De nos jours, il s’agirait plutôt de distinguer le voile de la tête. Ah le voile islamique, encore lui ! Est-ce un hasard si les réactions les plus virulentes sont venues de jeunes femmes voilées prêtes à sacrifier leur avenir pour échapper aux exigences pédagogiques de leur enseignement? Dans un incroyable retournement de l’histoire et dans un insaisissable processus de renversement des valeurs, ces jeunes femmes présentent le voile comme un marqueur de leur identité et l’éducation comme un repoussoir. À les entendre c’est le voile qui libère et l’éducation qui enferme. Ce n’est pas tout. À leurs yeux, l’État et la société les discriminent, les stigmatisent, les oppriment. Bref, l’État et la société sont les deux grands coupables. Et elles, forcément, des victimes.
Refuser le voile ne relève pas du racisme. Bien au contraire
Et pourquoi ne pas pousser le bouchon un peu plus loin comme l’a fait la députée Ecolo, Farida Tahar, lors d’une prise de parole au parlement bruxellois le 6 décembre dernier ? Selon elle, interdire le voile à l’école est un acte raciste. Le ridicule ne tue pas. Plus l’accusation est mensongère, plus ça passe !!! La culpabilité ne suffit plus. Faut-il encore surenchérir avec cet insupportable chantage : "Soit vous acquiescez au voile soit vous êtes racistes". En réalité, cette accusation de racisme brandie comme un bâillon n’est qu’une stratégie pour évacuer un débat complexe et contradictoire. Qui osera se mouiller en prenant part à des échanges piégés par des accusations de racisme ? Certains rêvent de transformer cette confrontation des idées en un clash entre musulmans et non-musulmans. Or, il n’en est rien. Sur ce sujet-là comme sur bien d’autres, les musulmans sont divisés...et ce, depuis longtemps. À force de véhiculer en boucle les mêmes discours victimaires, au parlement, dans les médias, dans l’espace public, on a totalement évacué la symbolique du voile et sa dimension politique.
Derrière le voile, des Etats et des mouvements islamistes
Et s’il y avait une autre façon d’appréhender cette problématique. Et si le voile n’est pas qu’un "choix" vestimentaire. D’ailleurs, l’a-t-il déjà été ? Pour saisir les enjeux, un simple détour historique suffit. A partir de 1979, une nouvelle dynamique politique s’installe au Moyen-Orient et a des répercussions majeures sur l’Europe. L’Arabie saoudite, l’Iran depuis l’avènement de Khomeiny (1979) et un peu plus tard la Turquie avec Erdogan (1999) se retrouvent au cœur d’un large mouvement d’islamisation.
Les diasporas en Belgique n’échappent pas à cet écueil. L’immigration bénéficie d’une attention soutenue de la part de ces régimes en plus de l’influence des chaînes satellitaires des monarchies du Golfe et de l’activisme constant de la confrérie des Frères musulmans. Les femmes deviennent des "espaces" à conquérir. Naît, alors, un paradoxe. En s’affichant avec un voile (grandement relooké), ces dernières gagnent en visibilité. Surtout, lorsqu’elles accèdent à des fonctions politiques. Elles deviennent alors la "vitrine" tant convoitée. Il n’y a qu’à se rappeler avec quel zèle, Erdogan avait accueilli en 2009, l’entrée au parlement bruxellois de Mahinur Özdemir, première députée voilée en Europe. La récente reconversion dans la diplomatie de la protégée de l’homme fort d’Ankara devenue ambassadrice de Turquie en Algérie en dit long sur sa loyauté.
Le corps des femmes est politique. Tout ce qui relève de leur condition l’est tout autant. Le voile est tout sauf une chose anecdotique, un détail vestimentaire. Le voile est un signe politico-religieux, relevant d’une lecture politique de l’islam qui impose une vision du monde et des rapports de domination aux femmes. Nous connaissons ce phénomène de l’intérieur. Nous sommes témoins de la pression sociale, de plus en plus forte, exercée sur les femmes pour qu’elles se plient à cette injonction. Voilà la triste réalité. Arrêtons de nous voiler la face !
Liste des signataires: Malika Akhdim, militante féministe et laïque, Radouane El Baroudi, cameraman ; Djemila Benhabib, politologue et écrivaine ; Hamid Benichou, militant associatif ; Soade Cherifi, enseignante et coach ; Yeter Celili, militante féministe et laïque ; Bahareh Dibadj, psychologue ; Hassan Jarfi, président de la fondation Ihsane Jarfi ; Kaoukab Omani, éducatrice ; Abdel Serghini, réviseur d’entreprises ; Jamila Si M’hammed, psychiatre ; Sam Touzani, artiste-citoyen.
(1) Créé le 12 novembre 2019 à l’initiative du Centre d’Action Laïque (CAL), le Collectif Laïcité Yallah est constitué de croyants et de non croyants ayant un héritage musulman. Préoccupés par la montée du fondamentalisme musulman, du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme, ses membres militent en faveur de la laïcité et combattent le communautarisme ethnique et religieux.