La réforme de la Curie ou quand la montagne accouche d'une souris (24/05/2019)

Du site de l'Homme Nouveau :

[Avant première] Le contenu du projet de réforme de la Curie 
Une ecclésiologie revisitée

Rédigé par la rédaction le  dans Religion

[Avant première] Le contenu du projet de réforme de la Curie  <br>Une ecclésiologie revisitée

Nous publions ici les passages les plus significatifs du projet, en son état actuel, de la réforme de la Curie élaborée par le Conseil de cardinaux (composé aujourd’hui de six cardinaux), coordonné par le cardinal Rodriguez Maradiaga, qui avait été créé au début du pontificat du Pape François pour la préparer. Il est probable que les lignes principales n’en seront pas modifiées avant sa parution. Elle pourrait intervenir le 29 juin prochain. Cela contredirait cependant la philosophie du texte, qui prévoit que toutes décisions importantes sont désormais prises après consultation de toutes les Églises particulières. Or, on est actuellement dans la phase de consultation des Conférences des Évêques sur ce projet. On risque donc paradoxalement de voir promulgué un texte magnifiant la synodalité, élaboré et imposé par le centre romain1

À vrai dire, à la lecture du projet, on est tenté de citer le dicton : parturiunt montes, nascetur ridiculus mus, la montagne d’« annonces » concernant une radicale réforme a accouché d’une souris. Elle se résume à des regroupements d’organismes (Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, qui absorbe les Conseils pour les Laïcs et pour la Famille ; Dicastère pour le Service de Développement humain intégral, qui regroupe les compétences des Conseils « Justice et Paix », « Cor Unum », Pour la Pastorale des Migrants et Pour la Pastorale des Services de Santé ; Dicastère pour l’Éducation et la Culture, qui regroupe une Congrégation et un Conseil), regroupements dont certains étaient déjà réalisés. Elle consacre, ce qui est le plus neuf, la création d’un Dicastère pour la Communication et d’un Secrétariat pour l’Économie. Mais la Secrétairerie d’État, malgré toutes les déclarations affirmant qu’elle deviendrait un simple et modeste secrétariat du Pape, reste l’administration mère et maîtresse de la Curie, dont la première section, des « Affaires générales », est toujours en charge de la « coordonner ».

Et pourtant, nombreux sont les aménagements symboliques, qui veulent faire entendre qu’on opère (à peu de frais, semble-t-il) une mutation ecclésiologique et une mutation d’esprit par laquelle une Curie, taxée de conservatisme bureaucratique, deviendra un instrument au service de la synodalité. 

Il est à remarquer que le terme traditionnel de Congrégation, qui rappelait que ces « ministères » du Pape agrégeaient ensemble des cardinaux prenant les grandes décisions en assemblées plénières, a disparu. C’est un autre paradoxe, dans la mesure où l’appellation rappelait que l’antique organisation de la Curie était celle d’un évêque de Rome gouvernant « en ses conseils ». C’était une polysynodie, un gouvernement structurellement synodal, par conséquent. Le terme est remplacé par celui plus générique de Dicastère, avec cette précision que les membres de la plenaria seront désormais, non seulement des cardinaux et des évêques, mais aussi des prêtres, des diacres, et des laïcs, certains Dicastères pouvant même avoir pour Préfets des laïcs. 

L’affirmation du projet de Constitution, « la Curie agit comme une sorte de plateforme et un forum de communication par rapport aux Églises particulières et aux Conférences des Évêques », résume bien la grande idée que l’on veut faire entendre, de même que les nombreuses mentions des consultations des Conférences des Évêques, voire de participation de ces Conférences aux décisions (« Les Dicastères, les Bureaux et les organismes de la Curie romaine doivent toujours collaborer pour les questions les plus importantes avec les Églises particulières et les Conférences des Évêques »). 

Les signes donnés aux thèmes dans l’air temps abondent : par exemple, l’existence du Dicastère pour le service du développement humain intégral, qui aura à traiter « d’un développement équitable et intégral de l’atmosphère pour la conservation de la maison commune, la protection des biens communs, que sont l’air, la terre, l’eau et le climat » ; ou encore l’élévation de l’Aumônerie Apostolique, chargé des dons et aumônes du Pape, au rang de Dicastère pour le service de la charité ; et aussi le fait que le Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie ait à promouvoir « la participation et l’élaboration de modèles de direction de la femme dans l’Église » ; etc.

Mais l’élément le plus marquant de ce texte est l’humiliation symbolique de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (anciennement Saint-Office2). Cette Congrégation était chargée d’aider le Pape dans ce qui le spécifie comme successeur de Pierre : il est fait pour confirmer ses frères évêques et toute l’Église dans la foi catholique. Ce rôle était tellement important que cet organisme, qualifié de Suprema (Suprême Congrégation), n’avait, avant le Concile, pas de Préfet, Pierre étant par nature le Préfet de la Foi : il était dirigé, au nom du Souverain Pontife, par un Secrétaire (le dernier fut le cardinal Ottaviani). Mais, même après Vatican II, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi était restée, bien qu’amoindrie, le premier des dicastères. Devenu aujourd’hui Dicastère pour la Doctrine de la Foi, égal aux autres en dignité, il prend rang désormais après le Dicastère pour l’Évangélisation. L’évangélisation l’emporte sur la doctrine, alors qu’on avait toujours considéré que l’évangélisation n’était rien d’autre que la diffusion de la doctrine enseignée par le Christ. On ne saurait mieux marquer qu’on est au terme d’une évolution qui a vu le pastoral remplacer le dogmatique.

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1. Voir les indications que donne à ce propos, dans la feuille d’information et d’analyse Res Novæ, de mai 2019, l’article de Daniel Hamiche sur « L’hypothèse Parolin ».

2. C’est le dernier jour de Vatican II, le 7 décembre 1965, que Paul VI avait publié le motu proprio qui transformait la Congrégation du Saint-Office en Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le cardinal Ottaviani commenta plus tard avec humour : « Je suis un général qui ne combat plus et qu’on a nommé directeur d’école », et son successeur, le cardinal Seper, avec candeur : « Auparavant le Saint-Office avait le devoir de défendre la foi, mais maintenant cela a changé ».

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Passages significatifs du projet de Constitution Apostolique Prædicate Evangelium sur la Curie Romaine et son service de l’Église dans le monde d’aujourd’hui, en son état actuel

à consulter sur le site de l'Homme Nouveau

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