La mort du cardinal Silvestrini, membre éminent du "groupe de Saint-Gall" (03/09/2019)

De Nico Spuntoni sur le site de La Nuova Bussola Quotidiana (30 août 2019) en traduction française sur le site "Benoît et moi" (où figure tout un "dossier" concernant ce cardinal qui aurait inspiré Olivier Legendre ("Confession d'un cardinal", "L'espérance d'un cardinal") :

Mort de Silvestrini, « metteur en scène » du Groupe de Saint-Gall

Le Cardinal Achille Silvestrini est mort à l’âge de 95 ans. Grand ami de Prodi, il était considéré comme une sorte de père spirituel du centre-gauche italien. Il semble qu’il ait fait pression pour l’excommunication de Lefebvre, contre l’avis de Ratzinger. Avec les autres membres du « groupe de Saint-Gall », il a tenté, en 2005, d’empêcher l’élection de Benoît XVI et en 2013, il a accueilli avec faveur celle de Bergoglio.

Il est parti le jour même où son « filleul », Giuseppe Conte, était sur le point de recevoir la tâche de former un nouveau gouvernement, gouverné par une majorité – probablement – plus appréciée par ce monde du « catholicisme démocrate » dont il fut pendant des décennies le plus influent représentant ecclésial. Le cardinal Achille Silvestrini est retourné au Seigneur à l’âge vénérable de 95 ans. Il est décédé hier matin au Vatican, dans son appartement du Palazzina della Zecca.

Le Préfet émérite de la Congrégation pour les Églises orientales fut sans aucun doute l’une des figures les plus importantes de l’histoire de la Curie romaine dans la seconde moitié du XXe siècle et au-delà. Qu’il suffise de dire que le cardinal originaire de Romagne est entré à la Secrétairerie d’État en 1953, s’occupant des relations avec les pays de l’Asie du Sud-Est. Pendant six ans, il a été sous-secrétaire du Conseil des affaires publiques de l’Église (dont il est devenu plus tard le secrétaire) et, à ce titre, a dirigé la délégation du Vatican à la Conférence de Genève sur le Traité de non-prolifération nucléaire. C’est lui qui a obtenu l’inclusion de la mention de la liberté religieuse dans l’Acte final de la Conférence d’Helsinki de 1975.

Au Palais Apostolique, il a collaboré avec Domenico Tardini et Amleto Cicognani (son compatriote), mais son ascension à la Curie s’est faite au fil des années aux côtés d’Agostino Casaroli, père de la dite Ostpolitik du Vatican, dont Silvestrini était un des principaux interprètes.

Sous le pontificat de saint Jean Paul II, qui n’avait la même vision que lui de la politique à adopter en Europe de l’Est, le prélat de Brisighella devint évêque et le très puissant secrétaire pour les relations avec les Etats. Ce poste lui a permis de diriger la délégation du Saint-Siège dans les négociations pour la révision du Pacte du Latran, conclues avec l’accord de Villa Madama en 1984. La contribution apportée à la signature du nouveau concordat fut un prélude à son élévation au cardinalat, au consistoire du 28 juin 1988. Mais après le pourpre, Jean-Paul II le nomma préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, puis à la tête de la Congrégation pour les Églises orientales.

Prendre congé des sommets de la diplomatie vaticane n’a pas porté atteinte à son influence à la Curie et ne lui a pas fait perdre sa relation privilégiée avec les principaux représentants de la politique nationale. Silvestrini a longtemps été, et a continué d’être jusqu’à une époque récente, le point de référence du catholicisme dit démocratique local, qui, à la Villa Nazareth, l’école de formation pour jeunes méritants d’origine humble, dont il fut l’animateur principal jusqu’à la toute fin, avait trouvé un peu son temple. Cet aspect a fait du cardinal une sorte de père spirituel pour le centre-gauche italien, surtout pour celui de l’expérience de l’Olivier [L’Olivier (L’Ulivo, en italien) est une coalition politique de centre gauche, fondée en 1995 par Romano Prodi et dissoute en 2007, principalement au profit du Parti démocrate (PD), wikipedia ]: grand ami de Romano Prodi, il semble qu’il ait encouragé – selon diverses sources – sa candidature en 1996, lui garantissant les « couvertures » nécessaires dans les Palais Sacrés.

C’est d’ailleurs lui qui a célébré le mariage religieux entre le maire de Rome de l’époque et futur challenger de Berlusconi aux élections de 2001, l’ancien radical Francesco Rutelli et la journaliste Barbara Palombelli, déjà mariée civilement des années auparavant. Mais, d’autre part, les relations de l’ex « ministre des Affaires étrangères » du Vatican avec le monde de gauche avait des racines encore plus lointaines, puisque dès 1988 il recevait à la Villa Nazareth Alessandro Natta, secrétaire du Parti communiste italien, et quelques années plus tard il dînait avec l’ambassadeur d’URSS en Italie, Anatoly L. Adamishin, et Massimo D’Alema, numéro deux du PDS nouveau né.

Cela ne l’a pas empêché, cependant, de cultiver des relations d’estime et d’amitié avec des personnalités politiques apparemment éloignées de ses convictions personnelles : avec Andreotti, par exemple, à qui il a exprimé toute sa solidarité après la condamnation de Pérouse et avec Cossiga, qui a mentionné la passion politique du cardinal dans une autobiographie sur ce sujet (« Je dirais que le plus italien des cardinaux est Achille Silvestrini. Celui avec qui je diverge peut-être du point de vue politique, mais qui montre plus de sensibilité en la matière »).

Mais si, d’une part, cette particularité de son caractère de diplomate « partisan », lui a valu l’admiration de personnalités laïques et d’une bonne partie des « catholiques adultes », elle lui a aliéné les sympathies de beaucoup d’autres dans le monde catholique: selon une reconstruction, c’est précisément le prélat de Brisighella qui en 1988 poussa à l’excommunication de Marcel Lefebvre, contre l’avis du préfet de Congrégation pour la doctrine de la foi Joseph Ratzinger, qui aurait préféré un rapprochement avec le fondateur de la FSSPX. Une circonstance qui, si elle était vraie, confirmerait les différences de sensibilité ecclésiale existant entre l’ancien Préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales et le théologien bavarois, également émergées – selon des rumeurs filtrées au fil des ans – lors du Conclave de 2005.

Au moment de la mort de Wojtyla, Silvestrini n’était plus cardinal électeur puisqu’il avait atteint la limite d’âge, mais il jouait le rôle de faiseur de rois – comme nous l’avons lu dans plus d’une reconstruction des événements – essayant de bloquer la voie à l’élection du candidat qui semblait le plus qualifié dès le départ. Selon le vaticaniste Marco Politi, la Villa Nazareth elle-même est devenue « le point de référence des réformateurs » à l’époque du pré-conclave. Ces rencontres n’étaient cependant pas nouvelles, comme l’a confirmé le cardinal Godfried Danneels en 2015, révélant l’existence de rencontres périodiques qui ont eu lieu en Suisse entre la fin des années 90 et le début des années 2000 pour discuter de l’avenir de l’Église après la mort de Jean-Paul II. Il s’agit de ce qu’on a appelé le « groupe de Saint-Gall », sur lequel on a beaucoup écrit, et qui, parmi ses principaux membres, avec Danneels, Kasper, Martini et Murphy-O’Connor, a également vu la présence du très actif Silvestrini.

Une reconstitution précise de ce jeu complexe joué pour la succession papale de 2005 se trouve dans le livre « Oltre la crisi della Chiesa, il Pontificato di Benedetto XVI » de Roberto Regoli et a également été confirmée par Mgr Georg Gänswein lors de la présentation de l’ouvrage. Le Conclave, en tout cas, a eu une issue différente des souhaits de l’ancien ministre des Affaires étrangères du Vatican qui a probablement vécu sans enthousiasme le pontificat de Benoît XVI, se retrouvant parfois au centre d’arrière-plans – jamais confirmés – qui le créditait comme inspirateur de « frondes ».

Les réunions du groupe de Saint-Gall se sont poursuivies même après l’élection de Ratzinger; et Kasper, en le révélant tout en niant l’intention de conspiration, a confirmé à Frédéric Martel que « Achille Silvestrini y venait à chaque fois et en était une des figures centrales ».

Après la démission de Benoît XVI en 2013, le cardinal romagnol accueillit avec faveur l’élection de Bergoglio, le candidat – probablement – déjà identifié en 2005 par lui et les autres cardinaux du groupe de Saint-Gall comme promoteur possible d’un programme de réformes pour l’Eglise. La même année, François se rendit à la Villa Nazareth pour rendre hommage au prélat âgé à l’occasion de son 90ème anniversaire et revint trois ans plus tard pour le 70ème anniversaire de la fondation de la résidence universitaire.

Avec la mort du Cardinal Silvestrini, une figure marquante de l’histoire récente de l’Eglise catholique a certainement disparu, dont l’influence capable d’aller au-delà du Tibre est attestée dans ces mêmes heures par les projecteurs nationaux braqués sur Giuseppe Conte, son élève à l’école de la Fondation Tardini et probable nouvelle étoile montante de ce « Catho-dem » dont pendant longtemps l’ancien préfet de La Congrégation pour les églises Orientales fut le phare et le protecteur.

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