Bangladesh : comment la petite Eglise répond au coronavirus; la lettre d'un missionnaire (01/05/2020)

De Sandro Magister (Settimo Cielo) en traduction française sur diakonos.be :

Comment la petite Eglise du Bangladesh répond au coronavirus.  Un missionnaire nous écrit

Cette photo a été prise le 25 mars dernier, jour de la fête de l’Annonciation du Seigneur, dans une mission au Bangladesh.  C’est un jour de semaine, un mercredi.  Le célébrant est un missionnaire italien de l’Institut pontifical des missions étrangères, le père Carlo Buzzi, et les fidèles se tiennent à distance les uns des autres, plusieurs jours déjà avant que le gouvernement n’ordonne une fermeture générale pour maîtriser la diffusion du coronavirus.

Parce qu’au Bangladesh aussi, la contagion est arrivée.  Avec quel impact sur la société et en particulier sur la petite Église catholique de ce pays et ses avant-postes de mission ?

C’est le missionnaire de la photo en personne qui nous le raconte, dans le compte-rendu qui va suivre.

Du Père Carlo Buzzi, les lecteurs de Settimo Cielo se rappelleront deux vigoureuses interventions « de frontière » contre la communion aux divorcés remariés.  Nous étions alors au printemps 2014, avant l’ouverture des deux synodes sur la famille, mais l’idée circulait déjà avec beaucoup d’insistance, soutenue en particulier par le cardinal Walter Kasper, mandaté par le Pape François, durant le consistoire de février de cette même année.

> Accès des remariés à la communion: une lettre du Bangladesh

> La communion aux divorcés remariés? Oui, la communion de désir

À lui la parole

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

*

Entre les mains de Dieu

de P. Carlo Buzzi

C’était le 8 mars, le deuxième dimanche de Carême.  À la fin de la messe, j’ai fait asseoir tout le monde et je les ai informés qu’en Italie, mon pays d’origine, beaucoup de gens tombent malades à cause d’un virus originaire de Chine.  Les personnes meurent par milliers.  Pour réduire l’infection, le gouvernement a tout fait fermer : les écoles, les bureaux, les transports.  Les gens ne peuvent même plus aller à la messe.  Le mal frappe surtout les personnes âgées et je suis inquiet parce que mes frères et sœurs ont entre 80 et 90 ans.  Priez pour eux – ai-je dit – et priez aussi pour que cette maladie n’arrive pas jusque chez nous au Bangladesh, parce que sinon ce sera pire qu’à l’époque de de variole, quand les gens tombaient comme des mouches.

Ma mission se trouve dans une zone rurale au nord-ouest du pays, le long du Gange, à la frontière avec l’Inde, dans le district de Sirajganj.  Notre village s’appelle Gulta.  Cette mission a été fondée il y a quarante ans.  Elle rassemble des membres de trois tribus : Oraon, Santal et Garo.  Il y a environ 800 chrétiens, répartis dans 8 villages situés dans un rayon de 80 kilomètres.  En comparaison avec d’autres missions, celle-ci est de taille modeste, sur mesure pour mon âge qui dépasse les 70 ans.  Certaines missions comptent jusqu’à 6000 à 7000 chrétiens répartis dans plus de cent villages.

Au centre, il y a un hôtel de jeunesse où logent environ 150 étudiants de la troisième primaire à la deuxième année de lycée.  Plus de la moitié ne sont pas chrétiens mais leurs parents les envoient chez nous parce qu’ils nous font confiance et qu’ils apprécient l’enseignement que nous donnons.

Nous avons un dispensaire tenu par des sœurs, où arrivent de nombreux patient, surtout des femmes musulmanes qui ne veulent pas être examinées par des docteurs masculins.  Nous avons aussi une caisse d’épargne coopérative réservée aux chrétiens et qui est en croissance continue.

Dans 25 villages, quasiment tous non chrétiens, nous avons ouvert des écoles de l’enfance qui préparent les enfants jusqu’à la troisième primaire, pour les envoyer ensuite à l’école publique.  Sans ces écoles de l’enfant, ces enfants auraient des difficultés à entrer dans les écoles de l’État parce que, comme ils appartiennent à des tribus, ils parlent une autre langue à la maison que le bengali.  Nous avons des champs cultivés dans lesquels même les étudiants travaillent en fonction de leurs capacités, enrichissant ainsi leur formation en parallèle à leurs études.

Il règne une grande harmonie parmi ceux qui travaillent à la mission, chacun vaquant à ses propres occupations.  Mais chez nous, la belle histoire s’est interrompue.

Le 17 avril, le gouvernement a ordonné la fermeture totale : les écoles, les institutions, les bureaux et les transports.  Seuls les camions de ravitaillement sont encore autorisés à circuler.

Après leur avoir donné toutes les instructions pour se protéger de la contagion, j’ai donc dû dire au revoir à tous les étudiants qui sont rentrés chez eux dans leur village.  Qui sait quand je pourrai les revoir.

J’ai prévenu par téléphone les instituteurs des 25 écoles de l’enfance qu’ils devaient suspendre les cours et je leur ai fait parvenir leur salaire par internet pour le mois de mars, en les informant que je ne pourrais plus leur donner d’argent pendant toute la période où les écoles de l’enfance resteraient fermées, parce que l’Italie allait arrêter de nous envoyer de l’aide.

Je suis resté seul à la mission avec trois religieuses et sept jeunes qui n’ont pas de famille, le cuisinier, le fermier qui veille sur les champs et un instituteur, en tout quatorze personnes.  Je peux dire que nous sommes presque autosuffisants.

Chacun a son travail mais notre travail commun à tous, c’est la prière.  Nous avons remplacé le fameux dicton qui dit « Qui ne travaille pas ne mange pas » par « Qui ne prie pas ne mange pas ».

À 6h30, c’est la prière et la messe.  À 11h, une heure d’adoration qui se clôture par l’Angélus.  À 18h00, encore une heure d’adoration.  À 20h, le rosaire.

À chaque fois que nous commençons une prière, nous sonnons les cloches de sorte que les chrétiens des environs puissent aussi s’unir à nous.  C’est beau parce qu’ici, on entend beaucoup d’appels à la prière.  Les hindous utilisent la corne, les musulmans le haut-parleur et nous chrétiens les cloches.  Notre sonnerie de l’Angélus est appréciée de tous parce qu’elle marque le milieu de la journée.

Le virus est arrivé au Bangladesh à la mi-mars.  Personne n’y était préparé et tout le monde pensait qu’il n’arriverait pas jusqu’ici.  Même le gouvernement le croyait.  Il n’y avait d’équipement adapté dans aucun hôpital, qu’il soit public ou privé, pas même dans les cliniques de luxe.

Pour éviter les problèmes, quasi 70% des cliniques privées ont fermé leurs portes.  Les hôpitaux gouvernementaux des chefs-lieux et certaines cliniques privées ont commencé à préparer des places, mais avec des équipements et des vêtements de protection complètement inadaptés.  Les uns après les autres, les docteurs et les infirmières sont tombés malades et cela continue, sans compter ceux qui se sont retirés.  Le véritable problème sera que bientôt, il n’y aura plus de personnel soignant en suffisance pour assister les malades.  Ici, une tenue complète de protection qui vient de l’étranger coûte 100 EUR, c’est l’équivalent de la moitié du salaire d’une infirmière.  Les membres du personnel soignant qui sont encore en service enchaînent des gardes jusqu’à 24h d’affilée.

Pour moi, c’est un contrecoup sévère, parce que j’avais justement recommandé à de nombreuses jeunes filles d’entreprendre des études d’infirmière, pour qu’elles trouvent une place et puissent nourrir leurs familles, et à présent je me rends compte que je les ai envoyées se faire contaminer et certaines mêmes à la mort.  Le gouvernement annule le diplôme de celles qui se retirent.

On a imposé la fermeture totale et donc ceux qui ne peuvent plus travaillent commencent à tirer le diable par la queue.  Caritas et l’évêque de notre diocèse de Râjshâhî nous ont fait dresser des listes des nécessiteux mais ensuite, par peur de la contagion, ils n’ont pas pris d’initiatives concrètes.  À présent, le pic des nécessiteux n’est pas encore atteint mais je sais que nous en arriverons très bientôt au point où je devrai aider en priorité les chrétiens parce que le gouvernement les laisse toujours de côté.  En prévision de la famine, j’ai fait de bonnes provisions de riz pour pouvoir les aider.

Avec cette pandémie, nous devons faire faire à une situation sans précédent pour nous.  Au Bangladesh, presque chaque année, nous sommes frappés par des catastrophes comme des inondations et des cyclones.  Et à chaque fois, nous recevons de l’aide de l’étranger, des pays où les gens étaient à l’abri.  Mais cette fois, le fléau du virus a également frappé les pays qui nous aidaient et donc il n’y a plus personne pour nous tender la main.

En attendant, fermeture ou pas, de fin avril à mi-mai, de nombreuses personnes briseront le confinement pour se rendre dans les champs pour récolter le riz qui est mûr à présent.  Quel sera le résultat ?  En cette saison, nous avons presque chaque année un cyclone.  Qui sait si le Seigneur voudra bien nous l’épargner cette fois.

Actuellement, les chiffres sont les suivants.  A mi-mars, il y avait une centaine de personnes contaminées et aujourd’hui nous en sommes à 6 462 personnes contaminées, 139 guéries et 155 morts.  Mais ces chiffres sont très en-dessous de la réalité parce que de nombreux malades se cachent et préfèrent mourir chez eux.

Les policiers se donnent beaucoup de mal pour faire respecter le confinement.  Cependant, le facteur culturel et religieux entre également en ligne de compte.  Les musulmans ne veulent pas renoncer à leurs pratiques religieuses.  Récemment, un grand chef religieux qui avait pour eux la réputation d’être un saint est décédé.  En plein confinement, 100 000 fidèles se sont rassemblés pour assister à ses funérailles.

Les musulmans croient beaucoup à la vie éternelle, au paradis et à l’enfer.  Ils ne se préoccupent pas du virus.  Ils ont accouru en masse aux funérailles parce qu’ils savent qu’en participant à la prière de sépulture d’un saint, ils ont une garantie de plus d’aller au paradis avec lui.

Je voudrais conclure avec une réflexion personnelle.  Dieu et la Sainte Vierge voient certainement tout et ils voient que les hommes sont en train de mourir à cause de ce virus.  Si nous prions beaucoup, c’est que nous avons la certitude que ces prières peuvent obtenir la clémence du Seigneur.  De la même manière, si nous faisons des œuvres mauvaises contre les commandements divins et naturels, nous devons croire que c’est nous qui nous provoquons ces douleurs et ces malheurs.  Ce virus servira-t-il à ouvrir nos cœurs et nos esprits ?

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