Rome n’ose plus critiquer le gouvernement chinois auquel il a bradé l’Église chinoise (20/09/2019)

De Jordan Pouille sur le site de l'hebdomadaire La Vie :

Cardinal Zen : “Je continue de m’exprimer car il n’y a pas assez de voix”

 

Le cardinal Joseph Zen nous reçoit chez lui à Hong Kong, dans sa résidence du quartier de Shau Kei Wan, qu’il partage avec sept autres religieux à la retraite et une dizaine de missionnaires, actuellement en Chine continentale. Un gratte-ciel de logement sociaux sort de terre juste à côté. Fête de la mi-automne oblige, une dame nous sert un petit gâteau de lune accompagné d’un thé au jasmin.

Le mouvement s’est durci depuis un raid policier dans une rame de métro le 31 août. Quelle est aujourd’hui la position des catholiques à Hong-Kong vis-à-vis de cette mobilisation ?

On peut déjà dire que l’élite catholique est divisée. À Hong-Kong, nous avons six religions officiellement reconnues. Elles sont organisées en institutions et manipulées par le Parti communiste chinois via le Front uni. Quand ces institutions appellent publiquement le peuple à la retenue, c’est de la comédie ! Le peuple est déjà fort modéré face aux tribunaux et à la police, très répressifs.

Même si l’Establishment au sein de l’Église de Hong-Kong est très conservateur, le diocèse dispose toujours, depuis 1977, d’une Commission pour la Paix et la Justice. Dans leur dernier communiqué, ils ont affiché un soutien clair aux revendications des manifestants. Et nous avons un évêque auxiliaire particulièrement actif. Mgr Joseph Ha (60 ans) participe aux marches, appelle à prier pour la paix, contre l’injustice et la corruption. Beaucoup de gens espèrent qu’il deviendra le prochain évêque, mais ce ne sera pas lui car il est trop critique. Quant-à-moi, je suis très vieux mais je continue de m’exprimer car il n’y a pas assez de voix.

Joshua Wong, jeune leader de la « Révolution des parapluies » en 2014, était protestant. Y a-t-il un leader catholique aujourd’hui ?

Cette fois, il n’existe plus de leader proclamé et je constate que les catholiques sont davantage mobilisés. L’association des étudiants catholiques est très active, par exemple. Bien sûr, les manifestants protestants restent plus nombreux, ce qui est logique : le gouvernement dénombre 500.000 Hongkongais protestants et 400.000 catholiques parmi la population. Il faut savoir que beaucoup de Hongkongais reçoivent une éducation catholique, du primaire au lycée, car traditionnellement, l’Église catholique gère cette partie de la scolarité. Ils apprécient une certaine tradition conservatrice de l’école catholique, même si l’influence religieuse se réduit. Les protestants, eux, ont trois universités reconnues. Et c’est quand même à la fac que se forgent pas mal de convictions, d’idéaux. En 2014, après la Révolution des Parapluies, beaucoup d’étudiants ont été endormis, manipulés par le gouvernement ou ont terminé en prison. Ce projet de loi d’extradition, aujourd’hui retiré, a réveillé tout le monde.

 

En 2014, après la Révolution des Parapluies, beaucoup d’étudiants ont été endormis, manipulés par le gouvernement ou ont terminé en prison. 

Que pensez-vous de la chef de l’exécutif, Carrie Lam ?

C’est une personne terriblement arrogante. Pensez donc, déjà le 9 juin, un demi-million de Hongkongais descendait dans la rue. Le soir-même, elle affirmait qu’elle poursuivrait son projet de loi d’extradition comme prévu. Bien plus tard, après trois mois de manifestations, Carrie Lam a regretté de ne « pas avoir été capable d’expliquer correctement ». Finalement, elle a retiré le projet de loi, ce qui équivaut à reconnaitre son tort de l’avoir proposé et cela apporte une certaine satisfaction pour la population. Mais la colère est toujours forte et même les gens les plus modérés réclament une commission indépendante pour enquêter sur les dernières violences policières. Carrie Lam doit créer une commission indépendante, avec des juges indépendants et non des membres qu’elle a elle-même nommés.

Après, je ne sais pas bien si Carrie Lam décide par elle-même ou si elle ne fait vraiment qu’appliquer les instructions de Pékin. Si c’est le cas, c’est terrible d’avoir un exécutif sans véritable pouvoir.

Carrie Lam est catholique. Avez-vous la possibilité d’échanger avec elle ?

En 2013, à l’époque où j’organisais encore de grandes messes pour commémorer les évènements de Tiananmen, les médias officiels chinois disaient que j’appartenais au nouveau « Gang des Quatre », aux côtés du patron de presse Jimmy Lai, le fondateur du Parti démocratique Martin Lee Chu-min et Anson Chan, ancienne secrétaire en chef du gouvernement (n°2). Autant vous dire que je suis blacklisté auprès du pouvoir en place… Je n’essaie même plus de parler à Carrie Lam. Mais je ne déteste personne.

Le Saint-Siège affiche-t-il la bonne attitude vis-à-vis du mouvement ?

Aucun mot n’est sorti du Saint-Siège depuis le début de cette mobilisation. Rome n’ose plus critiquer le gouvernement chinois, à qui je considère qu’il a bradé l’Église chinoise. Le cardinal John Tong (il a succédé à Joseph Zen comme évêque de Hong-Kong, de 2009 à 2017, ndlr) est dans cette lignée.

Rome n’ose plus critiquer le gouvernement chinois, à qui je considère qu’il a bradé l’Église chinoise.

Avez-vous pu en parler au pape ?

Tout passe par le cardinal Parolin, le secrétaire d’État du Saint-Siège. Sachez que la situation des chrétiens en Chine est terrible. (Longue respiration.) Il y a eu d’abord cet accord secret, en septembre 2018, sur la nomination des évêques. Pourquoi secret ? Ensuite, non seulement les évêques officiels excommuniés ont été réintégrés dans l’Église, mais ils ont été ordonnés de nouveau ! Pourtant, ils n’ont montré aucun signe de repentance et pour deux d’entre eux, tout le monde sait qu’ils ont des femmes et des enfants.

Le 29 juin, je me suis envolé pour Rome. La veille, un étrange document du Vatican invitait le clergé chinois à s’enregistrer auprès du gouvernement. C’est un document qui vient du Saint-Siège mais sans signature, sans qu’on sache vraiment de quel département. La Congrégation de la doctrine de la foi a-t-elle été au moins consultée ?

Arrivé à Rome, j’ai posé une série de questions détaillées sur ce document, mais après m’avoir dit de voir directement avec Parolin, le pape a fini par m’inviter à dîner tous les trois. Je me suis dit qu’il n’était sans doute pas très diplomate d’aborder l’Église de Chine avec le pape pendant le repas, alors je lui ai simplement décrit la situation à Hong-Kong. Mais tandis qu’il m’accompagnait très gentiment vers la sortie, je lui parlé de ce document du 28 juin. Il m’a répondu en anglais : « Je vais m’en occuper ».

Finalement, mes questions sont restées sans réponse. Comme le diocèse de Hong-Kong refusait de les faire figurer sur son journal, je les ai publiées sur mon propre blog, en trois langues. Deux mois ont passé et toujours aucune réaction.

Retournerez-vous à Rome ?

Le 5 octobre, se tiendra un consistoire pour les nouveaux cardinaux et les anciens sont invités. Je veux être présent à Rome pour ce moment. Et puis, je participerai sans doute à un forum en République tchèque pour le trentième anniversaire de la Révolution de velours. Si j’ai la force bien sûr. (Il termine le gâteau de lune.) Mon diététicien me demande d’être plus raisonnable !

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