Rencontre des deux François au Vatican : autre chose que de la com ? (18/08/2016)

Hollande.jpgJuppé à Lourdes le 15 août, Sarkozy à la messe  de l’assomption au Lavandou  et François Hollande chez le pape François à Rome, mercredi. La pêche aux moules électorales ?  Sûrement. Plus, c’est à voir…Voici le point de vue de Samuel Pruvot sur le site web « Figarovox » :

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Le président français rencontre le pape ce mercredi. Pour Samuel Pruvot, les deux François ne vivent pas un «grand rapprochement». Les questions sociétales, au fondement de la social-démocratie hollandaise, demeurent un point d'achoppement majeur.

Samuel Pruvot est rédacteur en chef de l'hebdomadaire Famille Chrétienne. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, il a publié notamment François Hollande, Dieu et la République (éd. Salvator, 2013) et dernièrement Le mystère Sarkozy. Les religions, les valeurs et les femmes (éd. du Rocher, 2016)

FIGAROVOX. - Alors que le père Jacques Hamel a été égorgé par deux djihadistes le 26 juillet dernier, François Hollande se rend ce mercredi au Vatican. Il avait auparavant précisé: «lorsqu'un prêtre est attaqué, c'est toute la France qui est meurtrie». Comment comprendre ces propos?

Samuel PRUVOT. - Je vais peut-être vous étonner, mais je pense que ce n'est pas seulement de la communication. Dans les propos que vous citez, il y a une vraie nouveauté. C'est la première fois - peut-être même dans toute sa carrière politique au niveau national - que François Hollande sort de l'autisme vis-à-vis du catholicisme. Regardez précédemment, il ne prononçait jamais les mots de «catholique» ou de «chrétien». Le président français n'est pas du tout issu d'une tradition anticléricale, mais il s'inscrit dans un courant philosophique que l'on pourrait dire «positiviste» dans la lignée d'Auguste Comte: il a l'intime conviction qu'avec le temps et le progrès, le catholicisme va se réduire à ce qu'il est réellement, une attitude religieuse archaïque. Pour François Hollande, le catholicisme est une vieille lune, destinée à mourir. Enfant de mai 68, il est persuadé que le catholicisme est réservé à ses parents, voire à ses grands-parents.

C'est donc une vraie nouveauté quand il établit une identification entre le prêtre catholique et la nation française elle-même. Il faut rappeler que, si François Hollande dispose d'une éducation catholique très ancrée - beaucoup plus que Nicolas Sarkozy -, il a en revanche enfoui et dissimulé très profondément tout ce qui le liait au catholicisme. Je vais vous faire part d'une anecdote. Quand il était en campagne pour l'élection présidentielle de 2012, le candidat socialiste a visité son village natal et s'est rendu dans le PMU, le stade de football et la boulangerie de son enfance. Dans sa pérégrination, il est passé tout à côté de son ancien établissement, qui était tenu par des frères lasalliens des Ecoles chrétiennes. Leurs successeurs ont été très profondément blessés que, passant devant un endroit où il avait vécu une demi-douzaine d'années, le président Hollande n'ait aucunement évoqué ce lieu. Ces quelques mots qu'il prononce après l'assassinat du père Jacques Hamel sont donc une rupture, produite par des circonstances tout à fait exceptionnelles. Je pense à la formule de Saint-François de Sales, que Hollande est capable de connaître parce qu'il a une culture religieuse considérable: «Les événements sont nos maîtres». Il faut au moins reconnaître à François Hollande le sens du tempo et des événements. Il se rend compte que quelque chose d'exceptionnel s'est passé et qu'il ne peut pas en rester dans son discours présidentiel à un catholicisme réduit à une vieille lune et destiné inexorablement à mourir.

 

Le pape François aborde ouvertement des questions politiques, ce qui semble satisfaire le président Hollande. Selon l'Elysée, la rencontre de ce mercredi est marquée par le «resserrement des liens» car «sur les crises écologique ou migratoire comme sur le terrorisme, les positions se rejoignent». Ces propos diffèrent largement du contexte tendu qui était celui des premières années de son quinquennat. Comment l'expliquez-vous?

Cette convergence sur un certain nombre de sujets politiques existe, mais il faut aller au-delà pour comprendre que des divergences de fond persistent et persisteront. Il faut rappeler d'abord un élément d'histoire largement disparu de notre paysage politique qui est l'existence d'un catholicisme social, notamment en France, promu en premier lieu par les papes. Depuis Léon XIII, les évêques de Rome défendent de façon assez obstinée ce catholicisme social. Le pape François reprend cette tradition pontificale, mais l'adapte au temps contemporain en faisant une encyclique sur l'écologie ou en ayant des paroles fortes et régulières sur les migrants.

La position de François Hollande face au catholicisme social promu par l'Eglise est compliquée et ambiguë en raison de sa propre histoire politique. Il dit de manière assez émouvante d'ailleurs qu'il doit presque tout à sa mère. C'est elle qui a été le déclencheur de sa vie publique. Mais le président de la République oublie sciemment de préciser que sa mère «catho de gauche» était d'abord une croyante engagée dans cette tradition du catholicisme social, que le pape François remet au goût du jour. Or aujourd'hui, autour de François Hollande, c'est un peu le cercle des catholiques sociaux disparus. A part quelques exceptions comme Jean-Yves Le Drian, son ministre de la Défense, ou Bernard Poignant, son conseiller et ancien maire de Quimper, toute cette génération de catholiques sociaux a disparu. François Hollande l'a rayée de sa liste de fidèles, mais voilà que l'actualité remet sur le devant de la scène cette tradition qui est à l'origine de son propre engagement politique. François Hollande doit aujourd'hui jouer avec les ombres de son propre passé et considérer que ce qu'il avait mis au placard ressort de manière intempestive voire violente et s'impose à lui. Il redécouvre aujourd'hui que toute la première partie de sa carrière auprès de Jacques Delors s'est justement déroulée aux côtés de ces cathos de gauche.

Ce rapprochement entre les deux François est sans doute juste, mais il ne faut pas mélanger les positions de l'un et de l'autre, qui se placent à des niveaux bien différents. Malgré ses mots bienveillants à l'égard du Saint-Père, François Hollande demeure dans l'enfouissement profond du catholicisme social dont il est l'hériter et que le pape François fait resurgir. N'oublions pas que s'il y a un rapprochement aujourd'hui, c'est qu'il y a d'abord eu une distance. François Hollande n'est pas Clovis, il ne va pas chercher un sacre à Reims. Seulement, les papes ont toujours reconnu ce que les pères de l'Eglise appelaient les «semences du Verbe» définies comme ces éléments profondément justes et bons qui peuvent émerger des philosophies du monde ou des hommes de pouvoir. L'Eglise a toujours encouragées ces «semences du Verbe». Quand le président Hollande admet que l'écologie est un sujet central ou qu'il admet qu'il ne faut pas laisser les migrants se noyer dans la mer, le pape l'encourage, mais n'y voyons pas forcément un rapprochement plus profond que ça des deux François.

Le quinquennat de François Hollande a d'abord été marqué par un clivage important avec les catholiques à l'occasion du Mariage pour tous. François Hollande est-il en train de se repositionner vis-à-vis de cet électorat dans la perspective de 2017?

Il y a eu un clivage important avec le mariage pour tous et je pense que ce point d'achoppement sur les questions sociétales est appelé à durer. François Hollande change très souvent d'avis sur les questions techniques de nature économique ou social, on peut même l'accuser d'être une girouette sur ce point. En revanche, ce changement n'est pas vrai en matière sociétale. Le président de la République a fait un choix qui s'est affirmé de manière assez violente lors du Mariage pour tous. Et ce choix ne changera pas. J'ai eu l'occasion d'interroger Jean-Pierre Jouyet, l'un des plus anciens compagnons de route de François Hollande, et je lui demandais: «Cette social-démocratie, c'est d'abord un changement de nature économique? François Hollande veut faire en France ce que les partis socialistes européens ont déjà fait, sortir définitivement de la ligne de lecture marxiste et accepter que le socialisme puisse être compatible avec une forme d'économie libérale». Celui qui n'était pas encore secrétaire général de l'Elysée m'a alors répondu en substance - et c'était bien avant la loi «Taubira»: «Non, ce n'est pas seulement cela la social-démocratie. C'est un mixte entre économie libérale et progrès sociétaux. Sur la question du mariage homosexuel et sur celle de l'euthanasie, croyez-bien que François Hollande assume complètement cet ensemble de mesures sociétales». Même s'il est d'abord porté vers les questions économiques, François Hollande est catégorique sur ce point, on ne peut pas imaginer dans son esprit une social-démocratie sans une forme de philosophie non pas libérale, mais en réalité libertaire en matière sociétale.

S'il se présente en 2017, François Hollande ne changera pas du tout son fusil d'épaule et les divergences de fond avec l'Eglise resteront grandes. Mais sa visite n'est pas vaine car il a l'habileté politique de mettre en valeur les points d'appui qui sont, sinon réels, du moins crédibles, sur l'écologie et les migrants notamment.

Les deux François devraient aussi évoquer la question des chrétiens d'Orient. Partagent-ils sur ce point une vision commune?

Au risque d'être excessif, je crois que c'est une illusion. Ils ne partagent pas une même vision car leur position n'est pas la même. L'Eglise catholique et la France subissent certes la même violence de l'Etat islamique, mais elles ne partagent pas forcément la même lecture des événements. Je m'explique. Pour le pape François, quand le père Jacques Hamel ou un prêtre au Levant est égorgé, c'est quelqu'un de sa propre famille qui disparaît. Il les appelle d'ailleurs souvent du nom de «témoin» ou «martyr». Pour le pape, l'Eglise est un corps, déployé sur toute la terre. Quand un membre de ce corps souffre, le pape souffre aussi. C'est un événement mystique puisque c'est l'occasion pour ces témoins de la foi d'aller jusqu'au bout de leur attachement au Christ. François Hollande a quant à lui été obligé d'admettre ce qu'il n'admettait pas au début, que la France est véritablement en guerre, qu'il existe des ennemis identifiés et qu'il y a danger de mort, à la fois ad extra mais aussi ad intra. Pour François Hollande, son rôle est de défendre l'intégrité du pays et la sécurité de ses citoyens. Son rôle est bien différent de la position du pape, pour qui les victimes s'appellent des martyrs, qui ont une place tout à fait particulière dans l'Eglise. Je me suis intéressé récemment aux martyrs dits de la Révolution (française, ndlr.). Ils avaient souvent une ligne de conduite étonnante vis-à-vis de leurs persécuteurs: «n'opposons à leur guerre qu'amour et douceur». C'est très exactement ce que continue à dire le pape François. C'est défendable et certainement juste du point de vue mystique et pontifical, mais c'est aussi objectivement déraisonnable d'un point de vue politique. François Hollande ne peut pas du tout se placer dans ce registre. Ce serait même gravissime! Les deux François ont l'air d'être d'accord sur les chrétiens d'Orient, mais je ne suis pas du tout sûr qu'ils parlent de la même chose.

Au-delà de la dimension mystique, le pape se place aussi dans un registre politique quand il reconnaît un état de guerre, mais se refuse à parler de «violence islamique». Dans ce diagnostic, n'est-il pas très proche de François Hollande?

Il y a surtout une part de prudence, conforme à la tradition pontificale. Dans les services du Vatican et dans l'esprit du pape François, demeure certainement le souvenir du discours de Ratisbonne du pape Benoît XVI. Il a une conscience très vive de l'incompréhension qui avait alors surgi. Son prédécesseur n'avait évidemment pas dit que l'islam était «intrinsèquement pervers», comme le pape Jean-Paul II avait pu le dire du communisme, mais il avait évoqué le défi énorme pour les religions d'une réflexion sur l'usage et la légitimité de la violence. En substance, il avait posé la question suivante aux musulmans: qu'en est-il chez vous, dans vos textes sacrés, de la violence? Alors qu'il réfléchissait aux conditions d'un dialogue réciproque entre les religions, ceci avait provoqué le contraire de ce qu'il espérait. A tel point qu'aujourd'hui, par prudence, le pape François ne veut pas être compris de travers et ne souhaite certainement pas qu'on lui fasse dire que tous les musulmans sont intrinsèquement violents.

Le 21 mars dernier, l'ancien président Nicolas Sarkozy avait aussi été reçu en audience privée par le pape François. Entre François Hollande et Nicolas Sarkozy, quelles sont les différences dans leur rapport avec l'Eglise catholique?

C'est une différence flagrante vis-à-vis de l'Eglise, mais plus largement vis-à-vis de Dieu tout court. Sur ce sujet, Nicolas Sarkozy est extraverti et volcanique. Il a une curiosité existentielle voire brouillonne, qui s'exprime vis-à-vis des grands témoins de la foi comme des plus hauts représentants de l'institution. A chaque fois qu'il rencontrait Benoît XVI, il le secouait comme un prunier! Il avait tellement de respect et d'affection pour lui qu'il agissait avec lui comme si celui-ci avait été son propre grand-père. Il en fait toujours trop, mais ceci correspond à une certaine authenticité du personnage. François Hollande est l'exact contraire. Ce n'est pas un extraverti, mais un introverti. Il ne parle jamais de Dieu. On ne sait d'ailleurs pas trop ce qu'il en pense. Il a néanmoins dit à l'un de mes confrères, il y a au moins dix ans de cela, que pour lui, «la question de Dieu était réglée» et qu'il pouvait vivre comme si ce principe n'existait pas. Du point de vue public, moins il a de relations avec l'Eglise catholique, mieux il se porte. Ou du moins, plus il peut déléguer cet aspect des choses, mieux il s'en porte. Les circonstances l'obligent à changer de politique et à s'emparer directement et malgré lui de ce sujet. S'il avait le choix, il n'irait pas à Rome.

Ref. Visite pontificale : «S'il avait le choix, François Hollande n'irait pas à Rome»

JPSC

11:43 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |