vous-même ma sainteté.

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