Le transhumanisme est-il l’avenir ou l’abolition de l’homme ? (28/02/2016)

De Diane Gautret sur le site de Famille Chrétienne, cet entretien avec le Père Pouliquen :

Le transhumanisme est-il l’avenir de l'homme ?

Le Père Tanguy-Marie Pouliquen, prêtre de la Communauté des Béatitudes, est professeur d'éthique et enseignant chercheur à l'institut catholique de Toulouse.

EXCLUSIF MAG - Face à l’idéologie de l’« homme augmenté », seul le Christ peut répondre à la soif de croissance qui est en nous. Entretien avec le Père Tanguy-Marie Pouliquen.

L’homme évolue-t-il ?

C’est un fait. L’homme occidental ne vit pas aujourd’hui comme il y a cinquante, deux cents ou mille ans. On a assisté en quelques décennies à deux révolutions, l’une technologique, l’autre plus récente, digitale, avec des applications nombreuses dans le domaine de la vie domestique, des télécommunications, des moyens de transport, etc.

Davantage dégagés des contingences matérielles, nous sommes devenus plus individuels, plus libres d’orienter notre vie à notre guise, la technique étant pour nous une force pour agir plus facilement sur le monde et sur nous-mêmes. Elle peut être aussi un leurre.

Le transhumanisme est-il l’avenir ou l’abolition de l’homme ?

Certains, comme le patron de la recherche chez Google, le « technoprophète » Raymond Kurzweil, qui s’est rarement trompé, annoncent la fusion entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle à l’horizon de ces trente prochaines années, avec une augmentation exponentielle des potentialités de notre cerveau !

Nous sommes en train de changer de paradigme, de culture. La convergence NBIC, promise pour 2025 – convergence des nanotechnologies, de la biomédecine, de l’informatique et des neurosciences – est déjà en marche. Tout s’accélère, et il ne faut pas être naïf. La main risque de ne plus mener l’outil mais d’être menée par lui.

 

Quels sont les enjeux soulevés par ces nouvelles techniques ?

L’enjeu majeur, c’est la dignité de l’homme. Dans Caritas in veritate (2009), Benoît XVI pointait déjà les dangers de la technique. Le pape François va plus loin. À la suite de Romano Guardini (La Fin des temps modernes, 1950), qu’il cite sept fois, il parle dans Laudato si du « paradigme technocratique ».

La révolution numérique, avec notamment son fameux Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple), risque de reléguer l’homme au second plan. Notre raison est formatée par les algorithmes des moteurs de recherche. Et bientôt, on nous proposera des implants sous la peau pour optimiser notre temps, voir plus loin, mieux entendre, prévenir des maladies, augmenter nos potentialités humaines. Fascinée par cette nouvelle puissance, notre raison, instrumentalisée, risque de perdre son sens interne : désirer d’abord d’être entièrement humain.

L’homme peut bien évoluer physiquement, change-t-il vraiment dans sa structure profonde ?

De plus en plus invasive, la technique influe bien sûr sur nos comportements. Donc dans ce sens, on peut dire qu’elle nous modifie à la périphérie. Mais notre « nature humaine », ou notre « identité humaine », qui n’appartient ni aux grands singes, ni aux animaux domestiques, reste fondamentalement la même. L’homme a une « terre », il est invité à la cultiver et à la garder (Gn 2, 15). Ce qui n’en fait pas un être figé pour autant. La personne est invitée à grandir.

Faites par ailleurs l’expérience de vous retirer une quinzaine de jours dans un ermitage, sans écran ni machines ! Là, on rentre vraiment dans le disque dur de l’homme. Après une phase intense d’agitation interne où remonte un flot d’images, d’instincts et d’émotions, il peut accueillir ses inclinations les plus naturelles, son désir profond de paix et d’unité intérieures, de joie, de vraie liberté, de proximité aux autres, d’amour et de respect de la vie.

Il peut aussi se laisser surprendre par la grâce, la présence vivante de Dieu. La plus belle personne que j’ai rencontrée, c’était dans un désert : une vieille paysanne qui sortait d’une cabane et qui irradiait d’humanité. On sentait en elle une incroyable présence au temps, à l’espace, à son environnement, à elle-même, aux autres et à Dieu !

D’un point de vue chrétien, on peut dire que l’homme « progresse ». Dans quel but ? Vers quelle finalité ?

Seule la théologie est capable de dégager le sens ultime de la vocation humaine, selon les desseins du Créateur. La réponse au transhumanisme est le personnalisme intégral, une notion préparée par la pensée de Jacques Maritain et qu’on retrouve sous la plume de saint Jean-Paul II dans son maître ouvrage philosophique, Personne et acte (1969).

L’être humain est fait pour se trouver lui-même en recevant la grâce et en se donnant gratuitement. À condition d’avoir éprouvé en soi un sentiment de gratitude pour la vie reçue (de Dieu, de sa famille, de son environnement, de sa nature humaine créée, de sa différence sexuée). À condition d’avoir également discerné en soi un « je » singulier, dégagé de ses scories, de ses esclavages, de ses penchants narcissiques. Étapes qui s’approfondissent dans l’espace vital de la prière.

Cette approche du personnalisme est à la source de toute la doctrine sociale de l’Église, où le bien intégral de la personne s’accomplit dans le bien commun, bien de tous et de chacun. Elle rend possible une famille humaine unie et une fraternité universelle. Ultimement, la synthèse vivante du personnalisme intégral est le Christ, unique lien entre le vrai, le bien et la liberté (Jean-Paul II, La Splendeur de la vérité), Lui qui nous donne la vie en surabondance (Jn 10, 10). C’est l’arrière-plan de la pédagogie du pape François : que la foi devienne vie, au cœur du mystère de la Croix vécu au quotidien. 

Dis-moi ta vision de l'homme

À des séminaristes étonnés, Benoît XVI demandait souvent s’ils connaissaient bien l’anthropologie de Karl Marx, rapporte le Père Tanguy-Marie Pouliquen dans son ouvrage Devenir vraiment soi-même. Itinéraire d’un développement personnel chrétien. En bon pédagogue et en homme qui avait vu déferler l’idéologie nazie dans sa très chrétienne Bavière natale, Benoît XVI avait saisi qu’il était fondamental pour un chrétien d’avoir en tête les différentes approches philosophiques de l’être humain, au risque sinon d’être ballotté au gré des vents contraires, et de voir un jour ses propres convictions balayées. Croire que l’homme est régi par les lois de la biochimie (matérialisme), ou croire qu’il est un tout indivisible, à la fois corps, âme, esprit et ouvert sur les autres, à la confluence du charnel, du spirituel et de l’amour (selon les trois ordres de Blaise Pascal), n’est évidemment pas la même chose. Croire qu’il est créé à l’image d’un Dieu trinitaire ou qu’il est lui-même un élément du divin dans la grande symphonie du cosmos (spiritualisme) non plus. Croire que les identités sexuelles ou que les frontières du bien et du mal sont fixés seulement par la culture et non inscrites au cœur de l’homme pas davantage. Il nous faut nous situer parmi les influences anthropologiques dominantes, sinon les faiseurs d’opinion le feront à notre place, prévient le Père Pouliquen.

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