Inutile, le confinement ? (08/05/2020)

De Marie-Laetitia Sibille sur 20minutes.fr :

Coronavirus : Le confinement inutile ? Pas si simple

FAKE OFF Une interview du professeur Jean-François Toussaint remettant en cause les bénéfices du confinement crée la polémique sur les réseaux sociaux. S’il est difficile d’évaluer la portée de cette mesure à ce stade, les épidémiologistes contactés par 20 Minutes sont en désaccord

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Stockholm, en Suède, le 12 mars 2020.

Stockholm, en Suède, le 12 mars 2020. — REX/SIPA

  • Interrogé sur CNews, le professeur Jean-François Toussaint s’est appuyé sur des données relatives à la propagation du coronavirus en France et le bilan de l’épidémie en Suède et aux Pays-Bas, pour affirmer que le confinement n’avait pas été très utile.
  • Des épidémiologistes ne sont pas d’accord avec cette idée et estiment que le confinement est au contraire primordial dans la lutte contre le Covid-19.
  • Les modes de comptabilisation et les données étant encore temporaires, il est trop tôt pour trancher sur les effets directs de cette mesure.

Une interview qui fait réagir. Le professeur Jean-François Toussaint était invité de la chaîne CNews dimanche, après avoir publié une nouvelle note sur le coronavirus. En préambule à son intervention, cet ancien membre du Haut conseil de la santé publique et directeur d’un institut d’épidémiologie à l’Irmes (Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport) indique que pour la première fois depuis le 17 mars, d’après des données issues selon lui de Santé publique France, le nombre de contaminations en métropole est inférieur à 1.000 par jour. « 95 % du parcours a été franchi. L’ensemble de cette vague, qui est strictement la même dans l’ensemble des pays européens, montre que nous sommes à la fin de ce chaos, de cette vague extrêmement délétère. L’effet principal maintenant est derrière nous », en conclut Jean-François Toussaint.

Il poursuit : « Pour les pays qui n’ont pas confiné en Europe, comme la Suède et les Pays-Bas, ou qui font un confinement très ciblé comme l’Allemagne, on voit que l’ensemble de ces phases ascendantes puis descendantes sont les mêmes […]. Les pays qui ont confiné et ceux qui n’ont pas confiné ont le même taux de mortalité à la fin de cette vague […]. La mesure de confinement arrive bien après la phase de circulation virale, dont on sait qu’elle a commencé en novembre ou décembre dans le monde. »

L'interview du professeur Jean-François Toussaint sur CNews ce dimanche a fait réagir les internautes.

L'interview du professeur Jean-François Toussaint sur CNews ce dimanche a fait réagir les internautes. - Capture d'écran Facebook

Des internautes n’ont pas tardé à réagir à cette interview sur Facebook : « On nous a volé deux mois de liberté… A qui profite tout ça ? » « Donc, à quoi a servi le confinement ??? » « J’ai lu un déconfinement pour le 31 juillet… Le gouvernement magouille et fait espérer les Français, derrière tout cela il y a une énorme mise en scène visant à laisser mourir le plus de monde possible… » ou « Voilà, c’était pas utile de ruiner l’économie du pays, mais c’était clairement un choix pour affaiblir les mouvements sociaux. »

FAKE OFF

Sur CNews, l’intervention de Jean-François Toussaint de ce dimanche a été réalisée dans le cadre de l’émission « Bonjour Docteur Milhau » et se situe à 34'25'' du replay ci-dessous :

Le professeur précise, en réponse à une question du journaliste sur les autres mesures adoptées par les pays qui n’ont pas eu recours à des mesures de confinement, que « les gestes barrières, le fait de mettre un masque, la distance, tout cela un effet beaucoup plus important que le confinement ». Si les restaurants et bars sont restés ouverts en Suède, des règles sanitaires y ont en effet été instaurées, comme le maintien d’un espace d’un à deux mètres entre les tables de ces derniers pour éviter qu’ils ne soient bondés.

De manière générale, le gouvernement suédois a adopté la stratégie de l’immunité collective, qui repose sur l’idée que si au moins 60 % de la population a contracté le virus, l’épidémie va s’enrayer d’elle-même.

« Le confinement a éte extraordinairement utile »

L’épidémiologiste Catherine Hill n’est pas d’accord avec l’affirmation de Jean-François Toussaint selon laquelle les mesures de confinement n’ont pas d’incidence sur la contamination : « Il n’est pas exact de dire que tous les pays européens ont la même courbe. » La scientifique, qui effectue depuis le début de l’épidémie un travail conséquent de recoupement des données, a elle-même établi une courbe du nombre de décès pour 60 millions d’habitants :

Une courbe établie par l'épidémiologiste Catherine Hill.
Une courbe établie par l'épidémiologiste Catherine Hill. - Catherine Hill

Contrairement au médecin, l’épidémiologiste pense que « le confinement a été extraordinairement utile ». Catherine Hill prend en exemple la Chine : « Les autorités ont confiné très tôt et ont eu des résultats rapides, ce que l’on constate à Hubei [la province dont Wuhan est la capitale] sur le graphique. » Elle reconnaît tout de même que, plus encore que le confinement, les tests et le port du masque de façon massive sont des éléments déterminants contre l’épidémie, comme l’a fait l’Allemagne.

« L’Allemagne n’a pas subi le cluster de Mulhouse »

Un avis partagé par Pascal Crépey épidémiologiste à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) : « Je suis en complet désaccord avec Jean-François Toussaint, simplement parce que les exemples qu’ils donnent ne sont pas justes. L’Allemagne a fait du confinement, peut-être plus efficace et moins fort que le nôtre, mais elle n’avait pas non plus subi le cluster de Mulhouse, qui a particulièrement impacté la dynamique de l’épidémie en France. On peut aussi donner en exemple les Etats-Unis qui n’ont pas confiné leur population : on voit la catastrophe sanitaire qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Quant à la Suède, qui n’a pas fait de confinement, son nombre de cas ne baisse pas, contrairement à ce qu’il avance. »

Sur les derniers graphiques du site de collecte de données statistiques Worldometer, les chiffres des nouveaux cas détectés en Suède sont en effet plutôt en dents de scie :

Le nombre de décès quotidiens liés au coronavirus en Suède, sur le site Worldmeter.
Le nombre de décès quotidiens liés au coronavirus en Suède, sur le site Worldmeter. - Worldmeter

« Par ailleurs, les données [que Jean-François Toussaint montre] ne sont pas des données de Santé publique France (il y a noté source Irmes, Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport) et sont certainement estimées à partir des hospitalisations, or on voit bien dans sa série temporelle que les week-ends ont moins de cas, et que donc la forte baisse qu’il décrit est juste temporaire et les chiffres se redressent le lundi. » « On meurt moins le dimanche, tout simplement parce que les chiffres ne sont pas à jour. Il faut donc faire une moyenne sur sept jours », observe également Catherine Hill.

De la fiabilité des statistiques

Car c’est bien là toute la difficulté. Comment trancher de manière formelle alors que les modes de comptabilisation des contaminations ou des décès varient d’un pays à l’autre ? Une enquête du 24 avril de Swedish Radio News, radio nationale suédoise, pense ainsi que l’agence nationale de santé publique a sous-estimé le nombre de décès dus au Covid-19 dans plusieurs de ses mises à jour régulières : « Les chiffres qu’ils rapportent chaque jour sont toujours quelque peu dépassés, car de nombreux décès ne sont pas signalés immédiatement et il peut y avoir un délai de plusieurs jours ou semaines avant qu’ils ne fassent partie des statistiques. Et c’est ce retard qui a fait sous-estimer les chiffres. »

 

Une enquête du journal Le Monde publiée vendredi abonde : « A l’échelle mondiale, le Covid-19 tue davantage que ce que disent les bilans ». Cette étude s’interroge : « Comment, dès lors, obtenir une vision réaliste de la situation ? » « Sans doute en doublant, voire plus, le nombre de décès recensés dans le monde. On s’en apercevra quand on disposera partout des chiffres de la surmortalité », estime dans l’article le virologue belge Steven Van Guch. Il faudra sans doute encore beaucoup de recul et de mises en perspective pour trancher sur l’utilité du confinement.

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