Les trois notes d'Amoris Laetitia qui font débat (12/04/2016)

De Lorenzo Bertocchi dans la Nuova Bussola Quotidiana (traduit par nos soins):

"Amoris Laetitia", trois notes qui suscitent la guerre des interprétations

A propos des indications relatives aux situations familiales irrégulières contenues dans l’exhortation  apostolique Amoris Laetitia (surtout dans le chapitre 8), une tempête d'interprétations s’est levée durant ces derniers jours. Ainsi, pour certains, le document entier permet enfin d’atterrir dans une Eglise « nouvelle ». Les médias catholiques le disent aussi ; diverses personnalités du monde ecclésial l’évoquent. L’incendie a commencé. En dépit d’importants efforts pour lire le texte de la seule manière possible: en continuité avec le magistère précédent, et puis avec le dépôt de la foi.

Comme l’a dit le Prof. José Granados à la Nuova Bussola, « si l'on sépare le texte [du chapitre 8, note de l'auteur] du contexte de la discussion synodale ou de sa continuité avec le magistère précédent, il peut certainement y avoir des interprétations erronées ». Dans "Amoris laetitia", il y a une approche pastorale nouvelle à l’égard des couples dits irréguliers, et il y a aussi le discernement au "cas par cas" quant à l'accès aux sacrements pour les couples divorcés et remariés. Dans ce domaine, il y a trois notes dans le texte de l'exhortation (329, 336 et 351) qui provoquent actuellement la discussion. Nous offrons au lecteur quelques éléments du problème, sans avoir la prétention de les résoudre, mais pour mieux les comprendre.

Note 329: Vivre comme frère et sœur ?

La note porte sur le paragraphe 298 d’Amoris Laetitia, celui dans lequel il est écrit que les situations « très diverses » dans lesquelles se trouvent les « divorcés qui vivent une nouvelle union (...) ne doivent pas être cataloguées ou verrouillées dans des affirmations trop rigides sans laisser d’espace pour un discernement personnel et pastoral adéquat ». Parmi ces situations, l'Eglise reconnaît aussi celle dans laquelle « l'homme et la femme, pour des motifs graves - tels que, par exemple, l'éducation des enfants - ne peuvent satisfaire à l'obligation de se séparer. » Cette dernière phrase est reprise dans le texte de l'exhortation Familiaris Consortio de saint Jean-Paul II au n° 84.

Dans ce paragraphe, il est clairement indiqué que ceux qui sont dans la situation susdite (et qui n'ont pas obtenu la reconnaissance de nullité du mariage précédent), pour se conformer à ce qui est bien doivent être «  sincèrement disposés à mener une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage ». C’est à dire, dit encore une fois le texte de Jean-Paul II, qu’ils « assument le devoir de vivre dans la continence complète, ce qui revient à s’abstenir des actes réservés aux couples mariés. » Ceci est aussi la manière indiquée par le texte du pape Wojtyla pour accéder à la réconciliation dans le sacrement de la pénitence et donc pour pouvoir communier.

 

Mais la note 329 d’" Amoris Laetitia" finit en quelque sorte par outrepasser cet enseignement :

« Dans ces situations, beaucoup, en connaissant et en acceptant la possibilité de vivre ensemble "comme frère et sœur", que l'Eglise leur offre, soulignent que, si certaines expressions de l'intimité font défaut, « il n’est pas rare que la fidélité soit mise en danger et que le bien des enfants puisse être compromis ». (Concile œcuménique Vatican II, Const° Gaudium et Spes, 51) ».

D’après cette note, il semble carrément qu’il soit bien que ceux qui sont divorcés et remariés civilement vivent à tous égards comme des époux, car « s’il manque quelques expressions d'intimité » cela mettra en danger la "fidélité" (du couple) et «le bien des enfants ».

Il y a plusieurs éléments qui sont abordés dans la présente note 329 et qui peuvent donner lieu à des interprétations erronées quant à la nature indissoluble du premier mariage (s’il est valide), et à l'enseignement moral de l'Eglise :

- La citation de la Constitution conciliaire Gaudium et Spes 51 est séparée de son contexte original. En fait, dans Gaudium et Spes, ces mots concernent clairement les époux et non les divorcés remariés ;

- En utilisant cette citation, il semble que l’on puisse évaluer – comme le font les « proportionnalistes » dans les questions morales - l'action morale sur la base des conséquences positives et négatives de l'acte, en finissant ainsi par faire disparaître ipso facto l'existence d'absolus moraux ou de comportements intrinsèquement mauvais. En effet, la note 329 peut donner lieu à des interprétations qui pourraient nier que l'adultère soit une action mauvaise en elle-même. L'union conjugale entre deux personnes qui ne sont pas unies par les liens du mariage peut donc être, dans certains cas, un bien ?

- Dans ce cas, quelle importance donner à ce qui est indiqué dans le n ° 52 de l'encyclique Veritatis Splendor de Jean-Paul II où il enseigne que là où il y a des actes (y compris l'adultère) qui se définissent comme «intrinsèquement mauvais», «pour toujours et par eux-mêmes, à savoir par leur objet même, indépendamment des intentions ultérieures de celui qui agit et des circonstances ? ».

NOTES 336 ET 351: L’ACCÈS AUX SACREMENTS POUR DES DIVORCES REMARIÉS

Le contexte dans lequel sont insérées les deux notes est similaire, à savoir celui d'un degré différent de la responsabilité du pénitent en fonction des conditionnements et / ou des facteurs atténuants. Dans ces cas, dit la déclaration 336, les conséquences ou les effets d'une norme ne doivent pas nécessairement être toujours les mêmes.

« Pas davantage en ce qui concerne la discipline sacramentelle, lit-on dans la note, étant donné que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière il n’y a pas de faute grave. Ici, s’applique ce que j’ai affirmé dans un autre document : cf. Exhort. ap.Evangelii gaudium (24 novembre 2013), nn. 44.47 : AAS 105 (2013), pp. 1038.1040. »

Dans ce cas, alors que le doute subsiste à propos de la discipline sacramentelle à laquelle renvoie le texte, il est clair qu'il ouvre pratiquement, dans certains cas, à l'accès aux sacrements. Pour autant qu'il s’agisse (par exemple) de la confession ou de l'onction des malades, il n'y a pas d’opposition entre ce qui (d'un côté) est dit dans cette note et (de l'autre) la nature de ces sacrements et l'enseignement de l'Eglise; mais, s’il s’agit de l'Eucharistie, par contre, oui.

La note 351, cependant, encore plus complexe et problématique, se rattache au § 305 du texte, où l’on parle du fait qu'en raison de « conditionnements ou de facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui ne soit pas subjectivement imputable ou qui ne le soit pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu (...) en recevant à cet effet l'aide de l'Eglise " Et ici, il est greffé note 351:

« Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, « aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur » : Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), p. 1038. Je souligne également que l’Eucharistie «  n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles »  (Ibid., n. 47 : p. 1039). »

Par conséquent, dans certains cas, la voie des sacrements semble ouverte aux divorcés remariés civilement par le truchement d’une non-imputabilité subjective reconnue, malgré la présence d'une condition objective de péché.

Indiquons seulement quelques éléments problématiques qui émergent:

- Il semble demandé au confesseur de juger exactement l'état subjectif de la conscience, en arrivant de fait à exprimer un jugement sur le cœur de l’homme (chose que, normalement, l'Église n'a jamais faite, se tenant effectivement au plan de la situation objective. Tel est le cas de Familiaris Consortio qui demandait, pour l'accès aux sacrements, de s’en tenir à la continence avec la détermination de ne plus commettre ce péché) ;

- Certains commentateurs, pour expliquer cette pratique, ont évoqué le principe de l’epikeia thomiste (en déformant en fait saint Thomas, mais le développement serait long...), en vertu duquel certaines exceptions à la règle seraient admises. Mais un tel principe, invoqué à plusieurs reprises par le cardinal Kasper, avait déjà été considéré comme non applicable, précisément à des cas tels que ceux des divorcés remariés qui exercent leur sexualité, par un document signé par le cardinal Ratzinger, préfet de la Doctrine de la Foi. Le principe de l’epikeia [et de l’aequitas canonique], lit-on dans le document de 1994, « ne peuvent pas être appliquées dans le cadre des règles, sur lesquelles l'Église n'a aucun pouvoir discrétionnaire. L’indissolubilité du mariage est l'une de ces règles, qui datent du Seigneur Lui-même et sont donc désignées comme normes de «droit divin». L'Eglise ne peut pas non plus approuver des pratiques pastorales - par exemple dans la pastorale des sacrements - qui contredisent le commandement clair du Seigneur ».

- Et puis, quelle valeur donner à ce qui est exprimé dans l’encyclique Veritatis Splendor à propos du fait que « si des actes sont intrinséquement mauvais, une intention bonne ou des circonstances particulières peuvent en atténuer la malice mais non la supprimer ? » (n°81)

Enfin, comment concilier ces trois notes (329, 336 et 351) avec le paragraphe 300 d’Amoris laetitia, qui dit: « Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio , n° 34), ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église. »

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