Pakistan : les jeunes filles chrétiennes vivent à la merci des extrémistes (15/07/2020)

De Sylvain Dorient sur le FigaroVox :

«Au Pakistan, les jeunes filles chrétiennes vivent à la merci des extrémistes»

FIGAROVOX/TRIBUNE - En 2013, la commission «Justice et Paix» du Pakistan publiait un rapport dénonçant l'enlèvement de force de jeunes filles chrétiennes pakistanaises, converties pour être mariées. Une situation qui ne s’est pas améliorée depuis, dans le pays où la charia prévaut sur le droit normatif, s’inquiète Sylvain Dorient.

Sylvain Dorient est membre de l’AED, l’Aide à l’Église en Détresse.


Le visage souriant de cette jeune fille de 14 ans, qui pose pour la photo, n’est plus inconnu du grand public. Huma Younus, pakistanaise et chrétienne a été enlevée le 10 octobre 2019. Son ravisseur, Abdul Jabar, l’a emmenée à 600km de son foyer. Il prétend que la jeune fille s’est convertie à l’islam et l’a épousée de son plein gré.

Au Pakistan, où 96% de la population est musulmane, les minorités religieuses, chrétienne, hindoue et Sikhe, vivent dans une situation précaire.

Au Pakistan, où 96% de la population est musulmane, les minorités religieuses, chrétienne, hindoue et Sikhe, vivent dans une situation précaire, à la merci des extrémistes. C’est en particulier vrai des jeunes filles, déplore la Commission justice et paix, qui dénonce depuis 10 ans le phénomène des mariages et conversions forcés de mineures. Selon les calculs de la Commission, composée d’avocats, de religieux et de militants, un millier de jeunes filles seraient enlevées de la sorte chaque année. Depuis la publication du rapport qui indiquait ce chiffre, en 2013, les choses n’ont pas changé, regrette Christopher Sajid. Pakistanais, il a travaillé pour Caritas Pakistan avant de diriger l’Human Friends Organization ; il craint au contraire que le phénomène ne se soit aggravé. Il explique: «Les familles chrétiennes ou hindoues sont souvent très pauvres, elles ont peu accès à l’éducation. Le plus souvent, elles n’osent pas porter plainte. Je crains que beaucoup de cas ne passent sous les radars.»

Huma Younus, un cas d’école

Le cas Huma Younus n’est pas isolé, et il est symptomatique du problème pakistanais. Depuis son enlèvement, ses parents n’ont eu de cesse de vouloir la récupérer. Ils ont obtenu le soutien d’une avocate, Maître Tabassum Yousaf, qui voulait faire jouer la «Loi qui limite les mariages avec des mineurs» (Child Marriage Restraint Act), adoptée par la province du Sindh en 2014. Théoriquement, le mariage de mineures de moins de 18 ans étant interdit au Pakistan, il suffisait de démontrer la minorité d’Huma Younus pour qu’elle soit rendue à sa famille. Le 3 février, les parents d’Huma ainsi que maître Yousaf se sont rendus devant la Haute Cour du Sindh, où la présence de leur fille avait été requise. On imagine l’attente des parents, qui n’avaient pas revu leur fille depuis quatre mois. Mais elle n’était pas là. Interrogé sur cette absence, le responsable de l’enquête Akhtar Hussain s’est borné à dire qu’elle avait été convoquée, ce qui suscite de forts soupçons de collusion du policier avec le ravisseur.

La charia prévaut

Ensuite, les pièces apportées par les parents de Huma, qui démontraient son âge, n’ont pas suffi à infléchir la Cour suprême. Les juges ont considéré que selon la charia, une jeune fille pouvait se marier dès qu’elle avait ses premières règles. Par conséquent, rien n’interdisait à Abdul Jabbar de prendre Huma pour épouse. En d’autres termes, la charia a prévalu sur le droit constitutionnel pakistanais. Après l’audience maître Yousaf rapporte un incident impliquant Abdul Jabbar et les parents de Huma. Il aurait dit à ces derniers que s’ils n’arrêtaient pas d’essayer de récupérer leur fille, il les accuserait de blasphème.

Les juges n’hésitent pas à aller à l’encontre du droit pakistanais, pour prononcer une sentence défavorable aux membres des minorités religieuses.

Plus récemment, le cas d’une autre chrétienne de 14 ans, Maira Shahbaz, démontre le sentiment d’impunité des malfaiteurs. Le 28 avril 2020, deux témoins, Parvaiz et Nadeem Masih, affirment qu’ils ont vu un homme dénommé Mohammed Nakash et deux complices - tous armés - embarquer la jeune fille de 14 ans dans une voiture près de chez elle, tirant des coups de feu en l’air tout en s’enfuyant. Une plainte a été déposée par la mère de Maira. Mais au tribunal, le 5 mai, 150 hommes sont venus soutenir Mohammed Nakash. L’avocat qui défend Maira, maître Khalil Tahir Sandhu, les soupçonne d’avoir influencé la décision des juges. Ceux-ci ont considéré que Maira avait bien 19 ans, comme l’indiquait M. Nakash et pas 14 comme l’affirmait sa mère. Les pièces apportées par la famille de Mlle Shahbaz (un certificat de naissance, des documents officiels de l’Église catholique et de l’école), prouvant sa minorité, n’y ont rien fait. À l’annonce du verdict, la mère de Maira a eu une crise cardiaque et a dû être transportée à l’hôpital.

D’une façon inattendue, Maira vient de recevoir l’aide d’un imam. Mohammed Asad Ali Rizvi Efi, grand mufti de la Mosquée Jammah, à Faisalabad, a prononcé vendredi 3 juillet une fatwa contre le certificat de mariage apporté par Mohammed Nakash lors de l’audience du 5 mai.

Le poids des extrémistes religieux

Les cas de ces jeunes filles démontrent que les juges pakistanais n’hésitent pas à aller à l’encontre du droit pakistanais, pour prononcer une sentence défavorable aux membres des minorités religieuses. Difficile de savoir s’ils agissent de cette façon par conviction ou par peur des extrémistes. Ces derniers pèsent d’un poids disproportionné sur le destin du Pakistan. À titre d’exemple, le gouvernement de la province du Sindh a tâché de mettre hors la loi les mariages et conversions forcées. En 2016, un amendement qui prévoyait d’interdire la conversion des moins de 18 ans a obtenu l’unanimité lors de son passage devant l’assemblée de la province. Les partis religieux s’y sont violemment opposés et ont menacé d’assiéger l’assemblée si le gouverneur de la province y apposait sa signature. Le gouverneur, qui avait publiquement approuvé l’amendement, a, en fin de compte, refusé de le signer.

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