Tous les jours depuis un an, et pour deux années encore, les offices des bénédictines de l'abbaye de Jouques sont gravés.
On entend les cloches sonner, les bancs qui craquent, une page qui se froisse. On imagine presque la tunique des sœurs frôler les dalles. À l'abbaye Notre-Dame-de-Fidélité de Jouques, près d'Aix-en-Provence, 45 bénédictines sont en train de réaliser, à l'heure où l'on parle, le plus long enregistrement musical de l'histoire. Une intégrale des chants grégoriens, qui rythment leur vie monastique. Un projet qui durera 8000 heures arrivé à son terme. Soit presque 300 jours.
Trente ans après un premier disque gravé par Naxos, les religieuses sont à nouveau enregistrées dans l'abbatiale, où elles se retrouvent sept fois par jour, des laudes aux complies. Un bâtiment de couleur ocre des années 1960. Huit micros, raconte notre consœur d'Aleteia , ont été disposés depuis le mois de mars 2019 par un ingénieur du son américain, John Anderson, à l'origine du projet. L'homme, qui gère aussi une maison de disques dédiée au jazz et au classique, a découvert la beauté du chant grégorien grâce à sa tante, membre de la communauté. «Il y a quelque chose qui dépasse notre individualité, confiait-il à la radio britannique Classic FM. C'est une musique qui vous guide tout de suite vers l'éternité et la spiritualité.»
Les sœurs doivent ainsi penser à lancer les micros avant et après chaque office. Leurs bruits, un froissement de feuille ou une porte qui grince, rendent plus vivante encore l'écoute. Grâce à la 4G installée pour l'occasion à l'abbaye, les nonnes envoient chaque soir le fichier audio à des techniciens. «Ces femmes passent la moitié de leur journée dans l'église, s'émerveille John Anderson. Et ce, tous les jours de l'année, pendant toute leur vie. Elles chantent comme une seule et longue mélodie.» Le reste du jour, elles travaillent, comme le veut la règle de Saint-Benoît, de leurs mains. Au potager ou entre les vignes.
Le chant liturgique par excellence
Principal chant liturgique reconnu par le Vatican, le grégorien, qui remonte aux IVe et Ve siècles, se caractérise par sa monodie, c'est-à-dire l'usage d'un seul et même ton. Il est chanté a cappella. Sa mélodie, censée magnifier les textes sacrés, est façonnée par les accents de la langue latine et l'importance spirituelle des mots. Après une longue tradition orale, ces chants ont été codifiés sous forme de neumes, des notes carrées et noires qui indiquent les variations de la voix.
C'est de cette notation que tire son nom le site - et bientôt aussi l'application - Neumz, qui accueillera les 8000 heures de musique. Auquel seront jointes la partition et la traduction des textes. L'enregistrement des sœurs se terminera en 2022, à la fin du cycle liturgique, trois ans qui intègrent la lecture de tous les Évangiles. Mais plusieurs longues vidéos sont déjà disponibles sur YouTube. Elles rappellent combien les voix féminines s'accordent bien au chant grégorien, ce genre plus souvent associé aux moines, comme ceux de la sublime abbaye de Solesmes.