Eglise : la réforme en cours peut-elle aboutir ? (02/02/2018)

Du site de la revue "catholica" :

La « réforme de l’Église » peut-elle réussir ?

L’Église, en tant qu’institution humaine hiérarchique d’extension mondiale, est naturellement l’objet de pressions extérieures et d’autres tentatives visant à obtenir de sa part reconnaissance et appui. D’une manière générale, l’Église des temps modernes a conservé son indépendance, s’attirant pour cela des censures cinglantes, et des persécutions ouvertes. En revanche en son intérieur même s’est développé […]

L’Église, en tant qu’institution humaine hiérarchique d’extension mondiale, est naturellement l’objet de pressions extérieures et d’autres tentatives visant à obtenir de sa part reconnaissance et appui. D’une manière générale, l’Église des temps modernes a conservé son indépendance, s’attirant pour cela des censures cinglantes, et des persécutions ouvertes. En revanche en son intérieur même s’est développé à partir du XIXe siècle un courant dit « libéral » désireux de faire alliance avec le monde issu des Lumières, courant pénétrant certains secteurs du clergé et des milieux intellectuels. Ce parti – au sens très large du terme –, longtemps contenu et rejeté par les papes, a pesé de manière forte au cours du XXe siècle, même s’il a longtemps continué d’être rejeté dans son principe, bien que parfois avec certains manques de cohérence en matière politique, comme l’ont illustré les diverses consignes de « ralliement » (France, Belgique, Espagne…) ou autres pactes de conciliation. Pie XII continua de brider le catholicisme libéral dans ses aspects les plus théologiques (Humani generis, 1950), suffisamment pour que la réunion du concile Vatican II apparaisse à ses adeptes comme une occasion exceptionnelle pour conquérir une pleine liberté d’action. Ce qui fut le cas dès la fin de la première semaine de la première session de l’assemblée conciliaire, sous la forme d’une inversion de l’initiative dans la direction des travaux. Les réprimés de la veille sont devenus les maîtres de l’ordre du jour, à même d’orienter sur les points cruciaux débats et rédaction des textes ayant valeur de cadres pour l’avenir. Toute une machinerie s’est mise en place pour ancrer dans la doctrine, la pratique et les signes visibles ce retournement de situation. Et pourtant, au fil des années qui ont suivi, lentement mais sûrement, ce qui avait pu apparaître comme la spectaculaire revanche d’un parti libéral toujours insatisfait ne fut, du point de vue de ses composantes, qu’une demi-victoire, et cela de manière toujours plus évidente – ce qui n’enlève rien au fait qu’une profonde empreinte libérale ait été laissée tant sur les textes conciliaires que sur la théorie et la pratique du demi-siècle qui a suivi. La promulgation de l’encyclique Humanae vitae par Paul VI, en 1968, l’action stabilisatrice de Jean-Paul II et sa dénonciation insistante de la « culture de mort », la destitution du caractère superdogmatique des textes et orientations pastorales conciliaires par Benoît XVI, ainsi que la réhabilitation par ce dernier de la liturgie d’avant 1970 ont été ressenties comme autant de blessures par les tenants de l’activisme libéral.

L’arrivée de Jorge Mario Bergoglio, dans les conditions d’une démission de Benoît XVI non encore limpidement expliquée, a donc constitué l’occasion exceptionnelle d’en revenir aux fondamentaux de la « réconciliation avec le monde », et une nouvelle tentative de revanche.

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Prenons le parti de nous placer du point de vue des acteurs de cette entreprise afin d’essayer d’en mesurer les chances de succès.

À première vue, celles-ci sont grandes. L’élection du cardinal argentin, loin d’être inattendue, fut semble-t-il le résultat d’une soigneuse préparation. Dans une proportion difficile à préciser, mais selon le témoignage des cardinaux Godfried Danneels et Theodore E. McCarrick, un groupe informel de hauts prélats, nommé plaisamment par ses membres la mafia de Sankt-Gall, a déployé ses efforts en faveur de l’élection du cardinal Martini, puis après la mort de celui-ci, de son confrère jésuite argentin. Quoi qu’il en soit, sa promotion a été saluée avec enthousiasme et ferveur par l’ensemble, intérieur et extérieur, des partisans déclarés de la fermeture de la parenthèse Ratzinger et du passage à ce qu’on appelle actuellement la « réforme de l’Église ».

Trois séries de moyens interviennent simultanément pour favoriser la réalisation de ce projet : un groupe de théologiens, en particulier latino-américains mais aussi européens, guidés par un leader intellectuel, le cardinal Kasper, un réseau de communication interne principalement appuyé sur la Compagnie de Jésus, entourant le pape François, lui-même personnellement impliqué dans l’entreprise, enfin les grands médias internationaux et les puissances financières les soutenant. Jamais une telle conjonction de moyens ni une telle centralisation n’avaient existé depuis le début de l’ère conciliaire, ni d’ailleurs auparavant.

L’appui extérieur, celui en particulier des grand médias internationaux, s’est manifesté dès le premier instant et, fait notable, demeure pratiquement constant depuis lors, en dépit de quelques petits incidents de parcours, soit lorsque François prend position contre l’idéologie du gender – interventions sporadiques n’ayant fait l’objet d’aucune réaction autre qu’un silence patient –, soit encore lorsque quelque chroniqueur du New York Times émet des réserves sur une affaire obscure comme la crise interne de l’Ordre de Malte derrière laquelle se profilent d’importantes luttes d’influence et d’intérêts. Une telle constance, alors même que l’hostilité envers la religion catholique et de nombreux articles fondamentaux de la morale chrétienne ne fait qu’augmenter, montre à l’évidence que Jorge Mario Bergoglio est toujours considéré par la culture dominante comme l’agent principal du changement interne de l’Église et qu’à ce titre il mérite un support inconditionnel tant qu’il demeurera constant dans la poursuite de cette entreprise de transformation. Tandis que la rubrique « religion » a disparu de la plupart des journaux occidentaux (au profit des rubriques « société » ou « culture »), les entretiens en pleine page de quotidiens (Die ZeitEl PaísLa RepubblicaLa Nación…) ne cessent d’offrir une tribune mondiale au projet et aux réalisations de François, à la plus grande satisfaction apparente des deux parties concernées. De la même manière, certains médias très peu favorables aux catholiques se font volontiers ses avocats, tel dernièrement le Guardian publiant un très long article dénonçant ses « ennemis » (« The war against Pope », 27 octobre 2017). Il est en outre de notoriété publique que les dirigeants des groupes financiers les plus puissants se montrent d’une générosité inattendue envers diverses œuvres pontificales, ce qui ne peut manquer de contribuer à favoriser la poursuite d’objectifs communs, par exemple la « lutte contre le réchauffement climatique », le « développement durable », la « santé reproductive » et autres grandes causes mondialisées, à l’abri desquelles sont poursuivis des fins antérieurement dénoncées comme autant de manifestations de la culture de mort.

À cette assistance externe s’ajoutent les efforts coordonnés d’une véritable structure de gouvernement, parallèle aux institutions officielles de la curie romaine, qu’il s’agisse du conseil des neuf cardinaux (dit C9), des conseillers privés en liaison constante avec le pape François, ou des jésuites mis à contribution pour gérer la diffusion ad intra de la nouvelle ligne « réformiste ». Ce noyau central est complété par une série de relais constitués par des instances nouvellement créées pour lutter contre la corruption financière, la surveillance des évêques dans leur gestion des crises, l’accueil des migrants, etc. ; plusieurs conférences épiscopales et regroupements régionaux d’évêques, lieux d’enseignement, maisons d’édition et publications démultiplient enfin l’exercice de ce pouvoir central. On retrouve ainsi, mais à un degré plus systématique et bien plus contraignant, un procédé institutionnel adopté vers la fin du concile, consistant à créer des organes spécifiques destinés à accélérer les processus d’application des orientations nouvelles. Dans la mesure où cet ensemble parallèle pèse fortement sur la structure officielle de l’Église, une interprétation en termes politiques pourrait y voir une certaine analogie avec la relation entre le parti, ou l’oligarchie, et l’État aussi bien dans les régimes de parti unique que dans les démocraties. La comparaison est d’autant plus aisément suggérée que le rapport entre les deux structures nourrit les conflits, sous deux formes : d’une part une résistance passive à l’intérieur de la curie romaine est avérée et même dénoncée à l’occasion par le pape François, d’autre part règne, tant au sein de la même curie que dans le corps des évêques, un climat de crainte sourde devant l’éventualité de sanctions brutales voire d’évictions instantanées, divers cas concrets ayant valeur d’avertissements exemplaires à cet égard.

Ce qui caractérise le plus la présente situation, et qui donne nécessairement le plus de chances de réussite au projet, c’est un exercice du pouvoir central à la fois prompt, souvent imprévisible, dégagé des contraintes procédurales et du respect des conventions établies, mais n’hésitant cependant pas à user des voies juridiques lorsque cela est utile. La méthode est d’autant plus efficace qu’elle est pratiquée en association avec quelques nominations ou déclarations à même de rassurer les esprits pusillanimes. Ce balancement entre le lion (majoritaire) et le renard (de temps à autre) permet le maintien d’une grande liberté d’action, couverte par une réputation d’imprévisibilité. Un cas récent en témoigne : la transformation expéditive de l’Institut pontifical Jean-Paul II d’études sur le mariage et la famille, supprimé le 8 septembre 2017 et aussitôt remplacé par une nouvelle institution de dénomination quasi identique, mais de composition et de finalité totalement différentes, cela à la suite des oppositions manifestées par divers dirigeants et enseignants de cette institution, et afin d’en faire un organe de transmission des nouveautés propres à Amoris laetitia, à commencer par une remise en question de l’encyclique de Paul VI Humanae vitae. Cette décision est, du point de vue formel, conforme aux règles canoniques – elle résulte d’un motu proprio – et manifeste clairement que les ressources juridiques sont d’une aide précieuse pour imposer rapidement une volonté sans s’enliser dans les difficiles manœuvres de la voie « dialogale ». La décision est ainsi motivée, dans le texte même du motu proprio Summa familiae : « Le changement culturel et anthropologique qui influence aujourd’hui tous les aspects de la vie et demande une approche analytique et diversifiée impose de ne pas nous limiter à des pratiques pastorales et missionnaires reflétant des formes et des modèles du passé. »

Un autre atout de la « réforme » en cours, et non des moindres, est sa cohérence théorique. L’énoncé que l’on vient de lire, comme tant d’autres, loin de relever d’une rhétorique purement occasionaliste – certains qui ne s’en tiennent qu’aux apparences le croient à tort – découle d’un programme qui ne fait qu’appliquer quelques idées clés de la théologie historiciste telle que, entre bien d’autres, Walter Kasper a pu la formuler. Cette référence à un système intellectuel qui repose sur la notion hégélienne d’un Esprit se mouvant à travers les temps autorise de considérer que la transmission du Bon Dépôt de la Foi est « vivante », ce qui permet toutes les adaptations à l’esprit du monde, c’est-à-dire à l’actualité de la culture dominante. Ces justifications théoriques, complétées de manière assez éclectiques par d’autres références théologiques et philosophiques de même veine, ou réinterprétées selon celle-ci, constituent une ressource psychologique confortant le volontarisme, qui permet notamment de maintenir le cap sur des objectifs stratégiques, même en présence d’obstacles et de résistances susceptibles d’imposer pauses ou retraits tactiques. Le déroulement des deux sessions du synode sur la famille l’a bien vérifié, puisque malgré l’opposition ou l’obstruction dues à la majorité des participants, ce qui avait été décidé avant même l’événement a trouvé son aboutissement dans la promulgation de l’exhortation – Amoris laetitia – censée recueillir le fruit des travaux. Toutefois le même événement révéla que le projet allait se heurter à des obstacles sans doute plus importants que ceux qui avait été prévus.

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Si tous ces éléments réunis offrent donc de larges chances de succès à la « réforme » en cours, ils ne peuvent cependant pas en masquer la faiblesse fondamentale. La ligne donnée en son temps par Benoît XVI était définie par l’herméneutique de la continuité. Cela avait l’avantage d’unifier le déclassement de divers aspects doctrinalement aventureux hérités de Vatican II. Mais cela avait aussi l’inconvénient de toute interprétation, toujours susceptible d’être remplacée par une autre, différente ou franchement opposée. La force de l’historicisme hégéliano-kaspérien est plus grande en raison de son aspect théorique systématique, mais elle souffre à son tour d’une autre faiblesse, plus radicale, qui provient de sa confrontation avec l’intangibilité substantielle de la doctrine du Christ fidèlement transmise à travers les âges. Cette faiblesse de fond suscite en conséquence quelques obstacles de taille au déroulement serein de la « réforme » bergoglienne.

Tout d’abord, les conditions générales internes de l’Église ont changé depuis le moment conciliaire et la crise qui s’est ensuivie. Le renouveau à la base, en particulier du clergé nouvellement arrivé, quoique quantitativement faible, est effectif et se caractérise par un retour, même s’il n’est ni complet ni homogène, à une vision nettement plus traditionnelle de la vie sacerdotale ou religieuse. Il ne peut donc pas jouer, sinon sur la base d’un malentendu qui ne saurait durer longtemps, le rôle de support de la « réforme ». Celle-ci ne peut en réalité compter fermement que sur la génération « conciliaire » finissante, et sur l’appui fort ambigu de modérés temporairement disponibles pour excuser ou travestir les ruptures les plus flagrantes au prix d’une sophistique utile, certes, mais en réalité gênante par leur manque de sérieux intellectuel et peu sûre à terme. Quant à l’implication d’un certain milieu sud-américain et des jésuites, il serait trompeur d’imaginer qu’elle est monolithique ou majoritaire. Elle met en œuvre de petites équipes de veille et de diffusion, attachées à délivrer par voie médiatique classique et par les réseaux sociaux électroniques un discours répétitif, autoréférentiel et aisément agressif contre les opposants réels ou présumés. D’autres relais existent, soit au sein de certaines congrégations romaines, soit encore des épiscopats déjà prédisposés aux orientations de la « réforme » (Allemagne, Belgique, Suisse, Malte…), mais là encore, ce sont des minorités.

La promulgation de l’exhortation Amoris laetitia a joué comme révélateur, puis catalyseur de divisions liées à ces engagements particuliers. Si auparavant l’herméneutique de la continuité ne faisait pas l’unanimité, elle ne donnait lieu qu’à des manifestations critiques feutrées, ou bien à des discussions d’orientation opposée mais situées sur le même terrain ; désormais il est acquis que la division s’est insérée à l’intérieur de l’Église, une cassure étant chaque jour plus nette entre cardinaux, entre conférences épiscopales, entre théologiens. De plus c’est de manière très fréquente que François, le principal artisan de la « réforme », s’en prend rageusement aux « pharisiens », aux esprits « rigides », « aux visages tristes » des « hypocrites légalistes », etc., autrement dit à tous ceux qui freinent la réalisation du projet, confirmant ainsi un état de lutte partisane ouverte pour imposer ce dernier.

Ces méthodes brutales et le fait même de se manifester comme un parti en lutte plutôt que comme une recherche collective de rénovation pacifique après un demi-siècle conflictuel, si elle permet à très court terme de précipiter le cours des choses, a pour contrepartie d’en affaiblir les chances de réussite à plus long terme. Le passage en force, le mépris et les invectives ternissent l’image d’une « miséricorde » sans cesse invoquée comme symbole d’un changement d’époque, mais s’exerçant de manière sélective et le plus souvent en inversant les fronts. Le fait est aggravé par le recours fréquent à des témoins externes, notoirement corrompus et antichrétiens, venant opiner sur la bonté intrinsèque du nouveau cours. Tout cela érode la crédibilité de l’entreprise. Or celle-ci, en définitive, ne peut obtenir de résultat positif que si elle arrive à un acquiescement, sinon de tous, du moins d’une grande majorité à l’intérieur de l’Église. Ce choix ostensible, ou cette introduction de l’alternative amis/ennemis à l’intérieur même de l’Église est hétérogène à la notion de l’unité, telle que l’exprime si fortement le chapitre 17, verset 21 de l’évangile selon saint Jean – « que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé ».

Cette situation dialectique créée d’en haut tranche fortement avec celle qui avait prévalu au moment du concile, lorsque Paul VI cherchait à obtenir un consensus, fût-ce au prix de certains pas en arrière, ce qui lui avait valu les récriminations de la fraction la plus activiste, mais révélait chez lui un sens manœuvrier qui manque fortement aujourd’hui à Jorge Mario Bergoglio et aux siens.

Maintenant, sans doute en raison de la nécessité de profiter à fond d’un moment que l’on sent bref, par cohérence aussi avec le support théorique qui applique à l’histoire de l’Église du Christ un schéma évolutionniste fait de contradictions successives, sans oublier les motifs psychologiques tenant à l’histoire personnelle de François, ce sont des ruptures profondes et rapides qui sont recherchées, dans une sorte d’immédiatisme révolutionnaire. Pourtant, si le corps ecclésial est dans l’ensemble sorti anesthésié du demi-siècle écoulé, il a aussi connu dans les dernières décennies un certain renouvellement humain et spirituel qui ne porte pas tout le monde à accepter de gaieté de cœur l’obligation de s’aligner sur l’esprit du temps, inversant soudain l’insistante invitation antérieure à lutter contre la « culture de mort » sous toutes ses formes. Il est donc inévitable que le projet de François se heurte à des freins, des oppositions sourdes, voire de francs blocages. Et le manque de mesure qui découle de l’enfermement idéologique, de l’excès de confiance en soi et du volontarisme engendre l’incapacité d’apprécier correctement cette situation. La perte du sens des limites risque donc de mettre en péril le projet lui-même.

L’une des contradictions les plus ressenties réside dans le double discours célébrant le dialogue et la libre expression – la parrhesia à laquelle a répétitivement incité François – et l’ensemble des procédés mis en œuvre pour écarter les objections, parfois de manière quasi instantanée, parfois avec retard mais sans oubli ni pardon. C’est cependant le refus de répondre de manière directe aux doutes ou arguments opposés qui donne le plus à réfléchir, une pratique apparue clairement au moment du synode romain sur la famille et depuis en présence des demandes d’éclaircissement (dubia) présentées par quatre cardinaux. Le père Spadaro, directeur de la Civiltà cattolica, au moment de la mise en vente de son nouveau livre d’entretiens avec François, Adesso fate le vostre domande – Maintenant posez vos questions, Rizzoli –, s’est cru obligé d’émettre le tweetsuivant : « Le pape François accepte les entretiens pour écouter les vraies questions des gens. Mais il n’accepte pas les questions avec de faux doutes. » (21 octobre 2017). Effectivement seules quelques répliques obliques ont été produites par personnes interposées, sous forme de constructions sophistiques assorties d’arguments ad hominem. Ou bien encore par le biais d’une campagne lancée en Allemagne, intitulée Pro pope Francis, appelant à adhérer au « rêve » d’une Église où « la compassion et non la loi aura le dernier mot ». Ce persistant refus, que l’on doit apparenter à un déni de justice, parle de lui-même. Il indique quelle est la plus grande faiblesse susceptible de faire échouer le projet bergoglien, ou mieux, signifie qu’il a déjà échoué dans son principe. Si ce projet était cohérent avec les implications de l’Écriture et de la Tradition, il représenterait en effet un progrès « dans le même sens, selon le même dogme et dans la même pensée » que le noyau initial (Vatican I, Constitution De fide catholica, DB 1800) : non pas une nouveauté contradictoire de ce qui précède mais sa compréhension plus profonde. Il n’aurait nul besoin d’une cohorte de sophistes se torturant l’esprit pour y voir la continuité dans la rupture, et moins encore d’outrager ceux qui ont l’outrecuidance de ne pas trouver évidente cette continuité. La « réforme » est donc réduite à n’être qu’une praxis, efficace sans doute du fait de la violence avec laquelle elle s’opère, mais qui n’a pas la force morale de s’imposer aux consciences catholiques sans les heurter de front. Au silence maintenu face aux demandes répétées de clarification répond d’ailleurs le lourd et pesant silence de ceux qui ont compris le caractère problématique de la voie envisagée et s’abstiennent de voler à son secours.

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Pour conclure provisoirement, revenons sur la question initiale : la « réforme » bergoglienne peut-elle aboutir ? Il est possible, et même acquis dans les faits qu’elle puisse réussir à ébranler certaines structures ecclésiales, encourager massivement des comportements en contradiction avec la loi du Christ, et contenter jusqu’à un certain point ou jusqu’à un certain moment ceux qui possèdent de grands pouvoirs sur une partie de la Planète. Au-delà, les équilibres géopolitiques sont instables et mal prévisibles à terme, de sorte que ce soutien essentiel peut très bien cesser du jour au lendemain.

L’aspect positif de l’affaire est qu’elle vient révéler bien des intentions cachées, en même temps qu’elle manifeste sa nature partisane. Elle constitue aussi une révélation des possibilités offertes par l’option « pastorale » conciliaire, caractérisée par l’élaboration assez fréquente de textes interprétables en des sens divers, débouchant nécessairement sur le pluralisme des interprétations, et ouvrant la voie au primat de la praxis, d’abord victorieux, puis tenu en échec, retrouvant maintenant son inspiration première, celle que ses partisans avaient appelée l’esprit du concile. Désormais toute recherche de mitigation en forme de « troisième voie » est exclue, ce qui, en définitive, est un bien.

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