Pologne : nouvelle victoire conservatrice à l'horizon (15/09/2019)

De Nelly Didelot sur le site de Libération.fr :

Une nouvelle victoire conservatrice se profile en Pologne

Le parti Droit et justice (PiS) fait campagne sur ses mesures sociales et promet de doubler le salaire minimum, tout en stigmatisant la communauté LGBT. Les sondages laissent présager une large victoire, devant les libéraux et la gauche.

L’écart est déjà considérable. A quatre semaines des élections législatives du 13 octobre, en Pologne, 22 points séparent dans les sondages le parti conservateur Droit et justice (PiS, 48 %) de ses opposants libéraux de la Coalition civique (KO, 26%). Au pouvoir depuis 2015, le PiS n’a jamais connu de chute de popularité. Ni sa réforme très controversée du droit à l’avortement, ni les atteintes portées à l’indépendance de la justice — qui ont amené l’Union européenne à déclencher en décembre 2017 l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE) contre la Pologne ce qui pourrait priver le pays de son droit de vote au Conseil — ne l’ont affaibli sur la scène intérieure.

Pour cette campagne, le parti s’appuie à nouveau sur la force qui a été la sienne depuis cinq ans : l’économie. Dans ce domaine, son bilan est excellent, bien qu’il soit en partie dû à des circonstances favorables et aux mesures mises en place par les libéraux avant 2015. Le chômage est au plus bas depuis la fin du communisme, les salaires ont augmenté, et la croissance a progressé en moyenne de 4 % chaque année depuis 2015. Le gouvernement a également déployé un ensemble d’aides sociales, visant le cœur de son électorat. Les retraités ont eu droit à un treizième mois, les familles au programme 500+ qui verse une aide mensuelle à partir de la naissance d’un deuxième enfant. «Ces mesures sont au service d’une vision conservatrice de la société, qui met en valeur la famille, analyse Frédéric Zalewski, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre. Mais elles répondent aussi aux tensions sociales qui étaient particulièrement élevées en 2015, nourries par une crise des inégalités. Le PiS a su poser un diagnostic social juste et lui apporter une réponse qui correspond à ses positions idéologiques.»

Doublement du salaire minimum

Conscients de leur force, les nationalistes-conservateurs en ont remis une couche à l’approche des élections. Une exemption fiscale a été décrétée pour les moins de 26 ans et le programme 500+ a été étendu à toutes les familles. Dernièrement, le leader du PiS, Jaroslaw Kaczynski, a même promis de doubler le salaire minimum d’ici 2023 si son parti remportait à nouveau les législatives. Cela en ferait proportionnellement l’un des plus élevés parmi les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), alors que la Pologne avait misé jusque-là sur une main-d’œuvre bon marché pour se développer. En face, les libéraux ont bien du mal à s’aligner, d’autant qu’ils prédisaient au PiS l’effondrement économique en cas d’application de son programme social.

Ces mesures ont toutefois leur revers. Elles sont manipulées par le parti au pouvoir, qui n’a pas hésité lors de sa convention le 7 septembre à faire monter sur scène un homme particulièrement reconnaissant pour la mise en place de ces aides qui lui auraient permis d’acheter une maison. Il s’est avéré qu’il était en réalité le vice-président d’une banque, payé plus du double du salaire minimum. Et au-delà de ces mises en scène électoralistes, les aides du PiS restent des dépenses de compensation, plutôt que de développement des services publics. Les bas salaires des fonctionnaires stagnent, ce qui a entraîné une grève des enseignants sans précédent ce printemps. La politique sociale vise moins l’émancipation des individus que le soutien aux familles traditionnelles. Les mesures votées par le PiS ont tendance à figer les femmes dans un rôle de mères au foyer, y compris à travers la réforme de l’âge de départ à la retraite, ramené de 67 à 65 ans pour les hommes, et à 60 pour les femmes.

Dans une Pologne où l’influence de l’Eglise catholique est encore prégnante, le PiS ne se prive pas de mettre en avant ses positions ultra-conservatrices sur les sujets de société. Depuis l’attaque d’une gay pride par des groupes nationalistes à Bialystok en juillet, les membres du parti s’en prennent quasi quotidiennement à la communauté LGBT. Pour le gouverneur de la province de Lublin, «l’idéologie LGBT a les mêmes racines que le communisme, c’est exactement le même totalitarisme». «Nous devons le comprendre, sinon nous allons leur céder, comme l’Occident l’a déjà fait.» 

«Peste arc-en-ciel»

Cette assimilation est largement répandue depuis un discours de l’archevêque de Cracovie comparant la «peste arc-en-ciel» à la «peste rouge». Elle permet au PiS de dépeindre les personnes LGBT et leurs défenseurs comme des agents promouvant des valeurs occidentales, qui voudraient s’en prendre à «l’identité polonaise». Le parti a également fait usage de cette campagne de diabolisation pour remettre en valeur l’Église catholique, ébranlée par un scandale de pédophilie révélé au printemps dans un documentaire. Lors du grand meeting du week-end dernier, Kaczynski a martelé que «chaque bon Polonais devait connaître le rôle de l’Eglise catholique ou sombrer dans le nihilisme».

«Le choix du PiS de faire campagne sur ces questions gêne particulièrement ses adversaires, relève Cédric Pellen, maître de conférences à l’université de Strasbourg. La Coalition civique n’est pas très à l’aise sur ces sujets puisque son libéralisme est bien plus économique que social.» Une stratégie payante : en crise de leadership depuis le départ de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen en 2014, les libéraux plafonnent autour de 25 % dans les sondages. La gauche réunie dans la coalition Lewica devrait refaire son entrée au Parlement, mais reste loin avec 14 % d’intentions de vote.

«Le PiS suscite beaucoup de rejets mais il mobilise mieux son électorat que l’opposition, qui a du mal à proposer un discours cohérent sur la question sociale. Le premier parti en Pologne, c’est l’abstention [49 % aux législatives de 2015], rappelle Cédric Pellen. Dans ce contexte, le parti qui gagne les élections est celui qui mobilise le plus son noyau dur. Cela favorise les campagnes radicales.» Pour permettre à ses députés de s’y consacrer pleinement, le gouvernement a suspendu la chambre basse du Parlement le 11 septembre. Elle ne se réunira donc plus avant les élections du 13 octobre, où une victoire conservatrice semble déjà toute tracée.

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