La messe, sacrifice de réconciliation institué le Jeudi Saint (29/03/2018)
Du Père Simon Noël osb, sur son blog, cet article rédigé pour la revue Radouga :
La messe, sacrifice de réconciliation
Le Christ, notre réconciliation dans l'eucharistie
Par sa mort sur la Croix, Jésus-Christ a réconcilié l'humanité avec le Père et aboli les séparations entre les hommes en détruisant le mur de la haine. Il a ainsi apporté la paix véritable à l'humanité. Ce sacrifice de réconciliation et de paix est rendu présent en chacune de nos messes. Il y a une identité substantielle entre le sacrifice de la Croix et celui de la messe. La victime propitiatoire et le prêtre sont la même personne : celle du Christ. Seul le mode d'offrande est différent : le sacrifice est sanglant sur la Croix, il est non sanglant à la messe.
C'est l'âme en paix, réconciliée, que nous devons participer à la messe. Dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, la grande litanie de la paix qui commence la liturgie débute par ces mots : En paix, prions le Seigneur. Cela indique bien dans quel esprit nous devons prier à la messe.
Dans l’Évangile, Jésus est très clair sur cette question : Si donc tu apportes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis tu viendras présenter ton offrande (Matt. 5, 23-24). C'est pourquoi dans la liturgie orientale le baiser de paix à lieu juste avant la prière eucharistique, avant l'offrande du sacrifice. Dans le rite romain, il a lieu avant la communion, mais il va de soi que les dispositions profondes de ce rite doivent être présentes dès le début. Le rite romain souligne que la communion qui va avoir lieu est non seulement communion avec Dieu mais aussi communion entre nous.
Le sacrifice de la messe, institué lors de la dernière Cène, a les caractères d'un repas, donc d'un moment de convivialité. On ne vient pas à table les armes à la main. Un repas suppose l'harmonie entre les convives. La fête est gâchée si les participants ont entre eux des sentiments de discorde, de jalousie ou de rivalité. Dans un monastère les repas sont aussi conçus comme des liturgies, qui prolongent la célébration eucharistique. Ainsi, dans les monastères orthodoxes, les jours de fête, on se rend après la liturgie en procession au réfectoire avec l'icône de la fête, et on prolonge l'eucharistie par le repas de fête qui rassemble dans la joie de la réconciliation toute la communauté. Les réfectoires du reste ont tendance à ressembler à des églises.
Déjà dans l'ancien Testament, le sacrifice offert se poursuivait la plupart du temps par un repas, qui concrétisait l'unité des participants entre eux et avec la divinité. Voici ce qu'on peut lire dans le livre de l'Exode à propos de la grande théophanie du Sinaï : Moïse monta ensuite avec Aaron, Nadab, Abihou et les soixante-dix anciens d'Israël. Ils virent le Dieu d'Israël ; il y avait sous ses pieds comme un dallage de saphir, si pur que l'on aurait dit le ciel. Dieu ne porta pas la main sur ceux qu'il avait choisis, mais ils virent Dieu ; ils mangèrent et ils burent (Ex 24, 9-11). Il est donc remarquable que ce moment solennel de la rencontre entre Dieu et son peuple se soit déroulé dans le cadre d'un repas, moment de paix et de réconciliation. Dans l’Écriture, la vie bienheureuse du ciel, de la vie avec Dieu, dans la vision divine, est souvent décrite comme un grand festin qui rassemble l'humanité dans la joie d'une fête perpétuelle de l'harmonie universelle et de la totale réconciliation. L'eucharistie en ce sens est un avant-goût de la fête éternelle.
Prières eucharistiques pour la réconciliation
En 1975, à l'occasion de l'année sainte, le Saint-Siège a donné son approbation à deux nouvelles prières eucharistiques, centrées sur le thème de la réconciliation. La seconde de ces prières va maintenant nous inspirer pour approfondir le thème de l'eucharistie comme sacrifice de réconciliation. La réalité du péché fait que l'humanité est désunie et déchirée. L'action salvifique de Dieu sera par conséquent une œuvre de pacification et de réconciliation. En ce sens le sacrifice de la Croix est un sacrifice propitiatoire, un sacrifice qui procure la paix, paix des cœurs avec Dieu, par le pardon des péchés, paix des hommes entre eux, par le dépassement des haines et des divisions. Ce sacrifice est une victoire sur le diable, terme qui signifie le diviseur, celui qui est à l'origine des divisions entre l'homme et Dieu et entre les hommes eux-mêmes. Dieu est dès lors à l'origine de tout effort vers la paix.
Voici ce qu'on peut lire dans la préface de cette nouvelle prière eucharistique : Ton esprit travaille au cœur des hommes : et les ennemis enfin se parlent, les adversaires se tendent la main, des peuples qui s'opposaient acceptent de faire ensemble une partie du chemin. Oui, c'est à toi, Seigneur, que nous le devons, si le désir de s'entendre l'emporte sur la guerre, si la soif de vengeance fait place au pardon, et si l'amour triomphe de la haine.
Cette réconciliation est le fruit du sacrifice du Christ, qui est venu parmi nous pour être la main tendue aux pécheurs et le chemin par où nous arrive la paix véritable. La Croix réalise le chant des anges lors de la nativité : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Le salut apporté par la Croix n'est pas seulement une réalité extérieure, comme si Dieu entendait seulement ne pas punir les hommes, tout en les laissant comme ils sont. Il s'agit d'un salut intérieur, d'une véritable transformation du cœur humain, convertissant la volonté mauvaise en une bonne volonté. Nous devenons ainsi par la grâce du Christ des hommes de bonne volonté, sur lesquels peut venir ainsi la paix céleste.
La messe est dès lors une célébration joyeuse et pleine de reconnaissance pour le mystère de cette réconciliation que le Christ nous a obtenue. Au moment de la consécration, la prière rappelle que le Christ s'est offert pour notre libération et qu'en prenant la coupe de bénédiction, lors de la dernière cène, il a rendu grâce pour la miséricorde du Père.
Après la consécration, cette prière eucharistique pour la réconciliation se poursuit en faisant le mémorial de ce que le Christ a laissé à son Église : son amour. Et nous faisons l'offrande du sacrifice qui nous rétablit dans la grâce divine, en rappelant que cette offrande que nous faisons est elle-même un don de Dieu.
Dans l'épiclèse, nous demandons dans ce repas le don de l'Esprit Saint, comme celui qui peut faire disparaître les causes de nos divisions. Nous constatons bien ainsi que le salut donné par Dieu est une véritable guérison intérieure, qui remonte jusqu'au causes profondes de nos maladies et de notre péché, dont les divisions entre nous sont la manifestation la plus évidente. La messe doit donc nous procurer une augmentation de la charité et de la communion entre nous.
Nous demandons entre autres la communion avec le pape et les évêques, avec toute l’Église. L’Église est dans le monde le signe visible de l'unité et la servante de la paix. L'eucharistie construit l’Église comme une communion entre les hommes, un lieu de pardon et de réconciliation. La communion de tous les catholiques avec le pape préfigure ainsi l'unité de tout le genre humain dans le Christ, lui qui est notre paix et notre réconciliation.
La prière eucharistique se conclut ainsi par une vision eschatologique particulièrement puissante : Et comme tu nous rassembles ici, dans la communion de la bienheureuse Mère de Dieu, la Vierge Marie, et de tous les saints du ciel, autour de la table de ton Christ, daigne rassembler un jour les hommes de tout pays et de toute langue, de toute race et de toute culture, au banquet de ton Royaume ; alors nous pourrons célébrer l'unité enfin accomplie et la paix définitivement acquise, par Jésus, le Christ, notre Seigneur.
Cette nouvelle prière eucharistique entendait mettre en valeur de manière explicite, avec des termes choisis, la dimension de réconciliation présente dans l'eucharistie. Mais quand on y regarde de près cette dimension fondamentale est présente dans toutes les prières eucharistiques.
La réconciliation dans le rite de la messe
Mais il n'y a pas que la prière eucharistique à mettre l'accent sur le thème de la réconciliation. Toute la messe le fait. Notons-en les principaux éléments. La préparation pénitentielle au début est déjà un premier acte communautaire de réconciliation. Dans le gloria, on s'adresse au Christ ainsi : Toi qui enlèves le péché du monde. La prière qui conclut l'offertoire, et qui exprime le sens profond du sacrifice qui va être offert, parle parfois de la réconciliation et de l'unité. La préface offre une synthèse du mystère célébré dans la messe du jour. Il n'est donc pas rare que notre thème apparaisse lui aussi. La consécration du calice est explicite en parlant du sang de l'alliance nouvelle et éternelle, versé pour la multitude en rémission des péchés. La troisième prière eucharistique a ces termes : Par le sacrifice qui nous réconcilie avec toi, étends au monde entier le salut et la paix. Il y a ensuite la Notre Père où nous prions : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. La prière après le Notre Père poursuit : Donne la paix à notre temps ; par ta miséricorde, libère-nous du péché. De même la prière pour la paix met en relief la paix et l'unité, en demandant au Seigneur de ne pas regarder nos péchés, en particulier le péché de division. Lors de la fraction nous chantons : Agneau de Dieu, qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous, donne-nous la paix. De la même manière avant la communion le prêtre présente la sainte hostie en disant : Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
La réconciliation est donc bien au cœur de la messe. Il ne nous est donc pas permis, sous peine d'être profondément illogique, de participer à l'eucharistie sans avoir dans le cœur et dans notre prière, un profond désir de la réconciliation universelle et de l'unité, et sans essayer de vivre ce mystère, qui est un don de Dieu, dans le concret de nos existences.
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