Seigneur, je ne sais pas prier (20/03/2020)
Qu’est-ce que prier ? Le site web « Pro Liturgia » nous propose à ce sujet un bel enseignement de Joseph Ratzinger-Benoît XVI qui nous comble au centuple du petit effort d’attention qu’il suppose. A lire en ces temps de silence que nous impose l’état de siège décrété face à la pandémie du « coronavirus » :
« En ces jours où l’épidémie de coronavirus gagne du terrain, où tous les rassemblements sont supprimés et par conséquent aussi nos messes dominicales, n’est-ce pas le moment favorable pour prendre le temps de la prière solitaire, si ce n’est à l’église devant le Saint Sacrement, du moins chez soi, en fermant la porte de sa chambre ? Et peut-être faut-il redécouvrir d’abord le sens de la prière chrétienne de façon plus générale.
On peut relire à cet effet une méditation donnée au cours du carême 1983 par le cardinal Joseph Ratzinger devant le pape Saint Jean-Paul II et le Collège des cardinaux à Rome (in “Le Ressuscité”, Desclée de Brouwer 1986). En voici de larges extraits :
Le Cardinal Ratzinger s’appuie dans son texte sur des passages des Evangiles évoquant ce thème de la prière. Et tout d’abord sur celui de saint Matthieu :
« Dans l’Evangile, Jésus nous invite à la prière : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira » (Mt 7, 7). Ces paroles de Jésus sont très précieuses, parce qu’elles expriment la véritable relation entre Dieu et l’homme, et parce qu’elles répondent à un problème fondamental de toute l’histoire des religions et de notre vie personnelle. Est-il juste et bon de demander quelque chose à Dieu ? Ou bien l’unique réponse correspondant à la transcendance et à la grandeur de Dieu ne consiste-t-telle pas à le glorifier, à l’adorer, à lui rendre grâce, en une prière qui sera donc désintéressée ? Si nous demandons au Dieu de l’univers des biens pour notre vie, n’est-ce pas peut-être le signe d’une idée archaïque de Dieu et de l’homme, un égoïsme plus ou moins sublime ? Jésus ignore cette crainte. Jésus n’enseigne pas une religion pour élites, totalement désintéressée. L’idée de Dieu que Jésus nous enseigne est différente : son Dieu est très humain ; ce Dieu est bon et puissant. La religion de Jésus est très humaine, très simple ; c’est la religion des simples : « Je te rends grâce, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, car tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et tu les as révélées aux petits » (Mt 11, 25).
Les petits, ceux qui ont besoin de l’aide de Dieu et le disent, comprennent beaucoup mieux la vérité que les intelligents qui, en refusant la prière de demande et en n’admettant que la louange désintéressée de Dieu, construisent une autosuffisance de l’homme qui ne correspond pas à son indigence (…). Derrière cette noble attitude qui ne veut pas déranger Dieu avec nos petits malheurs, se cache le doute suivant : Dieu a-t-il le pouvoir de répondre aux réalités de notre vie terrestre ? Dans le contexte de notre conception moderne du monde, ces problèmes des « intelligents et des sages » apparaissent très fondés. Le cours de la nature est ordonné par les lois naturelles créées par Dieu. Dieu n’est pas un Dieu arbitraire ; si ces lois existent, comment pouvons-nous attendre de Dieu une réponse aux nécessités quotidiennes de notre vie ? Mais, par ailleurs, si Dieu n’agit pas, s’il n’a pas pouvoir sur les événements concrets de notre vie, comment Dieu reste-t-il Dieu ? Et si Dieu est amour, l’amour ne trouvera-t-il pas une possibilité de répondre à l’espérance de celui qui aime ? Si Dieu est amour, et s’il ne pouvait nous aider dans notre vie concrète, l’amour ne serait pas l’ultime pouvoir du monde, l’amour ne serait pas en harmonie avec la Vérité. Mais si l’amour n’est pas le pouvoir suprême, qui donc est, ou qui possède, le pouvoir suprême ? Et si amour et Vérité s’opposent, que devons-nous faire : suivre l’amour contre la Vérité, ou suivre la Vérité contre l’amour ? Les commandements de Dieu, dont le noyau est l’amour, ne seraient plus vrais. Quelles contradictions fondamentales ne trouverions-nous pas alors au centre de la réalité ? Certainement, ces problèmes existent et accompagnent l’histoire de la pensée humaine ; l’impression que la puissance, l’amour et la Vérité ne coïncident pas et que la réalité se signale par une contradiction fondamentale parce qu’elle est tragique en soi - cette impression, dis-je, s’impose à l’expérience humaine. La seule pensée humaine ne peut résoudre le problème, et toute philosophie ou religion purement naturelle reste tragique. « Demandez, et on vous donnera ». Ces paroles si simples de Jésus répondent aux questions les plus profondes de la pensée humaine, avec la sécurité que seul le Fils de Dieu peut donner. »
Le cardinal Ratzinger détaille alors ce que disent ces paroles en trois points :
- 1. Dieu peut donner et il donne.
« Dieu est puissance, la puissance ultime ; et cette puissance ultime, qui tient en main l’univers, est bonté. Si on les prend à l’ultime racine de l’être, puissance et bonté, si souvent séparées en ce monde, sont identiques. Si nous demandons : « D’où vient l’être ? », nous pouvons certes aisément répondre : d’une puissance immense, ou encore - en réfléchissant sur la structure mathématique de l’être - d’une raison puissante et créatrice. Après les paroles de Jésus, nous pouvons ajouter : cette puissance ultime, cette raison suprême sont en même temps la pure bonté et la source de toute notre confiance. (…) C’est pourquoi nous glorifions l’immense gloire de Dieu. Prière et louange sont inséparables ; la prière est la reconnaissance concrète de la puissance immense de Dieu et de sa gloire. (…)
« Demandez et l’on vous donnera », car Dieu est puissance et amour. Dieu peut donner, et il donne. Ces paroles nous invitent à méditer l’ultime identité de la puissance et de l’amour ; elles nous appellent à aimer la puissance de Dieu : Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam. »
- Dieu peut entendre et parler.
« C’est dire qu’Il est une personne. Ce constat est très clair à l’intérieur de la tradition chrétienne ; mais un courant important dans l’histoire des religions s’oppose à cette idée. (…) Il s’agit du phénomène de la gnose qui sépare création et rédemption. On constate aujourd’hui une renaissance de la gnose qui constitue peut-être le défi le plus inquiétant lancé à la spiritualité et à la pastorale de l’Eglise. La gnose permet de maintenir les termes et les gestes vénérables de la religion, le parfum de la religion, mais sans en conserver la foi. C’est là la tentation profonde de la gnose : on y trouve la nostalgie de la beauté religieuse, mais aussi la lassitude du cœur qui ne possède plus la force de la foi. La gnose se présente comme le refuge où il est possible de persévérer dans la religion après avoir perdu la foi. En réalité, cette fuite cache presque toujours une pusillanimité qui ne croit plus à la puissance de Dieu sur la nature, qui ne croit plus au Créateur du ciel et de la terre. C’est ainsi que commence une dépréciation de tout ce qui est corporel : la corporalité apparaît privée de moralité. Cette dépréciation du corporel engendre celle de l’histoire du salut et débouche finalement sur une religion non personnelle. La prière se trouve remplacée par des exercices d’intériorité, par la recherche du vide envisagé comme lieu de la liberté.
« Demandez et vous obtiendrez. » Le Notre Père est l’application concrète de cette parole du Seigneur. Le Notre Père embrasse tous les véritables désirs de l’homme, depuis le Royaume de Dieu jusqu’au pain quotidien. Cette prière fondamentale est ainsi l’indicateur sur la route de la vie humaine. Dans la prière nous faisons la vérité. »
- Le Dieu bon donne seulement de bonnes choses.
« Saint Matthieu dit encore : « Si donc, vous qui êtes méchants, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les Cieux donnera de bonnes choses à celui qui les demande » (Mt 7, 11). (…) Quels sont les contenus possibles de la prière chrétienne ? Que pouvons-nous demander comme venant de la bonté de Dieu ? La réponse du Seigneur est extrêmement simple : tout. Tout ce qui est bon. Le Dieu bon donne seulement de bonnes choses, et cette bonté qui est sienne ne connaît pas de limites. Cette réponse est importante. (…) La bonté et la puissance de Dieu connaissent une seule limite : le mal. Mais elles ne connaissent pas de démarcation entre les grandes et les petites choses, entre les réalités matérielles et spirituelles, entre les choses terrestres et celles du ciel. (…) Du fait même de ce caractère illimité, la prière est un chemin de conversion, le chemin de l’éducation divine, le chemin de la grâce. En priant, il nous faut apprendre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. (…) Dans notre vie, la prière sépare la lumière des ténèbres ; elle accomplit en nous la création nouvelle ; elle nous fait créature nouvelle. (…) »
A la suite de ces réflexions, le Cardinal Ratzinger poursuit l’exploration des Evangiles sur ce thème avec saint Luc :
« Si nous saisissons cette profondeur de la réponse si simple donnée par le Seigneur dans l’Evangile de saint Matthieu, nous comprendrons la nuance spécifique qu’apporte la tradition lucanienne. Selon saint Luc, le Seigneur répond en ces termes : « Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent » (Luc 11, 13). Ici le contenu de la prière chrétienne est beaucoup plus limité ; il est défini de façon plus précise qu’en saint Matthieu : le chrétien ne demande pas quelque chose de la part de la bonté de Dieu, il demande à Dieu le don divin, l’Esprit Saint. Il ne demande pas moins à Dieu que Dieu lui-même : la bonté et l’amour en personne, le Dieu qui se donne, l’Esprit Saint. (…) Saint Luc se montre soucieux de respecter la propre responsabilité de l’homme concernant les choses humaines. Il ne veut pas que la prière devienne prétexte à la paresse humaine, que nous demandions trop peu à Dieu ; il veut que, avec l’audace du Fils, nous lui demandions tout : Dieu lui-même. (…) Saint Luc ne limite pas la puissance de Dieu aux choses spirituelles et surnaturelles : l’Esprit Saint pénètre tout ; il met l’accent sur l’objectif concret de la prière : faire en sorte que nous, mauvais, nous cessions d’être mauvais et que nous devenions bons en participant à la bonté même de Dieu. La prière vraiment exaucée, c’est que, non seulement nous ayons de bonnes choses, mais que nous soyons nous-mêmes bons. »
Et puis encore avec saint Jean :
« Pour désigner le contenu de la prière, la réalité que Dieu nous a promise et qu’il nous accordera en nous exauçant, saint Jean se sert du mot « joie » : « Demandez et vous obtiendrez, afin que votre joie soit totale » (Jean 16, 24) Nous pouvons donc utiliser son texte pour faire le lien entre la tradition de saint Matthieu et celle de saint Luc. Le but de toutes nos demandes, de tous nos désirs, c’est la joie, le bonheur. Toutes les requêtes particulières portent sur les aspects du bonheur. Ainsi saint Jean nous dit-il avec saint Matthieu : demandez tout à Dieu, cherchez toujours le bonheur, car Dieu a la puissance et la bonté pour le donner. Et Jean dit avec Luc : toutes les bonnes choses sont des fragments de cette unique réalité qu’est la joie. Et la joie n’est finalement rien d’autre que Dieu lui-même, l’Esprit Saint. (… ) ».
C’est donc avec une totale légitimité que nous pouvons demander à Dieu d’éloigner les menaces qui pèsent sur nous à travers la maladie, l’épidémie et malheureusement pour certains, la mort. Et de demander aussi pour tous, le don de la simplicité afin de respecter les règles concrètes qui sont de notre ressort et, pour les soignants, le courage et la force de tenir fermes dans leur engagement admirable aux côtés des malades. »
Ref. Pro liturgia
Comme l’observe Gérard Leclerc sur le site du magazine France Catholique, " il convient en effet de bien faire attention, car la foi ne débouche pas forcément sur le miracle. Certains donnent l’impression que les chrétiens, brandissant leur confiance en la Providence, seraient immunisés, ipso facto de la contagion de la maladie. L’enseignement de l’Église n’a jamais prétendu à cela. Sinon, le père Damien, saint Damien de Veuster n’aurait jamais contracté la lèpre, pour avoir soigné les lépreux dans l’île d’Hawaï. L’Église l’a reconnu comme un martyr de la charité, et il est célébré comme patron protecteur des lépreux.
De même, nous avons appris, ces jours-ci, la mort de plusieurs prêtres italiens, victimes de l’actuelle épidémie, pour avoir assisté leurs paroissiens malades. Si le christianisme a toujours reconnu les miracles comme signes de la sollicitude de Dieu, il ne s’est jamais défini comme une institution qui permettrait aux fidèles d’échapper à la condition commune, et donc à la maladie. Cela ne signifie pas que Dieu s’absente de nous, lorsque nous sommes dans l’épreuve. Bien au contraire, des signes sensibles comme l’exposition du Saint-Sacrement peuvent être privilégiés pour marquer que Dieu est au milieu de nous et qu’il nous assiste dans notre faiblesse. Mais au-delà de ces signes et de la ferveur qu’ils sollicitent, il ne saurait être question de nous retrancher des précautions nécessaires définies avec sagesse et prudence par nos évêques. "
JPSC
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