Estimez-vous que ce projet de loi supprime les principes fondamentaux de la bioéthique ?
Ce texte tend à une dissolution de l’éthique. En autorisant la fabrication de chimères entre des cellules issus de l’être humain et des embryons d’animaux, on casse une frontière absolument sacrée qui est la différence entre l’homme et l’animal. Symboliquement, c’est lourd de conséquences. On autorise aussi la création d’embryons transgéniques et à nouveau, on joue aux apprentis sorciers avec la nature de l’homme. Par ailleurs, amputer un enfant de la moitié de son patrimoine génétique, avec la PMA sans père, c’est aussi abattre une digue majeure. J’ajoute le scandale de l’amendement surprise sur les critères d’accès à l’IMG (Interruption médicale de grossesse). Voté en catimini la toute dernière nuit, il explose l’encadrement de l’avortement en donnant la possibilité d’avorter sans délais d’un fœtus en bonne santé, par l’ajout d’un critère de "détresse psychosociale", qui est absolument invérifiable. C’est ce même critère qui a conduit à banaliser l’IVG. Qui peut prétendre vérifier une détresse sans se faire intrusif ?
Annuler ce qui restait de garde-fou, en termes de limitation de l’avortement, est un objectif tout à fait constant et conscient chez les "déconstructeurs". L’indifférenciation homme/femme est le dogme sur lequel ils établissent l’effondrement de nos principes bioéthiques. Face à des militantes qui se disent féministes, j’ai souvent entendu que “la seule façon d’obtenir l’égalité“ était “que toutes les femmes aient accès à l’avortement sans se justifier, jusqu’au terme de la grossesse” et à la procréation artificielle sans homme. Ces femmes opèrent une transposition de la lutte des classes entre les dominants (hommes) et les dominées (femmes).
En quoi le remboursement de la PMA pour toutes est indécent, comme l’ont affirmé plusieurs observateurs ?
Il suffit de penser à la crise sanitaire que nous traversons pour réaliser à quel point ce remboursement est indécent. La pénurie des moyens médicaux, notamment pour les personnes âgées, nous a tous marqués. De quel droit détourner la médecine et l’argent de la sécurité sociale pour répondre à des revendications individualistes sans aucun lien avec un quelconque problème médical ? Faut-il rappeler que la médecine a comme vocation de soigner des malades ? Faire du médecin un prestataire de service pour des personnes qui n’ont pas de problèmes médicaux, c’est dénaturer sa mission. Le médecin est au service de la santé des patients et non pas de leurs désirs individuels, encore moins quand il s’agit de générer de l’injustice, pour l’enfant mais aussi pour les femmes dont le corps est manipulé, au nom d’une idéologie.
Christine Boutin et Eric Zemmour avaient alerté, au moment du Pacs et du Mariage pour tous, que ces mesures amèneraient vers la PMA, la GPA, et plus largement vers la marchandisation du corps…
Je dénonce pour ma part une “bioéthique du glissement continu”. Le débat bioéthique est devenu un moyen pour relativiser les principes moraux intangibles. Ces révisions successives constituent un énorme piège, car elles conduisent à perdre la boussole du bien et du juste. Je dois rendre hommage à Christine Boutin, qui dès les premières lois bioéthiques, a déposé un amendement pour interdire les chimères homme/animal sous les rires de ses collègues. Lorsque nous alertons sur « l’étape suivante », aujourd’hui la GPA, nous subissons toujours un déni de ricanement. Christine Boutin a lancé des alertes prophétiques ; elle a vu avant tout le monde que la bioéthique était devenue une question politique majeure pour notre société post-moderne. A mes yeux, un des défis majeurs de notre temps est de contrer la confusion que beaucoup font désormais entre l’homme et l’animal.
Le progressisme est-il dangereux pour l’être humain ?
Le progressisme de déconstruction casse les murs porteurs de notre société. En prônant le totalitarisme du désir individuel, il instaure la loi du plus fort. Ce progressisme est totalitaire avec les faibles et les fragiles. Il est donc régressif. Transposons à la question environnementale : toute mutation n’est pas progrès. Le patrimoine naturel et culturel nécessaire au bien-être de l’humanité mérite qu’on se mobilise pour sa conservation. Face à sa toute-puissance technique, l’humanité doit faire preuve d’humilité.
Pourquoi le droit de l’enfant passe-t-il toujours au second plan ?
Parce qu’il ne vote pas, qu’il n’a ni visage ni voix. C’est le piège imparable de toutes ces lois, qui passent sous silence le droit des enfants. Levinas nous l’a appris : le visage est ce qui nous interdit de tuer. Nous sommes dans une situation où nous ne nous battons pas à armes égales sur le plan émotionnel. Il y a quelques jours, tout le monde, et moi le premier, s’est ému de la situation d’une adorable fillette trisomique refusée d'un club de camping. Comment se fait-il que notre société soit la plus sélective du monde dans son exclusion prénatale des fœtus trisomique ? Les parents que nous écoutons, à l’issue d’une IMG tardive, nous ont souvent dit leur stupeur - dans les larmes - devant le corps de leur enfant, en découvrant la beauté de son visage.
Vous regrettez la manière dont s’est déroulé ce vote à l’Assemblée nationale ?
Il faut rendre l’exécutif responsable de ce fiasco législatif. C’est lui qui l’a organisé en décidant de faire voter la loi à main levée, un samedi à 4 h du matin ! Le président de la République avait promis un débat apaisé ; il a généré un débat tendu pour aboutir à une loi très injuste qu’il aurait presque voulu faire passer inaperçue. Aboutir à ce vote au petit matin du 1er août en plein Covid illustre la vacuité et l’irresponsabilité de nos dirigeants.