RDC : dans la mare aux crocodiles (04/05/2020)

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La multiplication des poursuites, en RDCongo, contre de hauts personnages accusés de détournements de fonds, sème la confusion sur la scène politique. Pour tenter d’y voir plus clair, La Libre Afrique.be a interrogé le politologue Jean Omasombo, professeur à l’Université de Kinshasa et chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren (Bruxelles). Entretien avec Marie-France Cros :

"De toutes les inculpations signifiées ces dernières semaines à des figures politiques de la RDCongo, laquelle vous paraît-elle la plus significative?

« Celle de Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Tshisekedi. Bien que Joseph Kabila ne l’aime pas depuis leur rupture de 2009, Vital Kamerhe avait, en 2013, offert ses services à celui qui était encore le chef de l’Etat à l’époque, dans le cadre des « Concertations nationales », espérant être nommé Premier ministre. Mais Kabila n’en avait pas voulu et avait reconduit Augustin Matata. En 2015, Kamerhe s’était alors rapproché de Moïse Katumbi, qui venait de prendre ses distances avec Kabila. Mais en juin 2016, lors de la réunion de Genval (Belgique) pour unifier l’opposition, Katumbi avait dribblé Kamerhe en gagnant le soutien de Etienne Tshisekedi, alors que l’élection présidentielle était en vue, soutien que Kamerhe n’était jamais parvenu à obtenir, en particulier en 2011. Mais le Vieux décède en février 2017. Pendant la campagne électorale du dernier trimestre 2018, Kamerhe – que Bemba et Katumbi ne supportent pas – rallie Félix Tshisekedi, plus par faiblesse et opportunisme que par conviction. Avec ce dernier, il va signer, à Nairobi, un accord qui éloignait le duo du reste de l’opposition et prévoyait qu’à la prochaine campagne pour une présidentielle Tshisekedi soutiendrait Kamerhe pour la magistrature suprême. Kamerhe a donc fait élire Joseph Kabila en 2006 et permis de nouer le deal Kabila-Tshisekedi de 2018, hissant ce dernier à la Présidence. C’est un faiseur de roi. Mais je doute qu’il soit jamais roi lui-même. C’est un architecte politique bon joueur, intelligent et opportuniste certes, mais il a peu de chance d’atteindre le sommet du pouvoir (Premier ministre ou chef de l’Etat) parce qu’il est défavorisé par son manque de base politique conséquente. »

Si les poursuites judiciaires à son encontre devaient aboutir à une condamnation, quelles en seraient les conséquences politiques?

« Le « lynchage » public de Kamerhe me semble être décidé à la fois par Kabila et Tshisekedi. On irait vers sa mort politique. Car, même si tous puisent impunément dans les caisses de l’Etat, avec une telle condamnation Kamerhe deviendrait un voleur attitré. Son effacement libère deux espaces : a) il consacre la mort de CASH (NDLR: alliance UDPS et UNC, le parti de Kamerhe) et l’UDPS, que l’omniprésence de Kamerhe indispose, va occuper seule l’étroit couloir de pouvoir jusque-là laissé par le camp Kabila ; b) Félix Tshisekedi, qui passe aux yeux de tous pour l’élève de Kamerhe, ne disposerait désormais plus que de sa « ceinture ethnique » (dont sa troupe de militants de rue) comme bouclier; il se fragilise puisqu’il est désormais placé directement face à Joseph Kabila. Sans capacité de déséquilibrer l’armature du camp kabiliste, qui l’étouffe, Tshisekedi fait figure de prochaine proie d’un Joseph Kabila impatient de regagner au plus vite son poste. » 

On a parlé de passation pacifique du pouvoir, début 2019. Pourquoi Joseph Kabila n’attendrait-il pas 2023 pour tenter de prendre sa revanche?

« C’est parce qu’il était coincé que Kabila avait propulsé, malgré lui, Tshisekedi à la Présidence. Cette parade visait d’abord à bloquer Martin Fayulu (NDLR: vainqueur réel de la présidentielle de décembre 2018, selon les comptages parallèles de l’Eglise catholique et d’ONG), créé par Genève (NDLR: accord par lequel l’opposition, dominée par Jean-Pierre Bemba et Moîse Katumbi, jurait de soutenir le candidat unique qui serait choisi en son sein), et permettre à Kabila de garder la réalité du pouvoir. Cette parade plaçait Tshisekedi à un poste de pouvoir sans pouvoir. Or, celui-ci cherche à se montrer à la hauteur de l’héritage de son père. Jusqu’ici, il n’y parvient pas mais, il faut le souligner, cela ne remonte pas pour autant la cote de popularité de Kabila, qui est haï par d’importants secteurs de la population. C’est ce rejet de Kabila qui avait favorisé le vote en faveur de Martin Fayulu, qui n’a pas vraiment émergé comme leader. On semble aujourd’hui face à un vide politique au Congo, ce qui laisse au président Tshisekedi le temps d’espérer. »

Mais Kamerhe, dont le procès devrait débuter le 11 mai, n’a toujours pas été officiellement limogé de son poste de directeur de cabinet du Président. Et que devient l’UDPS, dans tout ça?

« Le président Tshisekedi n’est pas innocent dans l’affaire Kamerhe mais elle montre aussi qu’il est faible, car on n’aurait pas fait un coup pareil, au Congo, à un partisan de Kabila d’un tel rang. Tshisekedi est bousculé par une cohorte de gens qui veulent « bouffer ». Il y a la famille et l’UDPS, dont la multitude des partisans veulent être payés au plus vite de leurs nombreux sacrifices. Cela pèse sur la gestion actuelle du parti, qui pourrait exploser au détriment, cette fois-ci, du noyau même du groupe, aujourd’hui privé de l’image unificatrice du père Tshisekedi. En partie voulu par Joseph Kabila, dont la stratégie est d’affaiblir l’adversaire, le partage des postes du portefeuille de l’Etat (la direction des entreprises publiques) et de divers secteurs de pouvoir continue de traîner en longueur. Jusqu’ici, Félix Tshisekedi a démultiplié les postes à la Présidence et partout où il trouvait une quelconque ouverture; mais cela reste trop peu pour tous ceux qui veulent une part du gâteau. Les premiers servis ont été ceux du groupe ethnique Luba Lubilanji, dont sont issus les Tshisekedi. De nombreux militants UDPS désespèrent d’accéder à un poste, ou se voient exclus, même ceux qui seraient ethniquement proches, venant par exemple de Kananga au Kasaï-central. A vrai dire, alors que la province du Kasaï-oriental (Mbuji-Mayi) demeure un bastion originel du parti pour la base et l’électorat, on ne serait pas surpris de voir l’UDPS éclater. »

RDC :   « Nous sommes face à un vide politique », selon le professeur Omasombo

 Vide ou trop plein ? Pour rester dans l'imagerie de la faune africaine : au milieu des libobi, le simba attend son heure. Lamentable : et que dit le successeur du Cardinal Monsengwo à la tête de l’Eglise « conscience » du peuple ?

JPSC

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