Et si le vrai féminisme était de briser enfin l’interdit qui règne autour de l’avortement et de le descendre de son piédestal imposé ? (13/08/2018)

D'Anne-laure Debaecker sur le site de Valeurs Actuelles :

Avortement : une liberté tronquée 

Loi du silence. De nombreux témoignages, au fil des ans, dévoilent un manque d’information et de suivi pour celles qui ont eu recours à l’IVG. Un livre écrit par la fondatrice d’Ivg.net revient sur ce tabou sociétal.

On est marqué au fer rouge. On souffre en cachette. Cela fait vingt ans que j’ai fait cet avortement. Mon corps et mon esprit sont mutilés. » Ce cri du coeur de Catherine, 45 ans, rejoint celui de milliers d’autres femmes, au sujet d’une douleur cachée car non reconnue. Plus que l’argent, le sexe ou même l’euthanasie, l’avortement est le sujet tabou en France. Le sujet que l’on ne peut évoquer sans risquer d’essuyer, d’emblée, une levée de boucliers scandalisés, une accusation d’entrave voire, désormais, des menaces de représailles judiciaires. Les séquelles physiques et psychologiques qui découlent malheureusement souvent de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sont alors tout autant tues et négligées. Comment reconnaître qu’un acte médical que la société et la loi décrètent anodin pourrait avoir des conséquences aussi lourdes ?

« Au moment de l’IVG, c’est sûr que ce n’est pas un moment très agréable à passer », concède le site du gouvernement (Ivg.gouv.fr), qui compare la douleur découlant de l’arrêt d’un processus de vie à n’importe quelle douleur physique que certaines vivent plus ou moins bien. Et pourtant. Dépression, angoisse d’infertilité, syndrome de la date anniversaire, besoin de retomber rapidement enceinte, comportements d’évitement, troubles sexuels, colère, anxiété, refoulement, perturbations des relations humaines… Multiples sont les facettes du syndrome post-IVG qu’identifie Marie Philippe, fondatrice du site Ivg.net, après dix années passées à lire à et écouter personnellement plus de 8 500 appels et 1 500 témoignages écrits. Le site, qui reçoit plus de 3 000 appels par an pour 15 écoutantes, avait subi les foudres de Marisol Touraine, car sa popularité le faisait se trouver en tête des recherches Google. Il a, en effet, pour objectif de permettre aux femmes de faire le choix qui leur corresponde, en pleine conscience de l’acte qu’elles accompliront, quel qu’il soit, et de « libérer une parole ignorée ». Car, dénonce Marie Philippe dans un ouvrage édifiant qui expose le fruit de cette décennie d’écoute, l’IVG banalisée devient un véritable problème de santé publique.

 

Le syndrome post-IVG, décrit comme une sensation de vide, une douleur psychique proche d’une dépression, qui peut survenir plusieurs années après, fait l’objet de très peu de publications médicales en France, contrairement aux pays anglo-saxons et scandinaves. L’auteur y voit une autocensure plus ou moins consciente des médecins, qui ne veulent pas sembler se mettre en porte-à-faux d’un consensus autour d’un droit médiatisé et sacralisé. Paralysés par la peur de tomber sous le coup de la loi, ils optent alors pour une neutralité affichée, un refus de prendre position et même d’informer. La femme qui découvre une grossesse non attendue, très souvent ambivalente dans son désir de l’enfant à venir, désir qui survient souvent pendant la période de réflexion (qui était obligatoire jusqu’en 2016 entre la première demande d’acte d’IVG et l’acte lui-même), se retrouve ainsi très seule dans sa réflexion tout comme dans la gestion des conséquences qui en découlent, dans un monde qui pousse à aller de l’avant sans trop réfléchir. « On a banalisé cet acte. On a cru que nous avions cette “liberté”… mais c’est aussi un enfermement psychologique. L’avortement a un prix, et c’est de notre personne que nous payons », dénonce Marianne, 49 ans.

Une véritable loi du silence s’abat désormais sur l’avortement : sur l’acte en lui-même, dont la réalité scientifique est complètement atténuée sur le site du gouvernement (on évacue le « contenu » ou l’« oeuf » de l’utérus…), et sur la souffrance qui peut en découler, avec des femmes interdites de parole. Cette omerta est d’autant plus grave que, et c’est là tout le paradoxe de ce droit, la libération tant vantée est un leurre. Le choix de l’avortement est, en effet, rarement pleinement libre : la femme ne reçoit pas des informations de vérité sur ce qu’elle compte faire. En outre, qui parle des pressions (médicales, institutionnelles, familiales) subies par celles qui décident finalement de poursuivre une grossesse, alors que la société estime que la situation justifie un avortement ? Plus grave encore : les femmes, depuis la loi Aubry de 2001, ne disposent plus de dispositifs légaux pour se protéger des pressions psychologiques qui les poussent à avorter, comme si cet acte était, d’emblée, un acte positif. Combien de femmes ont été contraintes par leur petit ami, conjoint, mari à avorter ? Dans les nombreux témoignages, ils sont les premiers demandeurs et défenseurs de l’avortement. « Trop souvent, l’IVG est un droit des femmes… utilisé par les hommes », déplore Marie Philippe. À l’époque du #Balancetonporc, et si le vrai féminisme était de briser enfin l’interdit qui règne autour de l’avortement et de le descendre de son piédestal imposé ?

Capture%20d%E2%80%99e%CC%81cran%202018-08-09%20a%CC%80%2011.26.44.png  Après l'IVG : des femmes témoignent, de Marie Philippe, éditions Artège, 208 pages, 11 euros

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