La campagne électorale fut perturbée par la crise sanitaire. Le premier tour, initialement prévu le 10 mai, ne se tint que le 28 juin. Une lutte à mort s’engagea par médias interposés. En effet, en Pologne, les grands médias privés, tous libéraux, sont aux mains des Allemands et des Américains. Les médias publics, contrôlés par le gouvernement, soutenaient le candidat du PiS. Au total, 80 % de la presse de gauche comme de droite était contre Duda. Les relations entre les deux camps sont si tendues qu’il fut impossible d’organiser un débat entre les deux tours, chaque camp accusant – non sans raison – les médias de l’autre de partialité.
Dans cette bataille d’image, attaqué sur sa droite et sur sa gauche par une douzaine de prétendants et en dépit de ses qualités personnelles, Duda perdit du terrain dans les sondages face à son charismatique challenger. Il vira cependant en tête au premier tour (43,50 %) devant le maire libéral de Varsovie Rafal Trazskowsky, qui ne fit que 30,5 % des voix. Au second tour, et contrairement aux pronostiques de certains, il bénéficia finalement d’un bon report de voix, notamment des électeurs de Kryssztof Bosak, le candidat d’extrême droite, qui avait obtenu 6,8 % des voix, et il gagna avec un peu plus de 51 % des voix. Le ralliement des libéraux et des électeurs de Szymon Holownia, le candidat indépendant, arrivé troisième au premier tour avec 14 %, ainsi que le soutien de la presse et des chaînes privées n’ont pas suffi au maire de Varsovie pour renverser le président sortant.
Entre deux candidats que tout oppose sur les questions de société, la politique familiale, et plus généralement sur la vocation de la Pologne, le second tour a donc tourné au plébiscite pour ou contre la révolution conservatrice. Tandis que l’un ralliait les lobbies LGBT, Andrezj Duda refusa explicitement l’adoption d’enfant par des couples homosexuels. Une position justifiée par la «protection» des enfants qui ont, dit-il, «le droit d’être élevés dans des conditions normales».
Ce succès du parti social-conservateur n’est pas sans conséquences. La Pologne pèse de plus en plus lourd en Europe. Elle a réussi sa sortie du communisme et a su tirer profit de son intégration à l’Europe, tout en refusant les contraintes de la monnaie unique. Désormais, elle se situe au vingt-cinquième rang des puissances économiques dans le monde. Surtout, elle affiche un dynamisme économique et social exceptionnel par les temps qui courent.
LE MIRACLE POLONAIS
La conjoncture économique de la Pologne est incontestablement bien orientée : la croissance du PIB est l’une des plus soutenues de l’Union européenne et tend à se poursuivre un peu en dessous de 4,5 %. Son revenu par habitant est en train de rattraper le revenu moyen européen. La croissance des revenus des ménages (+ de 5 %) soutient une demande intérieure forte. Du côté des investissements, les voyants sont aussi au vert (hausse d’environ 10 %, en particulier dans l’immobilier : + 30 %). Dans ces conditions, le taux de chômage a baissé à 3,3 % à la fin de l’an dernier, et l’inflation en légère augmentation ne dépasse pas pour le moment 2,5 %. Quant au secteur bancaire, il se porte bien. Cette conjoncture florissante lui permet à la fois d’atteindre le quasi-équilibre des finances publiques (0,2 % de déficit), de conduire une politique familiale et sociale ambitieuse, et de réduire les inégalités.
Ce bilan très positif ne peut cacher pour autant des problèmes structurels non encore réglés. Sa démographie, pourtant très fortement encouragée par une politique familiale très ambitieuse, reste préoccupante à moyen et long terme. La population de 38 millions d’habitants ne s’est maintenue depuis 1990 que grâce à l’arrivée d’un million quatre cent mille Ukrainiens depuis la crise de 2014 et la guerre du Donbass. Certes, l’indice synthétique de fécondité de 1,48 enfant par femme en 2016 semble remonter sous l’effet d’une politique familiale clairement nataliste. Mais, en dépit de ces efforts, l’âge moyen des Polonais augmente, et la Pologne devrait perdre environ 3 millions d’habitants d’ici 2050. Il en résulte à court terme une tension forte sur le marché de l’emploi, qui pousse mécaniquement les salaires à la hausse plus rapidement que les gains de productivité et à moyen terme un risque pour les systèmes de retraite.
Par ailleurs, même si son système bancaire se porte bien, l’épargne reste faible (5 %), et les investissements proviennent pour une large part de l’étranger. Comme le remarque une note de la Direction du Trésor français : «Son modèle de développement reste centré sur des industries à faible productivité, lié à la position de la Pologne comme sous-traitant des grands groupes d’Europe de l’Ouest. Des efforts plus intenses en matière de recherche et d’innovation seront indispensables pour éviter le piège des pays à revenu intermédiaire (“middle income trap”) et pour poursuivre le processus de convergence avec le reste de l’Union, à l’heure où l’automatisation et l’intelligence artificielle pourraient permettre un rapatriement des unités industrielles dans les pays de l’Ouest donneurs d’ordre».
Globalement, l’économie polonaise, qui bénéficie encore d’un secteur agricole important (10 % de la population et 2,1 % du PIB), et dont le secteur tertiaire se développe rapidement (56,8 % du PIB et 59 % de la population active), risque plus la surchauffe que la récession. Pour faire face à ces contraintes, le gouvernement a adopté un «Plan de pour un développement responsable» de 350 milliards d’euros jusqu’en 2030. Parmi les objectifs de ce plan : développer l’innovation des entreprises et augmenter les dépenses de R&D à 2 % du PIB en 2020, favoriser l’expansion à l’étranger via l’émergence de 400 à 500 PME/PMI exportatrices sur le modèle du Mittelstand allemand.
LA POLOGNE TOUJOURS FIDÈLE
Dans ces conditions, il est facile de comprendre que les Polonais soient majoritairement satisfaits de l’action du PiS, et qu’ils reconduisent à la tête de l’État son candidat. En Pologne, il n’y a pas de Gilets jaunes !
La grande majorité des Polonais soutiennent les orientations économiques et sociales de leur gouvernement, mais pas seulement. Malgré les pressions médiatiques et extérieures de l’Europe et des organisations onusiennes, ils sont aussi nombreux à l’approuver sur les questions sociétales. Une attitude incompréhensible pour les Européens de l’Ouest, et les Français en particulier. Alors que le gouvernement français profite de la crise du Covid et de l’été pour faire passer des lois permissives inspirées par les lobbies LGBT, le gouvernement polonais fait l’inverse.
En Pologne, la législation est déjà très restrictive. L’avortement n’est autorisé que dans trois cas : viol ou inceste, danger pour la vie de la mère et malformation du fœtus. Le gouvernement a tenté d’interdire d’avorter dans le cas où le fœtus présente des malformations irréversibles, ce qui revient à l’interdire presque totalement. Le projet n’a finalement pas été débattu par le Parlement. Mais le président élu n’a pas hésité à dire durant sa campagne : «Je signerai la loi interdisant l’avortement eugénique avant tout pour supprimer le droit de tuer des enfants atteints du syndrome de Down (trisomie 21)». Une position évidement critiquée par la commissaire du Conseil de l’Europe pour les droits de l’Homme, Dunja Mitjatovic : «Comme presque toutes les interruptions légales de grossesse pratiquées aujourd’hui en Pologne tombent dans cette catégorie (malformations congénitales), cette loi, si elle est adoptée, aboutira à interdire virtuellement l’avortement, affectant sérieusement les droits et la sécurité des femmes dans ce pays», a-t-elle déclaré sur TV5.
Cette résistance peut paraître surprenante à certains. Au début des années 1990, le cardinal Franciszek Macharski, successeur de Karol Wojtyla au siège de Cracovie, craignait qu’avec l’ouverture à l’Ouest, le matérialisme mercantile et l’individualisme n’étouffent comme un vent de sable le catholicisme polonais. Cette crainte ne s’est que très partiellement réalisée. Avec 92 % de personnes se déclarant catholiques et un taux de pratique religieuse avoisinant les 40 %, la Pologne demeure après Malte (93,89 %) le pays le plus pratiquant d’Europe. Si en France les «sans religion» sont désormais les plus nombreux, et si le christianisme a cessé d’être un élément clivant et déterminant des agrégats électoraux, y compris chez les catholiques, rien de tel en Pologne. La déchristianisation et le «post-christianisme» ne semblent pas à l’ordre du jour dans la patrie du cardinal Wyszynski et de Jean Paul II.
Les Français, qui ne suivent que de très, très loin les événements politiques des pays de l’Europe de l’Est, et qui regardent avec commisération la Pologne, ce pays prétendument rétrograde, auraient peut- être intérêt à s’intéresser à un pays qui affiche un dynamisme impressionnant, à rebours de ce qui existe en France.
Thierry Boutet