Se passer de prêtres ? (20/08/2020)

Du site "Pro Liturgia" (19 août 2020) :

De Mgr Marian Eleganti, évêque de Coire, à propos de la récente Instruction de la Congrégation du Clergé. (13 Août 2020) :

« Le prêtre agit « in persona Christi » (1) : c’est ainsi que s’exprime le concile Vatican II dans “Lumen Gentium” (LG 10) et “Presbyterorum Ordinis” (PO 2) (2). Saint Ambroise écrit de son côté : « (...) Dès qu’on en vient à produire le vénérable sacrement, le prêtre ne se sert plus de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ. C’est donc la Parole du Christ qui produit ce sacrement. » (3) La personne du prêtre est à ce moment-là prise en charge par la personne du Christ : il prend la place du Christ, il devient sa voix. Ainsi le prêtre est, à cet instant-là, l’image du Christ. « Par la vertu du sacrement de l’Ordre, [les prêtres sont consacrés] à l’image du Christ prêtre suprême » (LG 28). Le Concile parle à propos du sacerdoce ordonné d’un caractère spécial, inaliénable (PO 2) et différent dans son essence - et pas seulement par son degré - du sacerdoce commun des fidèles (LG10). « Le sacerdoce ordonné est absolument nécessaire à la communauté ecclésiale pour assurer la Présence du Christ, Chef et Pasteur, au milieu d’elle. » (4)

Il devient clair alors que la récente Instruction de la Congrégation pour le clergé est un plaidoyer en faveur du caractère sacré de l’Église et n’a rien à voir avec un retour en arrière ou un quelconque cléricalisme. Ceux qui reprochent à l’Église une focalisation sur le ministère du prêtre passent à côté du sujet : il ne peut en effet exister de paroisse vivante sans la sainte Eucharistie, et il n’y a pas d’Eucharistie sans prêtre. Les prêtres, en exerçant leur ministère, participent à la Toute-Puissance du Christ, Chef et Pasteur. Au nom de leur évêque, ils rassemblent la famille de Dieu, laquelle, en tant que communauté de frères, a soif d’unité. Ils la conduisent au Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint : « Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. » (2 Cor 5,20), et encore : « Que l’on nous regarde donc comme des auxiliaires du Christ et des intendants des mystères de Dieu. » (1 Cor 4, 1)

Le pape Jean-Paul II avait précisé dans un discours à la Congrégation pour le Clergé en 2001 qu’il était de première importance pour une paroisse d’avoir un prêtre, un pasteur, bien à elle. Ce titre de “pasteur” est réservé au prêtre, car il présuppose, de façon essentielle et nécessaire, l’ordination sacerdotale. Bien sûr, des laïcs peuvent intervenir au titre de collaborateurs, mais en aucun cas ceux-ci ne pourront remplacer le prêtre dans sa fonction de pasteur : car, comme le souligne encore Jean-Paul II, ils n’ont pas été ordonnés pour cela. (5) Il s’agit ici de réaliser, d’actualiser la présence du Christ, le bon Pasteur. L’Église se construit autour de l’évêque, la paroisse autour du prêtre en une communion étroite, comme le décrivait inlassablement Ignace d’Antioche dans sa Lettre d’adieu.

« La référence à l'Église est inscrite dans l'unique et même rapport du prêtre au Christ, en ce sens que c'est la “représentation sacramentelle” du Christ par le prêtre qui fonde et anime son rapport à l’Église. » (Pastores dabo vobis, 16).

Le sacerdoce est nécessaire à la communauté paroissiale pour que subsiste en elle la présence du Christ Grand-Prêtre, Chef, Pasteur et Époux. Sans la présence du Christ, rendue effective par le prêtre dans sa personne et par la célébration de l’Eucharistie, la paroisse ne serait pas pleinement communauté ecclésiale. Cette référence fondamentale au Christ vécue par le prêtre, parce qu’elle est une « représentation sacramentelle », est ce qui caractérise l’être et le profil du prêtre. Son sacerdoce se démarque donc ontologiquement - et pas seulement pour une question de degré - du sacerdoce commun des fidèles. Il ne doit, en conséquence, pas être perçu comme une simple fonction (une fonction peut être déléguée ou transmise à autrui, pas le sacerdoce). Le sacerdoce est un sacrement : à la fois symbole et réalité.

Jean-Paul II mettait déjà en garde de ne pas tomber dans l’erreur fatale qui consiste à céder devant les difficultés occasionnées par le manque de prêtre et à se résigner à un avenir sans prêtres. Non, le prêtre n’est pas un modèle obsolète : il est constitutif du caractère sacramentel de l’Église, il est la garantie de la présence du Christ dans l’Église. Le prêtre est irremplaçable.

Le protestantisme a rompu avec cette tradition apostolique et ce faisant, a abandonné 1500 ans de convictions et de pratiques sacramentelles en Orient comme en Occident. Gardons-nous de poser aujourd’hui un acte aussi catastrophique, ni sur un plan régional, ni sur le plan universel.

Dans sa vie personnelle, le prêtre n’est pas à l’abri d’être surpassé par des laïcs non ordonnés : leur intelligence, leur niveau de formation, leur aisance orale, leurs qualités de meneurs d’hommes ou leur charisme personnel sont parfois excellents. Mais il reste que lui, et lui seul, est capable d’être la représentation sacramentelle du Christ, Chef et Pasteur. Il en est ainsi lors de la célébration de l’Eucharistie, mais pas seulement : cela se réalise aussi dans l’unité de ses charges, à savoir : guider, enseigner, sanctifier. Il faut absolument éviter que cette unité soit atténuée ou fragmentée de sorte qu’il ne resterait au prêtre qu’une enveloppe vide. Le Concile a expressément insisté sur l’importance de l’unité des “Tria Munera”. Il importe de conserver cette unité quel que soit le modèle pastoral adopté. Quiconque s’éloigne de cette exigence n’est plus, même s’il affirme le contraire, en accord avec le concile Vatican II.

C’est par le prêtre qu’advient l’Eucharistie, mais il n’est pas pour autant un simple serviteur du culte. Dans la célébration de l’Eucharistie, et au-delà, il est aussi pasteur, enseignant, prophète. C’est donc lui qui détient, dans la direction de la paroisse ou du regroupement de paroisses, la plus haute compétence en matière d’enseignement et de soin des âmes, compétence qu’il exerce en lien avec son évêque.

En tant que pasteur il ne doit pas “perdre le face à face”, se souvenant de la parole du Christ : « Je connais les miens, et les miens me connaissent » (Jean 10,14). Pas question de remplacer le prêtre par une autorité abstraite ou une “équipe de direction” qui s’occuperait du troupeau sans reconnaître ou accepter la responsabilité ultime du prêtre en son sein.

Redisons-le : étant donné le caractère sacramentel de l’Église, il ne peut y avoir d’organe de direction de la paroisse qui ne soit pas issu d’une ordination. Le lien d’unité entre direction et ordination a été fermement voulu et affirmé dès le Concile de Trente. Avec l’expression “actuosa participatio”, le Concile Vatican II ne visait pas la cléricalisation des laïcs, ni ne souhaitait susciter l’activisme dans le chœur des églises. Le premier et unique devoir des fidèles laïcs est d’être le levain dans la pâte, le sel de la terre et la lumière du monde, d’avoir une action prophétique dans tous les domaines de la vie sociale. C’est là leur vocation chrétienne spécifique, d’être des collaborateurs de la pastorale.

Malheureusement depuis la fin du Concile, il faut le reconnaître, ces vérités fondamentales liées au sacerdoce et à la structure sacramentelle de l’Église ont été massivement rejetées dans toutes les parties du monde. Au lieu que les laïcs s’engagent dans les domaines sociaux avec leurs compétences personnelles et ce rayonnement prophétique que leur confère leur baptême, ils ont été cléricalisés et dotés des charges de direction qui sont celles des prêtres. En certains endroits, le prêtre a même été dégradé en une sorte de « collaborateur-prêtre ». C’est le cas en particulier là où dans les faits, les laïcs se sont attribués pleinement la direction de la communauté, et parmi eux des femmes. Ces organes de direction laïques - un modèle qui ne devrait pas exister en tant qu’alternative au prêtre - ont fini par écarter et marginaliser le prêtre. Par moment, ils en viennent même à empêcher le prêtre d’exercer sa charge spécifique comme par exemple de célébrer l’Eucharistie le dimanche ou les jours de fête. Ce qu’ils voudraient, c’est se présenter eux-mêmes devant la communauté, prêcher, distribuer la communion et ce, même dans les endroits où un prêtre serait présent. En clair : les laïcs font, en s’appuyant sur une “mission” reçue de leur évêque, ce que les prêtres et les diacres sont appelés à faire en vertu de leur ordination (pensons à la Proclamation de l’Évangile et à la prédication).

Ce sont là des situations subversives à l’encontre de la structure sacramentelle de l’Église qui s’en trouve, de facto, menacée. Dans de nombreux endroits, le prêtre n’est plus toléré que comme un collaborateur, un distributeur de sacrements. Les stratégies d’avenir qui voudraient réduire l’action du prêtre à la célébration de l’Eucharistie et du sacrement de la pénitence, ce qui sous nos latitudes est déjà partiellement une réalité, sont fatales pour le sacerdoce, pour le caractère sacramentel de l’Église qui seule peut apporter le salut universel, et pour les vocations sacerdotales.

Il faut s’y opposer de toutes nos forces, car elles n’ont rien à voir ni en Orient, ni en Occident, avec la Tradition apostolique qui garantit la fidélité aux enseignements du Christ. »
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Notes :
(1) Dans l’analyse qui suit je me réfèrerai aux réflexions théologiques du Pape Jean-Paul II telles qu’il les avaient exprimées en 2001 lors de l’Assemblée plénière de la Congrégation pour le Clergé (23 novembre 2001) ; AAS 94 (2002), pages 214-215.
(2) SC 33 ; LG 12 et 28 ; PO 2et 12.
(3) De Sacramentis IV / 14 : SC 25.
(4) Cf. note 1.
(5) Cf. Instruction de la Congrgation pour le Clergé „Le prêtre, pasteur et guide de la communauté paroissiale“ du 4 Août 2002

Source : Kathnet (Trad. MH/APL)

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