Jean-Paul II : un enthousiasme qui retombe ? (22/05/2020)

Voici une chronique du Père Delhez s.J. (parue dans la Libre de ce vendredi 22 mai (p. 33) à propos d'un livre qui met en cause le pontificat de Jean-Paul II. Notre regard sur celui-ci n'est pas celui de ces détracteurs qu'irrite un magistère trop "clérical" et qui n'ont d'indulgence que pour la repentance de l'an 2000 et la réconciliation avec les juifs. Etonnant qu'ils n'aient pas ajouté les rencontres d'Assise ni les discours appuyés en faveur des droits de l'homme. Mais nous n'avons pas lu le livre. Nous, ce qui nous plaisait chez le pape venu de Pologne, c'était sa foi robuste, ses dévotions traditionnelles, son attachement au sacerdoce catholique, son héroïsme qui l'a fait aller jusqu'au bout de son pontificat, et aussi un certain attachement à la foi catholique qui l'a conduit à rectifier la trajectoire de l'Eglise faussée depuis Vatican II. Sans doute le style et les orientations du pontificat actuel satisfont-ils davantage les Pedotti, Favier, Delhez et consorts... Qu'en dira-t-on dans quinze ans?

Un enthousiasme qui retombe

Ce lundi, Jean-Paul II aurait eu 100 ans. Ce fut l’occasion de plusieurs commémorations et de nombreux articles de presse. Qui ne se rappelle les funérailles de ce géant du XXe siècle, en présence d’un million de personnes et d’un parterre bien garni de chefs d’État et de gouvernement ? Gigantesque. Un Santo subito lancé par les Focolari et relayé par les Légionnaires du Christ s’est fait entendre au milieu de la foule ! Un enthousiasme populaire. Il faut dire que la jeune génération d’alors n’avait connu que lui comme Pape. Son règne fut de vingt-six ans.

Aujourd’hui, l’enthousiasme est retombé, même en Pologne. N’est-on pas allé trop vite ? Que Karol Wojtyla ait été entièrement animé par sa foi, c’est certain ; qu’il ait mené une vie sainte, je l’ai toujours cru. Qu’il ait été, comme chacun d’entre nous, conditionné par son éducation, son type de personnalité, le contexte politique et religieux de sa Pologne natale, c’est tout aussi indubitable. Mais que l’Église actuelle puisse prendre comme modèle la manière dont il a dirigé l’Église ou l’image qu’il s’en faisait, c’est moins évident. Je pense donc que cette canonisation en 2014, seulement neuf ans après son décès, ne fut pas opportune. Elle est un écho de la ferveur populaire qu’il a suscitée, mais pas un geste prophétique.

On est bien d’accord, qui dit saint ne dit pas “parfait”. Le père Damien avait mauvais caractère. Saint Jean de la Croix a cette phrase : “N’imitez pas les saints, le diable vous ferait copier leurs défauts.” Il n’empêche. Une canonisation amplifie un message. Était-ce opportun d’amplifier celui-là ? Ne peut-on pas dire, avec Christine Pedotti et Anthony Favier, que sa canonisation, en 2014, “marque la fin d’un long cycle dans l’histoire du catholicisme, celui du rêve d’un retour de la puissance” ? Ces deux auteurs considèrent notamment cette période comme un essai de recléricalisation de l’Église. Ils viennent de signer, chez Albin Michel, un livre intitulé : Jean-Paul II, l’ombre du saint. Le bandeau indique : “Droit d’inventaire” . Après lecture, je dirais plutôt : Dossier à charge.

Deux événements seulement de ce pontificat obtiennent leur satisfecit : la repentance de l’an 2000 et la réconciliation avec les juifs lors de la visite au mur des Lamentations. Tout le reste est vu sous l’angle de l’ambiguïté. De gros dérapages sont épinglés, entre autres le soutien à certains personnages dont la perversité apparaît maintenant. Sa gestion du drame de la pédophilie, sujet si sensible de nos jours, fut loin d’être exemplaire.

Cet ouvrage est bien documenté et les sources sont sérieuses. Mais pour qu’il y ait de l’ombre, il faut de la lumière. Celle-ci n’apparaît guère dans le livre. Le regard systématiquement sceptique finit par mettre mal à l’aise. Il n’empêche, il pose beaucoup de bonnes questions. Il rejoindra ceux qui ne veulent pas seulement un renouvellement de l’Église, mais une Église nouvelle. Et je suis de ceuxlà. Bien sûr, il suscitera aussi des levées de boucliers.

À la lecture de ce livre, je me pose au moins deux questions. Tout d’abord, celle de la rapidité de la canonisation. Un délai trop court ne permet pas d’avoir la distance nécessaire. Tant la canonisation que le livre pèchent, me semble-t-il, par défaut de contextualisation. La première oubliant l’évolution actuelle de l’Église, le second, lisant tout à la lumière de cette même évolution, dont pourtant je me réjouis. Et ensuite, le rapport des croyants à la papauté. N’y a-t-il pas parfois quelque chose qui frise l’idolâtrie, la papolâtrie dira-t-on, et qui ressemble par trop à ces empereurs romains divinisés à leur mort ? Et ce n’est pas aujourd’hui la seule idole qui tombe. Loin de moi de remettre en question le rôle de l’évêque de Rome. Le cardinal Newman, cet anglican converti au catholicisme en 1845, disait avec humour : “Si je devais lever mon verre, je le lèverais d’abord à la conscience, puis au Pape.” Sachons raison garder.

10:54 | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer |