Bioéthique : "le progressisme est totalitaire avec les faibles et les fragiles" (07/08/2020)

Jules Torres recueille les propos de Tugdual Derville sur le site de Valeurs Actuelles :

 

Tugdual Derville sur la loi bioéthique : “Le progressisme est totalitaire avec les faibles et les fragiles”

Valeurs actuelles. À propos du projet de loi bioéthique, vous parlez de « déguisement du mal en bien ». Pourquoi ?

Tugdual Derville. L’amour est systématiquement brandi en paravent de mesures qui se révèlent injustes pour les plus fragiles et les plus faibles. Ce procédé relève du chantage affectif. Quand il s’agit de dissoudre les repères anthropologiques qui sont les plus épanouissants pour l’être humain, la tonalité des interventions des promoteurs de ces dérives éthiques est toujours moralisatrice. Ils abusent de l’émotion pour anesthésier notre raison. Ce qui me frappe toujours dans ces débats, c’est l’énergie déployée pour rendre complexes les réalités les plus simples. Par exemple, qu’un enfant naît d’un homme et d’une femme. Que père et mère sont complémentaires et non pas interchangeables. Pour casser ces réalités de bon sens, on assène sous le label trompeur « bioéthique », des principes vaseux ; on nie les fondamentaux anthropologiques dont les générations futures ont besoin, autant que chacun d’entre nous. Lionel Jospin le disait avec fermeté au moment de la loi Taubira : « L’humanité est faite d’hommes et de femmes. » Sortir de cette binarité à laquelle nous devons tous la vie, c’est jouer avec le feu.

La disparition progressive du père et de la famille vous inquiète-t-elle ?

Organiser l’escamotage du père occulte un élément essentiel de la nature de l’humanité. Nous avons en effet une nature humaine profondément ancrée, biologiquement, mais aussi culturellement, dans l’altérité homme/femme. Bien sûr, il faut lutter contre les discriminations et tous les stéréotypes injustes qui pèsent surtout sur les femmes, mais de là à fonder toute une doctrine sur l’indifférenciation homme/femme... Il s’agit d’un déni d’écologie humaine. Cet abus s’apparente aux atteintes gravissimes que l’on commet sur l’environnement. Piétiner la nature au prétexte d’un “progrès” est régressif. Certes, la famille parfaite n’existe pas et il n’y a pas de parents parfaits, mais la famille fondée sur l’altérité homme-femme reste l’écosystème le plus favorable à l’épanouissement de la vie. On le vérifie a contrario avec la quête éperdue de père chez ceux qui en ont été privés. La famille est la structure d’où naît la société : elle nous apprend la tendresse et la fraternité, le respect de la différence et la liberté et aussi l’autorité et le respect de la loi. L’État n’a pas le droit de priver les enfants du repère originel qui fonde cet écosystème familial : la différence des sexes.

 

Estimez-vous que ce projet de loi supprime les principes fondamentaux de la bioéthique ?

Ce texte tend à une dissolution de l’éthique. En autorisant la fabrication de chimères entre des cellules issus de l’être humain et des embryons d’animaux, on casse une frontière absolument sacrée qui est la différence entre l’homme et l’animal. Symboliquement, c’est lourd de conséquences. On autorise aussi la création d’embryons transgéniques et à nouveau, on joue aux apprentis sorciers avec la nature de l’homme. Par ailleurs, amputer un enfant de la moitié de son patrimoine génétique, avec la PMA sans père, c’est aussi abattre une digue majeure. J’ajoute le scandale de l’amendement surprise sur les critères d’accès à l’IMG (Interruption médicale de grossesse). Voté en catimini la toute dernière nuit, il explose l’encadrement de l’avortement en donnant la possibilité d’avorter sans délais d’un fœtus en bonne santé, par l’ajout d’un critère de "détresse psychosociale", qui est absolument invérifiable. C’est ce même critère qui a conduit à banaliser l’IVG. Qui peut prétendre vérifier une détresse sans se faire intrusif ?

Annuler ce qui restait de garde-fou, en termes de limitation de l’avortement, est un objectif tout à fait constant et conscient chez les "déconstructeurs". L’indifférenciation homme/femme est le dogme sur lequel ils établissent l’effondrement de nos principes bioéthiques. Face à des militantes qui se disent féministes, j’ai souvent entendu que “la seule façon d’obtenir l’égalité“ était “que toutes les femmes aient accès à l’avortement sans se justifier, jusqu’au terme de la grossesse” et à la procréation artificielle sans homme. Ces femmes opèrent une transposition de la lutte des classes entre les dominants (hommes) et les dominées (femmes).
 
En quoi le remboursement de la PMA pour toutes est indécent, comme l’ont affirmé plusieurs observateurs ?

Il suffit de penser à la crise sanitaire que nous traversons pour réaliser à quel point ce remboursement est indécent. La pénurie des moyens médicaux, notamment pour les personnes âgées, nous a tous marqués. De quel droit détourner la médecine et l’argent de la sécurité sociale pour répondre à des revendications individualistes sans aucun lien avec un quelconque problème médical ? Faut-il rappeler que la médecine a comme vocation de soigner des malades ? Faire du médecin un prestataire de service pour des personnes qui n’ont pas de problèmes médicaux, c’est dénaturer sa mission. Le médecin est au service de la santé des patients et non pas de leurs désirs individuels, encore moins quand il s’agit de générer de l’injustice, pour l’enfant mais aussi pour les femmes dont le corps est manipulé, au nom d’une idéologie.
 
Christine Boutin et Eric Zemmour avaient alerté, au moment du Pacs et du Mariage pour tous, que ces mesures amèneraient vers la PMA, la GPA, et plus largement vers la marchandisation du corps…

Je dénonce pour ma part une “bioéthique du glissement continu”. Le débat bioéthique est devenu un moyen pour relativiser les principes moraux intangibles. Ces révisions successives constituent un énorme piège, car elles conduisent à perdre la boussole du bien et du juste. Je dois rendre hommage à Christine Boutin, qui dès les premières lois bioéthiques, a déposé un amendement pour interdire les chimères homme/animal sous les rires de ses collègues. Lorsque nous alertons sur « l’étape suivante », aujourd’hui la GPA, nous subissons toujours un déni de ricanement. Christine Boutin a lancé des alertes prophétiques ; elle a vu avant tout le monde que la bioéthique était devenue une question politique majeure pour notre société post-moderne. A mes yeux, un des défis majeurs de notre temps est de contrer la confusion que beaucoup font désormais entre l’homme et l’animal.
 
Le progressisme est-il dangereux pour l’être humain ?

Le progressisme de déconstruction casse les murs porteurs de notre société. En prônant le totalitarisme du désir individuel, il instaure la loi du plus fort. Ce progressisme est totalitaire avec les faibles et les fragiles. Il est donc régressif. Transposons à la question environnementale : toute mutation n’est pas progrès. Le patrimoine naturel et culturel nécessaire au bien-être de l’humanité mérite qu’on se mobilise pour sa conservation. Face à sa toute-puissance technique, l’humanité doit faire preuve d’humilité.
 
Pourquoi le droit de l’enfant passe-t-il toujours au second plan ?

Parce qu’il ne vote pas, qu’il n’a ni visage ni voix. C’est le piège imparable de toutes ces lois, qui passent sous silence le droit des enfants. Levinas nous l’a appris : le visage est ce qui nous interdit de tuer. Nous sommes dans une situation où nous ne nous battons pas à armes égales sur le plan émotionnel. Il y a quelques jours, tout le monde, et moi le premier, s’est ému de la situation d’une adorable fillette trisomique refusée d'un club de camping. Comment se fait-il que notre société soit la plus sélective du monde dans son exclusion prénatale des fœtus trisomique ? Les parents que nous écoutons, à l’issue d’une IMG tardive, nous ont souvent dit leur stupeur - dans les larmes - devant le corps de leur enfant, en découvrant la beauté de son visage.
 
Vous regrettez la manière dont s’est déroulé ce vote à l’Assemblée nationale ?

Il faut rendre l’exécutif responsable de ce fiasco législatif. C’est lui qui l’a organisé en décidant de faire voter la loi à main levée, un samedi à 4 h du matin ! Le président de la République avait promis un débat apaisé ; il a généré un débat tendu pour aboutir à une loi très injuste qu’il aurait presque voulu faire passer inaperçue. Aboutir à ce vote au petit matin du 1er août en plein Covid illustre la vacuité et l’irresponsabilité de nos dirigeants.

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