Covid-19 : la maturité face aux fake news et aux théories complotistes (03/05/2020)

De Jean-Paul Pinon sur le site de "Nous citoyens" (wecitizens.be) :

ARTICLE - CORONAVIRUS : MATURITÉ FACE À LA DÉSINFORMATION

30/04/2020

Nous assistons à un déferlement de fake-news et à des prises de positions ‘émotionnelles’. Trop de citoyens forment un jugement sur base d’informations biaisées. Que penser des théories complotistes ? La maturité s’oppose aux prises de position conditionnées par des messages trompeurs, la peur, les émotions, le grégarisme, le court terme. Sans maturité (civique), la démocratie est dangereuse. Ceux, qui comme nous, croient encore aux vertus de la démocratie, espèrent que la population grandira en maturité au travers de la présente crise.

Fake news

Les crises, comme celle du Covid-19, génèrent la peur[1], le sentiment de l’urgence, la curiosité. Pas étonnant que les cyniques s’emparent de cette opportunité pour intensifier leur propagande. Les fausses nouvelles (‘fake news’) ont plus d’impact qu’en temps normal. Selon le département de la Sûreté de l’Etat[2], « des groupements, dirigés ou non par des trolls étrangers, ont recours à des campagnes de désinformation pour étendre leur influence. Un maximum de désinformations relatives au COVID-19 sont diffusées via les médias sociaux dans le but de monter les uns contre les autres certains groupes de la population. » Des exemples typiques sont les opérations de propagande russe, faisant des comparaisons internationales destinées à démontrer la supériorité du gouvernement russe. Parmi d’autres exemples, il y a l’insinuation que la crise sanitaire serait amplifiée par l’immigration, etc.

Sens de responsabilité

Le sens de responsabilité intègre l’idée qu’on doit assumer les conséquences de ses décisions, et de ses erreurs. Il s’ensuit qu’on agit plus prudemment, qu’on réfléchit à deux fois avant de poser un jugement. Au niveau des citoyens, on constate une plus grande maturité chez les Suisses. Ils participent directement aux grandes décisions. Ils ne peuvent pas se réfugier derrière la critique des gouvernants, pour expliquer les éventuels déboires politiques.

Modèle suisse

Une capsule vidéo[3] de la TV suisse donne cinq raisons pourquoi la Suisse est en meilleure position pour gérer efficacement la crise. (1) D’abord, les Suisses ont plus confiance dans leur gouvernement (75% en Suisse, contre 42% comme moyenne internationale). (2) Les Suisses ont (en moyenne) un plus grand sens civique, un esprit solidaire, un sens de la cohésion. Ils ne dépendent donc pas complètement du contrôle pour se soumettre aux mesures décrétées par le gouvernement. (3) En politique, la logique de l’opposition est remplacée par celle de la coopération. (4) La tradition de consensus est renforcée par le fait que tous les grands partis sont tous représentés dans le gouvernement. Cela génère des décisions pragmatiques. (5) L’endettement public en Suisse est de 30% du PIB, contre une moyenne de 80% dans l’Union européenne, et 100% en Belgique. La Suisse dispose donc d’une excellente marge de manœuvre pour soutenir l’activité économique en temps de crise.

L’art de juger

Nous savons tous que pour se former une opinion équilibrée, il faut « écouter les deux sons de cloche ». Or combien de fois ne proférons-nous pas des jugements tonitruants sur base d’une seule source d’information tendancieuse. Je souris, avec un peu de pitié, quand un abonné m’annonce qu’il se désinscrit du bulletin de NousCitoyens, parce qu’il n’est pas d’accord avec nos analyses. S’il pouvait prouver que nous avons relayé des mensonges, je serais plus inquiet.

N’ayant pas tous les éléments en main, je ne puis juger si le confinement était nécessaire, aussi longtemps. Quand je vois le Gouvernement décréter la (prolongation du) confinement, sans présenter un bilan économique, je m’inquiète. Il est plus « facile » de calculer le coût des mesures de confinement, que d’évaluer le nombre de vies sauvées. La bonne gouvernance exige de plafonner la dépense par vie sauvée.[4] Je serais plus rassuré en lisant comment le Gouvernement fait cet arbitrage. Une bonne décision intègre tous les paramètres, ou du moins, les facteurs les plus importants.

Quid des théories ‘complotistes’ ?

Il ne manque pas de gens qui livrent des analyses quasi apocalyptiques.[5] D’un côté, il est facile d’accuser : la grande finance, Bill Gates, les producteurs de vaccin, les (apprentis) dictateurs, etc. D’autre part, la grande criminalité, le cynisme de certains gouvernants, la « géo »-corruption, la concentration de la richesse aux mains d’une élite sont des faits avec lesquels nous vivons, et que nous ne devrions pas banaliser. NousCitoyens n’a pas les moyens de valider l’une ou l’autre théorie ‘complotiste’. Nous recommandons la prudence. Ces théories nous invitent, au moins, à ouvrir l’œil.

Le monde est fort complexe. Il est difficile pour un seul (groupe d’)acteurs de prendre le contrôle. Par contre, on peut voir surgir des alliances entre acteurs très différents, voire opposés, mais qui trouvent un intérêt commun dans une situation exceptionnelle. Il n’est pas impossible qu’un acteur ait provoqué la crise en répandant sciemment le virus. (Il ne manque pas de gens cyniques pour répandre quantités de virus informatiques, jour après jour, sur le web.) Il sera toutefois très difficile de dépister l’éventuel criminel, et de prouver sa culpabilité.

Si vous laissez votre maison sans surveillance, ne vous plaignez pas (trop) de vous faire dévaliser. Si tous les propriétaires du pays s’appuyaient, les yeux fermés, sur les services d’une seule agence de surveillance, quelle serait la probabilité que cette agence soit infiltrée par les maffias ? Et si cette ‘agence’ était une administration publique, échapperait-on au risque d’une infiltration ou d’une neutralisation ?

Avec ce raisonnement nous pensons que la surveillance doit être menée de front par plusieurs organismes, et qu’il doit y avoir au moins un organisme non-public : une (ou plusieurs) plateformes citoyennes agissant comme observatoire de la gestion publique. Pour jouer leur rôle d’investigation et de sensibilisation de la population, ces plateformes doivent disposer de ressources importantes. Mais combien les citoyens sont-ils prêts à payer pour un tel observatoire ?

La faiblesse des citoyens, leur manque de capacité de mobiliser des moyens privés pour leur propre défense, laisse craindre le pire. La force des conspirateurs est proportionnelle à la faiblesse de leur cible : la masse des gens. Nous reviendrons donc plus tard sur ce sujet. NousCitoyens a pour vocation d’être un observatoire de la gestion publique. Nous avançons en fonction de l’aide financière ou autre que nous recevons de la population.

Faut-il donner du pouvoir aux citoyens ?

Si nous étions, en Belgique, dans une vraie démocratie, où les citoyens ont une prise sur les décisions, qu’en serait-il ? Nombreux sont ceux qui se méfient de la capacité des citoyens de juger correctement. (Avec cela on n’a pas prouvé que la classe politique le fait bien). Il y a effectivement des signes d’un manque de maturité chez le citoyen moyen. Nous sommes dans un cercle vicieux. Aussi longtemps qu’ils n’ont rien à dire, les citoyens sont peu motivés pour suivre la politique. Le manque de maturité politique transforme la population en masse bonne à manipuler. Les messages démagogiques insistent sur des intérêts de groupe à court terme, sans vision d’ensemble, sans soucis du bien commun sur le long terme.

C’est en forgeant qu’on devient forgeron. On n’éduquera pas la population tant qu’on ne lui donne pas des responsabilités. Et par responsabilité, je comprends plus que le paiement des impôts ! Il s’agit d’avoir un pouvoir délibératif : référendum, voix de préférence prépondérante dans les élections, etc.

Faut-il approuver l’action du Gouvernement ?

Nous approuvons au moins la petite phrase du Ministre Geens, qui disait qu’il était un peu tôt pour constituer une commission (parlementaire) d’enquête sur la gestion de la crise. A ce stade, les citoyens peuvent alimenter le débat. Nous pensons que le non-gouvernement est généralement pire que le gouvernement médiocre. Nous sommes donc pour un gouvernement fort, disposant de l’autorité suffisante pour mener sa politique jusqu’au bout.

Vient ensuite le moment du bilan, et de la sanction populaire. Dans notre particratie, je vois des politiciens mis sur la touche (par leur parti) à cause de leur manque de docilité à l’égard du top du parti. Je vois peu de gouvernants mis sur la touche à cause de leur mauvaise gestion. Après tout, si la population ne s’en charge pas, on peut difficilement demander aux détenteurs du pouvoir de se faire harakiri.

Jean-Paul Pinon, 25 avril 2020.


[1] Voir notre article https://www.wecitizens.be/fr/grandir-face-au-coronavirus-...

[2] Publication du 21 avril 2020, intitulée  « Le danger caché derrière le COVID-19 – Extrémisme (de droite), ingérence potentielle et atteinte au potentiel économique et scientifique », https://www.vsse.be/sites/default/files/corona-fr-bat-2.pdf

[3] Message video de 4’ de la TV publique alémanique, en allemand sous-titré en anglais : https://www.swissinfo.ch/eng/politics—pandemic_how-swiss-...

[4] Nous avons expliqué cela, en octobre 2017, dans notre article sur la valeur économique d’une vie : https://www.wecitizens.be/fr/la-valeur-economique-d-une-v...  . L’idée est reprise par Trends Tendance le 9-4-2020 : https://trends.levif.be/economie/politique-economique/cor...

[5] Sans que cela puisse constituer une caution, nous nommons ici : Jean-Jacques Crèvecoeur, David Icke, l’Agence Kairos, etc.

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