Chine: l'irréligion orientale (08/07/2016)

De Laurent de Capellis sur le site web du bimensuel « L’Homme Nouveau »:

Chine-1.JPG« De retour de Chine, l'auteur dresse un portrait contrasté de ce vaste pays, de son évolution politique et sociale et de la place de la religion chrétienne dans une société entièrement contrôlée par le Parti communiste chinois. Le titre de son article fait référence à l'excellent livre du professeur Augusto Del Noce, L’irréligion occidentale (FAC, 1995), dans lequel l’auteur montre comment la société opulente occidentale est la réalisation d’un marxisme désenchanté qui a mis de côté la croyance révolutionnaire pour se cristalliser en esprit bourgeois à l’état pur. 

Quand on arrive dans l’une de ces grandes mégapoles chinoises, ce qui frappe à première vue le visiteur, c’est la laideur de ces complexes urbains. En Chine, une ville de petite taille compte moins de 3 millions d’habitants, une ville moyenne comme Nankin ou Wuhan entre 3 et 10 millions d’habitants. Quant aux mégapoles que sont Pékin, Shangaï ou Shenzhen, elles comptent plus de dix millions d’habitants. Tout cela est le résultat de l’exode rural massif suscité par la révolution industrielle à marches forcées qu’a connu la Chine ces vingt dernières années. Nos barres de HLM font pâle figure à côté des alignement d’immeubles de plus de trente étages qui marquent les villes chinoises.

Le paradoxe de la Chine, c’est ce mélange entre libéralisme économique et communisme. Si l’on dit que le communisme s’est finalement réalisé dans le matérialisme libéral occidental, on pourrait également dire que le communisme chinois a réussi à se réaliser dans cette nouvelle forme hybride. Loin de là le communisme frugal et les queues devant les magasins. Centres commerciaux qui ouvrent 7 jours sur 7 et quasiment 24 heures sur 24 dans les grandes villes, suractivité économique que rien ne semble arrêter : ni la nuit, ni le dimanche. Et pourtant le parti communiste est omniprésent, jusque dans les entreprises (publiques) où il assure une surveillance institutionnelle. Si l’on veut progresser dans l’entreprise, il est important de faire partie de ce club. Personne n’y croit vraiment mais si l’on veut se montrer citoyen et concerné par les autres, il est de bon ton de s’engager. C’est le geste citoyen en quelque sorte avec son côté ostensiblement pharisien. Nous visitons un temple accompagné par l’une de ces cadres d’entreprise. Elle est membre du parti, nous avoue être athée et ne croire qu’au progrès et à la science. Malgré tout, cela ne l’empêche pas de bruler de l’encens devant les autels et de formuler un vœu comme le veut l’usage : on ne sait jamais ! Athéisme et superstition font finalement bon ménage. On pourrait faire la même observation pour l’Occident quand on voit l’explosion de toutes les formes d’ésotérisme. Le communisme, à la manière du relativisme des droits de l’homme en Occident, est devenu une sorte d’idéologie très molle, perméable à tous les accommodements.

 

Hiérarchie et convivialité

Le repas est un moment très convivial en Chine. Il se déroule nécessairement autour d’une table ronde avec au centre un plateau rond tournant qui permet de faire circuler les plats. Pour un repas de fête, il faut compter plus d’une vingtaine de plats différents : le principe c’est que tous puissent gouter à tout. On amène donc les plats au fur et à mesure et on fait tourner le plateau central pour que chacun puisse se servir. Plus que partout ailleurs, le repas est un moment de partage pour les Chinois. Pour marquer que l’on est heureux d’être ensemble, on s’invite mutuellement à trinquer. Dans le milieu des affaires, rien ne peut se conclure si les deux partis ne se retrouvent pas ensemble au cours d’un bon repas. C’est là que la confiance se crée, quand on a trinqué et mangé ensemble. Dans une société très hiérarchisée, ce type de repas brise également les barrières sociales et permet de créer la convivialité nécessaire à tout groupe social. Et c’est après avoir bu que les langues se délient. Les questions personnelles fusent : combien avez-vous d’enfants ? Et quand on demande la même chose en retour, on sent tout le poids de la politique de l’enfant unique. C’est une véritable blessure, une forme de castration pour toute cette génération (on assiste, aujourd'hui, à un assouplissement de la politique de l’enfant unique. Les parents enfants uniques ont ainsi le droit d’avoir deux enfants). La Révolution culturelle est une  autre blessure très sensible, notamment dans la rupture qu’elle a imposée avec le passé. Là aussi, il s’agit d’une forme d’amputation, comme si une partie des racines de la société chinoise avait disparu.

C’est dans ce contexte de libéralisation que la religion peut avoir à nouveau droit de citer. L’encadrement par le parti est de rigueur mais une fois accepté cet encadrement, une grande liberté d’action est possible. C’est ainsi que la porosité devrait augmenter entre l’Église officielle et l’Église clandestine. Le sanctuaire de Sheshan situé à 35 km au sud-ouest de Shangai est à l’image de cette nouvelle réalité. Sheshan signifie la montagne de She (She était un ermite). C’est là que s’installèrent les premiers missionnaires jésuites quand ils revinrent au XIX° siècle en Chine. En 1843, le supérieur des jésuites fait l’acquisition du flanc sud de la colline pour y construire une maison de repos et une petite chapelle. Plus tard, un Chinois converti construit sur le haut de la colline un kiosque dans lequel il installe une image de la vierge qu’il avait peinte lui-même sous le titre « Marie aide des Chrétiens ». La chapelle est consacrée en 1868 à Marie aide des Chrétiens. A partir de là, le sanctuaire va vite devenir le sanctuaire national, une sorte de Lourdes chinois. Le pèlerinage national se déroule tous les ans le 24 mai, fête de Marie auxiliatrice. En 1871 est entrepris la construction d’une basilique sur le haut de la colline. En 1924, les évêques chinois consacrent leur pays à Marie et une gigantesque statue de la Vierge portant l’enfant est placée sur le haut de la basilique. Cette statue de près de quatre mètres de hauteur sera détruite pendant la Révolution culturelle puis restaurée et réinstallée à son emplacement en 2000.

Une prière à Sheshan

La colline de Sheshan est un lieu de promenade très couru par les habitants de Shangai : la campagne, les collines aux pentes boisées de bambous verts, tout cela a de quoi attirer les habitants de la mégapole inhumaine. A mi-pente se trouve la première église et un centre d’accueil et de formation. En peu en contrebas de l’église, on trouve un parvis qui sert pour les pèlerinages. Là sur un promontoire se trouve une statue de la Vierge. Un couple est à genoux devant la grille qui ferme les marches montant à la madone. Devant eux un bouquet de bougies allumées posé en offrande à la Vierge. Sur le même parvis, on trouve également une statue du Sacré Cœur et une autre de saint Joseph. Puis on monte un chemin en serpentin qui mène jusqu’à la basilique : c’est le chemin de croix qui mène au sanctuaire. En montant, nous rencontrons une grand-mère avec ses petits-enfants : elle nous annonce fièrement qu’elle est chrétienne depuis cinq générations. Cet afflux de promeneurs et de touristes est une occasion unique pour faire de l’évangélisation.

Pierre l’a bien compris. Depuis quatre ans, ce retraité a élu domicile dans la basilique. C’est lui qui organise les visites dans le sanctuaire. Visites très particulières dans la mesure où elles prennent la forme d’un véritable one man show visant à ouvrir les yeux du promeneur curieux sur la culture chrétienne. Le voilà donc qui explique l’architecture, les statues et les peintures intérieures. Puis il chante le Salve Regina et se fait applaudir comme au concert. Enfin il commente le signe de croix en évoquant la sainte Trinité et montre ensuite aux visiteurs comment le faire. Mais il ne s’arrête pas là. Il demande ensuite aux visiteurs de répéter en synchronisant le geste et la parole. Les visiteurs s’amusent de ce jeu mais Pierre leur demande de recommencer jusqu’à ce que le geste soit parfait. C’est comme s’il souhaitait les introduire au cœur du plus grand mystère chrétien. Il plaisante également, pose des questions et amène l’assistance à réfléchir. Dans un monde très matérialiste qui cohabite paradoxalement avec toutes sortes de superstitions, cette maïeutique pousse au questionnement religieux. Au début, il ne venait que le samedi et le dimanche mais devant l’affluence et le succès de ses explications, il vient désormais tous les jours. Il nous assure que cette catéchèse improvisée produit ses fruits. Certains prennent le chemin de la conversion : les catéchumènes sont alors pris en charge par les paroisses de Shangai. Voilà le visage de cette nouvelle église officielle. Dehors, une banderole vient nous rappeler que l’Eglise est sujette de l’Etat communiste. La banderole rouge  énonce : « Gérez les affaires religieuses selon les lois. Favorisez activement l’harmonie entre les religions et le socialisme ». Personne n’y fait attention et pourtant elle donne le cadre. Si ce genre de banderole peut paraître grossier à notre Occident libéral, il ne faut pas se leurrer : la pression conformisante est chez nous beaucoup plus subtile mais sa puissance permet de produire le même type d’alignement. Cette banderole est là par ailleurs pour rappeler au fidèle que l’on doit accepter l’ordre communiste. Elle sonne comme un rappel à l’ordre dans un diocèse où l’évêque a publiquement démissionné de l’association patriotique (voir encadré). 

Finalement, au-delà des différences de forme entre les systèmes, on peut observer une convergence de fond entre Chine communiste et Occident libéral. Si l’on excepte l’angoisse du chaos qui peut hanter les dirigeants d’un pays qui représente un véritable empire, la Chine est mure pour la démocratie de type occidental.

Ref. Chine : l’irréligion orientale

Pour paraphraser un Belge bien connu, ceci n’est pas un compliment.

JPSC

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