L’un des arguments avancés par don Chiodi pour tenter de discréditer le magistère du Pape Jean-Baptiste Montini sur l’illicéité intrinsèque de toute action qui sépare intentionnellement « les deux aspects essentiels de l’acte conjugal ; union et procréation » (HV, 12) s’appuie sur l’observation de nature statistico-sociologico-pastorale selon laquelle cette norme serait largement ignorée par le peuple de Dieu, avec la conséquence pratique qu’elle n’est pas observée par la plus grande partie des épouses et des maris qui, même s’ils ont recours à la contraception, ne s’accuseraient pas de ce péché lors d’une confession sacramentelle et n’imagineraient pas demander pas l’aide de leur confesseur afin d’évaluer la droiture leur comportement.
L’argument qui consiste à affirmer qu’« une vaste majorité même au sein des couples de croyants vit comme si cette normale n’existait pas » (citation de la traduction anglaise de Diane Montagna extraite de l’enregistrement de la conférence de don Chiodi publiée sur Life Site News le 8 janvier) n’est certes pas originale. En 1985 déjà, Mgr Giuseppe Angelini, lui aussi théologien de la FTIS, écrivait ceci : « L’écart entre la morale personnelle des catholiques et le magistère ecclésial est particulièrement criant sur le thème de la contraception. […] On a noté à plusieurs reprises la distance des arguments proposés pour soutenir la condamnation morale de toute technique de contraception artificielle par rapport à la perspective personnaliste d’approche du thème de la sexualité » (« La teologia morale e la questione sessuale. Per intendere la situazione presente », in: Aa. Vv., « Uomo-donna. Progetto di vita », Rome 1985, 47-102, pp. 49-50).
La tentative de reporter sur les fidèles laïcs – et en plarticulier sur les époux – la charge de la preuve que l’enseignement de HV sur la régulation naturelle des naissances n’appartiendrait pas au patrimoine ferme et constant de la doctrine morale catholique se révèle maladroite et fallacieuse et doit donc être réfutée.
Ce serait un jugement téméraire que de considérer les époux catholiques comme les principaux ou les seuls responsables du fait que la norme de HV n’ait pas été mise en œuvre et de prétendre qu’ils l’auraient écartée au nom d’une « autre vérité » du rapport entre amour et procréation qui ne permettrait pas à leur conscience de juger en définitive la contraception comme un mal.
A bien y regarder, et en se basant sur une lecture de la question théologique et pastorale d’Humanae vitae dans de nombreuses Eglises locales à partir de la fin des années soixante, il n’en est pas ainsi.
Comme l’enseigne de Catéchisme de l’Eglise Catholique (CCC), suivant en cela la théologie morale et le magistère précédent, « l’être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience. » (CCC, n° 1790). Est-il donc permis de penser que de nombreux croyants mariés (dans certaines communautés chrétiennes peut-être même la majorité ou même la quasi-totalité d’entre eux), quand ils ont choisi de recourir à la contraception, aient écouté leur conscience dont la voix ne leur indiquait pas avec certitude que la contraception était intrinsèquement un mal ? Leur comportement « en âme et conscience » n’est-il pas la preuve morale que la loi de HV serait contraire à la conscience des époux chrétiens et qu’elle serait donc injuste ? Non. Leur conscience, bien que certaine, n’était pas droite puisque « il arrive que la conscience morale soit dans l’ignorance et porte des jugements erronés sur des actes à poser ou déjà commis. » (CCC, n° 1790).
Posons-nous donc la question suivante : par leur choix de recourir à la contraception « en suivant leur conscience erronée », tous ces époux portent-ils la responsabilité d’un « témoignage de la conscience » contre le magistère qui consisterait à indiquer aux responsables de l’enseignement moral catholique que ce qui est prescrit par HV entre en conflit avec la conscience du croyant et n’a donc aucune valeur contraignante ?
S’il en était ainsi, le théologien moraliste ou en pastorale qui recueille le vécu des époux par rapport à la régulation des naissances et l’étudie afin de soumettre à l’autorité de l’Eglise une proposition concernant cette question (comme entend le faire don Chiodi), leur ferait porter une lourde responsabilité. Sur base de ce que leurs choix en conscience révèlent, on émettrait en fait un jugement qui sera traduit dans une norme (nouvelle ou modifiée, ou encore réinterprétée) applicable à tous les croyants. Si le témoignage de leurs consciences était faux, les fidèles porteraient la responsabilité d’avoir imprimé une orientation trompeuse à toute l’Eglise et le théologien dissimulerait sa responsabilité par rapport à cette « nouvelle voie » derrière la réponse du peuple à cette question digne de Ponce-Pilate : « En conscience, que voulez-vous que nous libéralisions ? La régulation naturelle de la fertilité ou la contraception ? ».
En réalité, il ne peut pas en être ainsi. Ce serait trop facile (et surtout malhonnête) de ne pas prendre en compte qu’une conscience erronée et ses jugements ne sont pas toujours imputables à la responsabilité des individus.
Ce n’est pas toujours l’abstention coupable de rechercher la vérité qui se trouve à l’origine des déviances de jugement de la conscience, ce peut être aussi une ignorance non-coupable de la vérité et du bien. (cf. CCC, n°1792-1793). Cela peut arriver, par exemple, quand une personne ou même un nombre important de croyants n’ont pas eu la possibilité de recevoir une formation adéquate de la conscience et un éclairage du jugement moral (cf. CCC, n°1783) parce qu’on ne leur a pas donné la possibilité de connaître fidèlement et intégralement les enseignements de l’Eglise qui les concernent directement.
C’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de la doctrine de HV. Pendant des décennies, un nombre incalculable de prêtres, de catéchistes, de formateurs et d’accompagnateurs des parcours de préparation au sacrement du mariage, de formateurs des jeunes dans les paroisses, les associations et les mouvements catholiques ont passé sous silence de manière coupable l’enseignement de l’Eglise à propos de la régulation des naissances.
Ou bien ils l’ont présenté de façon partielle ou erronée, par exemple en prétendant que ce qui compte pour les époux c’est de « s’ouvrir à la vie », de faire un ou deux enfants et non pas (selon HV) de faire en sorte que chaque acte conjugal reste ouvert à la vie selon le dessein créateur de Dieu qui prévoit que la femme n’est pas fertile pendant toutes les périodes de l’âge où elle est féconde.
Ils sont également nombreux – parmi les prêtres et les laïcs chargés de la pastorale familiale – par ignorance coupable, à ne pas s’être mis à jour sur les aspects pratiques des méthodes de régulation naturelle de la fertilité et sur leur capacité effective à identifier les jours pendant lesquels le coït peut donner lieu à une conception et ceux pendant lesquels elle ne peut avoir lieu. Nombre d’entre eux sont restés bloqués sur la seule mesure des variations cycliques de la température interne dans des conditions basales (méthode de la courbe de température) qui n’était effectivement pas fiable à l’époque où HV a été promulguée, ignorant le fait qu’entretemps, d’autres méthodes basées sur des mesures symptomatiques ou biochimiques (niveau des hormones dans les urines) sont à présent disponibles ou aujourd’hui utilisées pour identifier les jours où la femme est fertile, et donne – quand on l’associe à la continence périodique – des résultats comparables à ceux des méthodes contraceptives le plus répandues. Combien de prêtres et d’éducateurs continuent à répéter aux fiancées et aux époux : « de toute façon, ces méthodes ne fonctionnent pas ! » ou encore « si vous les utilisez, vous ferez des enfants comme des lapins ! ».
Au contraire, dans les communautés catholiques (mais pas seulement) aussi bien des pays occidentaux qu’en Afrique et en Asie, là où les méthodes naturelles sont présentées et enseignées aux couples d’époux de façon correcte aussi bien en ce qui concerne leurs raisons d’être anthropologiques et éthiques que leur application pratique, elles rencontrent un consensus important chez les époux, dans les familles et chez les jeunes. Et plus encore aujourd’hui qu’à l’époque de la publication d’HV puisque la vision anthropologique qu’elle propose se confronte aujourd’hui à une vision « laïque » de la vie sexuelle et de la procréation guidée par une plus grande sensibilité à l’« écologie du corps humain » (en particulier de celui de la femme) et du recours à la « nature » pour en réguler les différences fonctions plutôt que de recourir à des produits issus de l’industrie chimique et pharmaceutique ou à des dispositifs mécaniques.
Mais ce serait ingrat voire même gravement injuste envers les prêtres et leurs collaborateurs pastoraux de leur imputer l’entière ou la principale responsabilité de ne pas avoir correctement formé les consciences des fidèles ou des époux catholiques en matière de procréation responsable.
En effet, trop souvent, le clergé lui-même n’a pas été correctement ni adéquatement formé sur l’enseignement de HV. Dans combien de séminaires, de cours des facultés de théologie ou de journées de ressourcement pour les prêtres, les diacres, les religieux et les religieuses a-t-on enseigné les principes anthropologiques et moraux sous-jacents à la doctrine de HV ? Si eux-mêmes sont incapables de faire pleinement droit à l’enseignement du bienheureux Paul VI, confirmé par ses successeurs jusqu’au pape actuel, comment pourraient-ils éclairer les fidèles sur ce point ?
Une lourde responsabilité de cette situation déplorable repose donc sur de nombreux professeurs d’anthropologie théologique du corps et de la sexualité, de théologie morale de la vie matrimoniale qui enseignent dans les séminaires, les facultés de théologie et dans les instituts supérieurs de sciences religieuses. Sans oublier la responsabilité, grave elle aussi, des évêques diocésains et des supérieurs des ordres religieux qui ont nommé ces professeurs ou ont omis de contrôler leur travail de formation des séminaristes, du clergé et des religieux.
Du reste, on n’oubliera pas que ce même professeur Chiodi a été appelé plusieurs fois par l’actuel président du Conseil pontifical pour la famille, l’archevêque Vincenzo Paglia, pour organiser des séminaires sur la morale conjugale et sur la procréation devant les officiels de ce dicastère. Lesquels cependant – solidement formés à l’école des prédécesseurs de Mgr Paglia, les cardinaux Alfonso López Trujillo et Ennio Antonelli – ne se plièrent jamais à ces tentatives d’endoctrinement à l’initiative de celui qui est aujourd’hui président de l’Académie pontificale pour la vie.
Merci pour votre attention et veuillez accepter mes salutations les plus amicales, « ad maiorem Dei gloriam ».
[lettre signée]
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Dans ce climat de révisionnisme appliqué à « Humanae vitae », il faut toutefois également mentionner certaines prises de position pour soutenir l’enseignement authentique de cette encyclique.
C’est entre autre le cas de la lettre pastorale publiée le 2 février, jour de la fête de la présentation de Jésus au temple, par l’archevêque de Denvers Samuel J. Aquila, disponible sur le site du diocèse aussi bien en anglais qu’en espagnol :
> The Splendor of Love
> El Esplendor del Amor
Cette lettre fait largement référence à la « théologie du corps prêchée par Jean-Paul II et tire un bilan très positif des cours de Natural Family Planning proposés aux jeunes couples par le diocèse, avant et après leur mariage.
Elle est rédigée dans un langage simple et efficace et se conclut par un dictionnaire des termes qui font l’objet de controverses, de chasteté à contraception en passant par paternité responsable et révolution sexuelle.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.
Commentaires
Le souffle de l'Esprit Saint a soufflé ici en tempête. Habitant sur la côte, et en tant que médecin, je crois pouvoir parler en double connaissance de cause.
Merci d'e tout coeur pour avoir publié cela.
Écrit par : Philippe Schepens | 09/02/2018