Le petit livre vert du pape François (12/11/2019)

Tous deux invités par les évêques à l’assemblée plénière d’automne à Lourdes – une démarche inédite dans l’Église de France –, Marie-Hélène Lafage, vice-présidente des Altercathos et membre du conseil d’administration des Scouts et Guides de France, et Fabrice Gagnant, chercheur en anthropologie systémique, témoignent pour La Vie. Une interview réalisée par Marie-Lucile Kubacki :

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"Comment êtes-vous arrivés à l’écologie ?

Fabrice Gagnant. À 16 ans j’ai créé un site web sur l’écologie ! J’ai commencé à me former en autodidacte, par des lectures, en suivant des conférences, par des expériences de terrain. Plus tard, je me suis spécialisé en anthropologie systémique pour comprendre les évolutions des sociétés sur le long terme. Il y a 5 ans je suis allé voir le cardinal Barbarin, juste avant la publication Laudato si’, en lui disant que j’avais envie de travailler pour l’Église. J’avais envie de mettre mes compétences au service du diocèse, pour faire une passerelle entre l’Église et les autres acteurs. J’ai proposé que l’on crée un pôle écologie au sein du diocèse de Lyon pour accompagner le diocèse vers plus de cohérence : réduction et tri des déchets, sensibilisation, accompagnement des paroisses, réflexion sur le patrimoine, utilisation de matériel recyclé, organisation d’événements. Accueillir les bonnes volontés, mais aussi évangéliser car plein de jeunes de mon âge sont sensibles à cela… Pour moi il n’y a pas d’idéologie dans l’écologie, la nature ne ment pas. Quand les forêts meurent de soif comme dans les Vosges, ce n’est pas idéologique. L’homme se raconte des histoires, pas la nature.

À Lourdes, comme un changement de ton chez les évêques

Marie-Hélène Lafage. J’ai toujours été extrêmement sensible à la Création, étant de nature contemplative, aimant la poésie (elle a publié le recueil Le train dans le brouillard n’attendra pas minuit, Ad Solem, 2017, ndlr). La Contemplation de la Création a toujours été une chose très naturelle et très forte. Je suis aussi fascinée par la figure de saint François d’Assise. Au moment où je me suis convertie, je me suis demandé où était ma vocation. J’ai senti que j’avais une volonté d’exister dans la transformation du monde. Politique, poésie, foi et écologie : ce sont mes quatre moteurs.

Vous êtes les premiers laïcs invités à participer à une assemblée des évêques : comment le vivez-vous et qu’en attendez-vous ?

F.G. J’étais très content d’être invité, c’était une forme de reconnaissance pour mon travail sur cette question. Je suis venu ici aussi, avec la crainte que nous n’en restions au stade des mots et que cela ne soit pas traduit en actes. J'ai été rassuré par la grande qualité des interventions et des ateliers. J'attends maintenant des actes concrets.

Nous vivons encore la première phase de l’encyclique Laudato si’ : le constat de ce qui se passe dans notre maison commune.
- Marie-Hélène Lafarge

M.-H.L. Que l’Église ait choisi ce sujet comme enjeu missionnaire de notre temps, considérant que l’écologie puisse la redynamiser, en lui fournissant un moyen d’aller à la rencontre du monde extérieur est en soi enthousiasmant. D’autant qu’elle le fait sur trois ans, ce qui est une excellente chose, car la conversion écologique prend du temps. Depuis Laudato si’, il y a eu une montée du sujet dans la société civile, avec les marches pour le climat, le fait que les Scouts et Guides de France (SGDF) aient appelé à aller à une de ces marches n'est pas anodin en soi… Mais ici, nous vivons encore la première phase de l’encyclique Laudato si’ : le constat de ce qui se passe dans notre maison commune. Il aurait été intéressant de partager ce qui se fait déjà, car il existe de grandes ressources dans les diocèses. Au stade où on en est on a besoin d’outils, de propositions ultra-concrètes. Si nous passons notre temps à débattre des problèmes, nous resterons dans la parole. Alors, asseyons nous en commençant par des choses simples. Le label Église verte, par exemple : quel est son bilan ? Qu’ont fait ces chrétiens ? où en est on ?

Il reste du pain sur la planche…

F.G. Il y a tant de choses à faire. Pour l’instant, je trouve que l’Église ne peut pas avoir un discours très crédible sur la thématique, au regard de son fonctionnement au quotidien. Il faut poser des actes sur la gestion du patrimoine, l’organisation des événements, des pèlerinages, le choix des menus, le refus du plastique à usage unique, etc. Des signes visibles. Pour moi, l’écologie ne s’additionne pas à d’autres choses. C’est une approche. Une fois qu’on l’a intégrée, cela devient un automatisme, on a pas à se forcer à être écolo, on a juste à le vivre. Quand une femme enceinte monte dans le bus, je lui cède ma place, c’est un automatisme. L’écologie, c’est pareil. Quand j’organise un événement, il me semble évident de mettre un tableau sur lequel chacun puisse laisser son numéro pour organiser des covoiturages. Pour moi, l’enjeu est que les diocèses parviennent à s’emparer des compétences déjà présentes. Il faut qu’ils créent des pastorales de l'écologie en employant, s’ils le peuvent, une personne salariée, engagée de longue date et dévolue à cela. Cela a un coût mais cet aspect n’est pas insoluble, une transition écologique bien conduite permet également de faire des économies. Cela pourrait réinvestir de la jeunesse dans les diocèses car cette conscience et ces compétences sont très présentes chez les jeunes.

Les diocèses doivent créer des pastorales de l'écologie en employant une personne salariée, engagée de longue date et dévolue à cela.
- Fabrice Gagnant

M.-H.L. Pour la Conférence internationale Laudato si’ qui s’était tenue au Vatican en juillet 2018, j’avais apporté une pomme de terre de l’Amap du café Le Simone, qui a été fondé par les Altercathos. Je l’ai apportée pour montrer que, dans un café associatif chrétien, un groupe Laudato si’ en actes qui se réunissait pour réfléchir à ce que signifiait « se nourrir » à la lumière de l’encyclique, avait décidé de lancer une Amap. Cette pomme-de-terre était pour moi un fruit très concret de Laudato si’. Tous les mardis, un producteur apporte des fruits et légumes devant le café : cela lui permet de vivre dignement de son travail et cela nous permet de manger bio et local. Par ailleurs, c’est la seule Amap du 2e arrondissement de Lyon, donc tous les gens qui viennent passent par un café catho... Quand des chrétiens se mettent autour d’une table pour chercher à agir à partir de l’encyclique, cela donne ça. Si toutes les paroisses du monde faisaient la même chose, vous imaginez ce que nous pourrions faire ensemble ?

Nous allons bientôt fêter les cinq ans de Laudato si’ : avez-vous le sentiment d’un tournant parmi les catholiques depuis la publication de l’encyclique ?

M.-H.L. Cinq ans après Laudato si’, à l’intérieur de l'Église nous sommes comme dans une course cycliste très avancée. Tout le monde est parti ensemble – dire qu’il faut changer satisfait tout le monde – mais au fur et à mesure l’écart se creuse, et les catholiques se sont engagés à des degrés très divers dans la conversion écologique. Au Simone, par exemple, nous avons monté Laudato si’ en actes, des groupes de conversion écologique. C’est un parcours sur l’année, avec des thèmes : « se nourrir », « les systèmes économiques », « se vêtir »... À chaque fois, on analyse ce que dit l’encyclique sur le thème, ensuite les gens partagent un passage qu’ils ont bien aimé, et ils disent pourquoi – ce qui permet de lire tout le texte – et, enfin, chacun fait un topo de cinq minutes sur n’importe quel sujet du quotidien raccroché au thème : tomates industrielles, « le bio, pourquoi c’est cher ? », « parmi les paniers de fruits et légumes, qu’est ce qui relève de l’écologie intégrale ou pas ? »…
Cela ouvre à plein de débats et fait le lien entre doctrine social et choses concrètes. Ensuite, les gens prennent des engagements pour le mois suivant – faire ses courses au marché et pas au supermarché, par exemple –, ils échangent des adresses, des astuces, choisissent des engagements individuels. Un mois plus tard, on fait le point sur ce qui a marché, ce qu’on a découvert. Et on prie ensemble. Ma colocataire s’est mise au zéro déchet grâce à ce groupe… En quatre ou cinq séances, la vie change. Certains soirs, nous sommes une vingtaine et je commence à recevoir des appels de paroisses parisiennes qui voudraient développer cela chez eux. J’envisage d’écrire un guide pratique pour aider à la diffusion du concept.

F.G. Parmi les catholiques, on trouve de tout. Des gens qui vivent dans une cabane au fond des bois, et des patrons du Cac 40 qui prennent des jets privés tous les quatre matins… Il y a des initiatives : les Altercathos, la revue Limite qui s’est créée autour de ces thématiques, le campus de la transition (lieu de recherche et de formation en Seine-et-Marne pour penser les changements nécessaires en vue de la transition écologique et sociale, ndlr), une université sur l’université intégrale qui est en train de se fonder dans l’Aveyron, avec un campus qui ambitionne d’accueillir à temps plein des étudiants pendant l’année scolaire, les SGDF qui ont amorcé le virage, etc. Dans Limite, il y a beaucoup de jeunes sensibilisés depuis peu grâce à l’encyclique du pape, mais ils apprennent et rattrapent leur retard très rapidement, ce qui est très positif.

Les communautés religieuses étaient souvent autonomes et faisaient leur potager.
- Fabrice Gagnant

Quelles ressources propres l’Église peut-elle proposer dans ce passage à la conversion écologique ?

F.G. La vie communautaire, qui existe depuis 2000 ans dans l’Église. C’est une vie sobre car on mutualise des espaces et des objets, avec une véritable expérience de la fraternité au quotidien. Les communautés religieuses étaient souvent autonomes et faisaient leur potager… Certaines ont fait leur conversion écologique à la suite de Laudato si’. Et quand on lit la vie des saints, on se rend compte que ce sont des exemples de sobriété et de spiritualité heureuses. Ils ont renoncé au matérialisme pour se consacrer à Dieu et leur empreinte écologique est irréprochable ! Pour moi, la crise écologique que nous vivons aujourd’hui est le symptôme d’une crise spirituelle plus profonde. C’est un symptôme. Si on veut guérir cette crise, il faut aller voir la cause.

M.-H.L. Pour moi, la principale ressource, c’est l’encyclique Laudato si’, qui est un manuel d’action politique ! Ce n’est pas un texte sur les arbres, les petits oiseaux et la manière dont les chrétiens doivent faire de l’écologie. Le pape François nous donne des pistes. Pas de définition de la conversion écologique, mais des principes. Une conversion intérieure et spirituelle, un appel à la conversion et au changement de style de vie, une conversion communautaire – les transformations de société passent par des transformations communautaires – et un chemin joyeux, de progression personnelle, qui mobilise la créativité de l’individu. À nous de le traduire en actes."

Ref. Laudato si’ est un manuel d’action politique”

L’ écologie oui,  comme religion ? non merci.

JPSC

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