Des propos percutants du pape François sur l'Europe, la laïcité, les idéologies et le culte de l'argent (02/03/2016)

Jean-Pierre Denis, sur le site de La Vie, rapporte les propos tenus par le pape avec une délégation française le mardi 1er mars (extraits) :

Conversation politique avec le pape François

(...) Mardi 1er mars à 16h30, au rez-de-chaussée de la fameuse Casa Santa Marta qui lui sert de résidence et de bureau, sur le flanc écrasant de la basilique Saint-Pierre, François a accordé une étonnante audience à une trentaine de catholiques engagés dans le christianisme social. J’ai eu la chance de faire partie de l’équipée et de saisir au vol l’essentiel d’une conversation informelle qui n’est en rien une interview. Mais l’initiative en revenait à Philippe de Roux, le fondateur des Poissons roses, un petit courant de pensée né au sein du parti socialiste au moment des débats sur le mariage pour tous, rejoint pour l’occasion par un laboratoire d’idées d’inspiration personnaliste, Esprit civique. (...)

Sur la mondialisation :

« Il y a quelque chose qui m’inquiète », dit le pape. « Certes, la mondialisation nous unit et elle a donc des côtés positifs. Mais je trouve qu’il y a une bonne et une moins bonne mondialisation. La moins bonne peut-être représentée par une sphère : toute personne se trouve à égale distance du centre. Ce premier schéma détache l’homme de lui-même, il l’uniformise et finalement l’empêche de s’exprimer librement. La meilleure mondialisation serait plutôt un polyèdre. Tout le monde est uni, mais chaque peuple, chaque nation conserve son identité, sa culture, sa richesse. L’enjeu pour moi est cette bonne mondialisation, qui nous permet de conserver ce qui nous définit. Cette seconde vision de la mondialisation permet d’unir les hommes tout en conservant leur singularité, ce qui favorise le dialogue, la compréhension mutuelle. Pour qu’il y ait dialogue, il y a une condition sine qua non : partir de sa propre identité. Si je ne suis pas clair avec moi-même, si je ne connais pas mon identité religieuse, culturelle, philosophique, je ne peux pas m’adresser à l’autre. Pas de dialogue sans appartenance. »

 

Sur l'Europe :

« Le seul continent qui puisse apporter une certaine unité au monde, c’est l’Europe », enchaîne le pape. « La Chine a peut-être une culture plus ancienne, plus profonde. Mais l’Europe seule a une vocation d’universalité et de service. » François revient alors sur la thématique de son discours de Strasbourg, le 25 novembre 2014, quand il avait comparé l’Europe a une grand-mère un peu fatiguée. « Mais voilà, la mère est devenue grand-mère », sourit-il, faussement patelin. Je pense aux récits bibliques, à la vieille Sara qui rit quand elle apprend qu’elle sera enceinte. La question peut paraître bizarre, mais elle me brûle les lèvres. Est-il trop tard ? La grand-mère peut-elle redevenir une jeune mère ? « Un chef d’Etat m’a déjà posé cette question », me répond le pape. « Oui, elle le peut. Mais il y a des conditions. L’Espagne et l’Italie ont une natalité proche de zéro. La France tire son épingle du jeu, parce qu’elle a construit une politique familiale qui favorise la natalité. Etre mère signifie avoir des enfants. » Mais le renouveau ne peut pas être seulement quantitatif. « Si l’Europe veut rajeunir, il faut qu’elle retrouve ses racines culturelles. De tous les pays occidentaux, les racines européennes sont les plus fortes et les plus profondes. A travers la colonisation, ces racines ont même atteint le nouveau monde. Mais en oubliant son histoire, l’Europe s’affaiblit. C’est alors qu’elle risque de devenir un lieu vide. »

« On peut parler aujourd’hui d’invasion arabe. C’est un fait social »« Combien d’invasions l’Europe a connu tout au long de son histoire ! Elle a toujours su se surmonter elle-même, aller de l’avant pour se trouver ensuite comme agrandie par l’échange entre les cultures. » « Parfois je me demande où vous trouverez un Schuman ou un Adenauer, ces grands fondateurs de l'union européenne...» « On confond la politique avec des arrangements de circonstance. Bien sûr il faut aller à la table de négociation, mais seulement si l'on est conscient qu'il faut perdre quelque chose pour que tout le monde gagne. »

Sur la France et la laïcité à la française :

« La France a réussi à instaurer dans la démocratie le concept de laïcité. C’est sain. De nos jours, un Etat se doit d’être laïc, mais s’il vous plaît, n’ébruitez pas ces propos ! » « Votre laïcité est incomplète. La France doit devenir un pays plus laïc. Il faut une laïcité saine » « Une laïcité saine comprend une ouverture à toutes les formes de transcendance, selon les différentes traditions religieuses et philosophiques. D’ailleurs même un athée peut avoir une intériorité », ajoute le pape, accompagnant la parole par un geste de la main qui part de son cœur. « Parce que la recherche de la transcendance n’est pas seulement un fait, mais un droit ». (...) « Une critique que j’ai envers la France est que la laïcité résulte parfois trop de la philosophie des Lumières, pour laquelle les religions étaient une sous-culture. La France n’a pas encore réussi à dépasser cet héritage. » (...) 

Sur l'idéologie et l'idolâtrie de l'argent :

« Quand un pays se ferme à une conception saine de la politique, il finit prisonnier, otage de colonisations idéologiques. Les idéologies sont le poison de la politique. On a le droit d’être de gauche ou de droite. Mais l'idéologie, elle, ôte la liberté. Platon soulève déjà la question dans le Gorgias quand il parle des sophistes, les idéologues de l'époque. Il disait qu’il étaient à la politique ce que le maquillage est à la santé. Les idéologies me font peur. » (...) « Si l’on veut éviter que chacun ne parte vers les extrêmes, il faut nourrir l'amitié et la recherche du bien commun, au delà des appartenances politiques. »

« L’idéologie et l’idolâtrie de l’argent » sont les deux grands maux siamois que dénonce le pape. (...) « Les adversaires d'aujourd'hui, c’est le narcissisme consumériste et tous les mots en "isme" », insiste-t-il. « Nous nous sommes enfermés dans une dépendance plus forte que celle que provoquent les drogues, mettant à l'écart l'homme et la femme pour leur substituer l'idole de l'argent. C'est la culture du rejet ». (...) « Un ambassadeur venu d'un pays non chrétien m'a dit : nous nous sommes égarés dans l'idéologie de l'argent. Voilà l'ennemi : la dépendance au veau d'or. Quand je lis que les 20% les plus riches  possèdent 80% des richesses, ce n'est pas normal. Le culte de l’argent a toujours existé, mais aujourd'hui cette idolâtrie est devenue le centre du système mondial ». (...)

Pour le pape, le renouveau du christianisme passe, comme on le sait, par la miséricorde, « En latin, c’est le cœur qui s’incline devant la misère. Mais si l’on suit l’étymologie hébraïque ce n’est plus seulement le cœur mais les tripes qui sont touchées, l’abdomen, le ventre de la mère, cette capacité à sentir de manière maternelle, depuis l’utérus. Dans les deux cas il s’agit de sortir de soi ». Se décentrer, aller vers, risquer le dialogue. Le leitmotiv de la conversation et celui du pontificat. La miséricorde est d’ailleurs, pour le pape venu du sud, l’autre nom de l’humanisme. « Laissons de côté la dimension religieuse », ose François. « La miséricorde est la capacité de nous émouvoir, d’éprouver de l’empathie. Elle consiste aussi, face à toutes les catastrophes, à s’en sentir responsable. A se dire que l’on doit agir. Cela ne concerne donc pas seulement les chrétiens, mais tous les humains. C’est un appel à l’humanité. » (...)

Tout l'article est ici : http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/conversation-po...

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