Fratelli tutti : une fraternité universelle sans le Christ ? (08/10/2020)

De Luisella Scrosati sur la Nuova Bussola Quotidiana

Tous frères, mais avec une liberté religieuse sans le Christ

7-10-2020

Fratelli tutti omet l'affirmation première de la seule vraie religion en soumettant l'Église et la liberté à une fonctionnalité horizontale. La relativisation de la foi chrétienne est avalisée et l'idée est avancée selon laquelle l'Evangile est une des sources d'inspiration pour la réalisation de la fraternité universelle. L'Église devient ainsi l'un des artisans d'un monde sans le Christ.

Dans la nouvelle Encyclique Fratelli tutti, chacun peut trouver un peu de tout, sans ordre et sans clarté. En fait, ce n'est pas lui faire un grand compliment, mais il est difficile de dire le contraire. Dans ce genre de bazar, l'attention s'est portée en particulier sur les paragraphes consacrés à la liberté religieuse. Au n° 279, François écrit : "Nous, chrétiens, nous demandons la liberté dans les pays où nous sommes minoritaires, comme nous la favorisons pour ceux qui ne sont pas chrétiens là où ils sont en minorité. Il y a un droit fondamental qui ne doit pas être oublié sur le chemin de la fraternité et de la paix. C’est la liberté religieuse pour les croyants de toutes les religions. Cette liberté affirme que nous pouvons « trouver un bon accord entre cultures et religions différentes ; elle témoigne que les choses que nous avons en commun sont si nombreuses et si importantes qu’il est possible de trouver une voie de cohabitation sereine, ordonnée et pacifique, dans l’accueil des différences et dans la joie d’être frères parce que enfants d’un unique Dieu".

La liberté religieuse, dans le paragraphe susmentionné, est liée à la contribution que toutes les religions peuvent apporter à la réalisation d'une forme de coexistence pacifique ; sa fonction est de contribuer à la création d'une fraternité universelle, à laquelle chaque religion offre les "nombreuses choses" qu'elle a en commun avec les autres. Il est intéressant de noter que le texte ne fait pas référence, comme on aurait pu s'y attendre, à la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse ; au contraire, il est précédé, au n. 277, par la citation soigneusement tronquée du n. 2 de Nostra Aetate. Ces deux précisions - l'omission de Dignitatis Humanae et la présence de la déclaration sur le dialogue interreligieux chirurgicalement sélectionnée - ne sont pas sans effet, comme nous le verrons. Et malheureusement, cette disposition semble menacer les fondements de la Révélation, pour être au contraire rapportée au "nouvel humanisme" sans Jésus-Christ, qui s'établit à grands pas.

Mais avançons dans l'ordre. Dignitatis Humanae commençait par l'affirmation claire que "Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent obtenir le salut et le bonheur dans le Christ. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à laquelle le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes". C'est l'horizon insurmontable dans lequel la défense de la liberté religieuse doit être placée ; un horizon, comme on peut le voir, qui exorcise la tentation de l'indifférence religieuse et indique à l'Église le chemin de l'évangélisation comme une obligation irremplaçable. Dans ce contexte, la liberté religieuse n'est donc pas la légitimation de la prétention de l'individu ou des groupes à choisir la religion qui les séduit ; elle est encore moins le point d'arrivée de l'action de l'Église, mais plutôt la condition minimale pour que la personne puisse, sans contrainte, s'ouvrir à la reconnaissance de l'initiative également libre de Dieu, de se donner à l'homme dans le Christ et dans l'Église, même si cette reconnaissance, sur un plan contingent, peut ne pas se produire, ou ne se produire qu'en partie. C'est une limite imposée aux pouvoirs extérieurs, en premier lieu à l'État, en vertu non pas de l'arbitraire, mais du fait qu'il est propre à l'homme de rechercher librement la vérité sur lui-même, sur le monde et sur Dieu. Il s'agit donc d'affirmer la dimension purement verticale et spirituelle de l'homme, face à des réductionnismes nombreux et répétés.

Que fait à la place Fratelli tutti ? Elle omet complètement l'affirmation première de la seule vraie religion et de la seule mission de l'Église, elle oublie la dimension verticale de la liberté religieuse et soumet à la fois l'Église et la liberté à une fonctionnalité horizontale. En fait, le n° 276 dit : "L'Eglise "a un rôle public qui ne se limite pas à ses activités d'assistance ou d'éducation", mais qui œuvre pour "la promotion de l'homme et la fraternité universelle"". Il n'est pas fait mention de la mission surnaturelle de l'Église, sans laquelle il ne peut y avoir de promotion humaine ni de fraternité authentique.

La question suivante est que la relativisation complète de la foi chrétienne est clairement admise et que la mission de l'Église est conçue de façon immanente. En fait, le n. 277 rappelle Nostra Aetate, 2, mais en omettant les incises et les passages inconfortables ; tout d'abord cette incise qui précise que, tout en reconnaissant le bien présent dans les autres religions, celles-ci "diffèrent en de nombreux points de ce que l'Église elle-même croit et propose" ; et ensuite, ce qui est encore plus grave, le paragraphe qui rappelle le devoir impératif de l'Église d'annoncer Jésus-Christ sans se limiter à la simple reconnaissance du bien présent dans les autres religions est complètement omis. Car l'Église "annonce et doit annoncer le Christ qui est "le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14, 6), en qui les hommes et les femmes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et en qui Dieu a réconcilié toutes choses avec lui-même" (NA, 2).

Mais dans la nouvelle encyclique, il n'y a aucune trace de cette obligation précise de l'Église, qui est le sens de son existence. Au contraire, la suite du n° 277 est encore pire ; non seulement l'Evangile est réduit de façon drastique à une dimension horizontale, à une musique sans laquelle "nous aurions perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de réconciliation qui trouve sa source dans le fait de savoir que nous sommes toujours pardonnés" et "nous aurions éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de chaque homme et de chaque femme". Mais il y a même l'idée que l'Evangile est simplement une des sources d'inspiration pour réaliser cette merveilleuse fraternité universelle : "Les autres boivent à d'autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité réside dans l'Évangile de Jésus-Christ".

Un déiste anglais du 17e ou 18e siècle, ou un von Harnack, n'aurait pas écrit autrement. La personne divine de Jésus-Christ, sa médiation universelle sont complètement tues ; l'ordre de la nature - qui dans l'encyclique est avant tout l'affirmation d'une légitime coexistence entre les différentes religions - se détache de celui de la grâce. L'ordre social - dans la vision de François - peut tenir debout, l'unité du genre humain se réalise indépendamment de l'adhésion à Jésus-Christ et de l'action surnaturelle de l'Église. Au contraire. L'Évangile est simplement l'une des sources qui peuvent contribuer au bien commun.

Lors de la rencontre interreligieuse (naturellement) controversée et discutable d'Assise en 1986, Jean-Paul II, sur le parvis inférieur de la basilique Saint-François, a témoigné du Christ, seul Sauveur, devant tous les représentants des autres religions réunis : "Je professe une fois de plus ma conviction, partagée par tous les chrétiens, qu'en Jésus-Christ, en tant que Sauveur de tous, il faut chercher la vraie paix." Quelques jours auparavant, le 22 octobre, le Pontife lui-même, lors de l'audience générale, avait ainsi clairement résumé l'enseignement d'Ad Gentes : "Selon le Concile, l'Eglise est toujours plus consciente de sa mission et de son devoir, voire de sa vocation essentielle d'annoncer au monde le vrai salut qui ne se trouve qu'en Jésus-Christ, Dieu et homme. Oui, c'est seulement dans le Christ que tous les hommes et toutes les femmes peuvent être sauvés. [...]. Consciente de la vocation commune de l'humanité et de l'unique projet de salut, l'Église se sent liée à tous et à chacun, tout comme le Christ "s'est uni d'une certaine manière à tout homme". Et à tous et à chacun, elle proclame que le Christ est le centre du monde créé et de l'histoire".

Au contraire, Fratelli tutti prend le parti d'éteindre cette proclamation, de faire de l'Eglise l'un des architectes d'un monde nouveau sans le Christ, de donner le feu vert à l'idée que l'unité du genre humain peut être réalisée indépendamment de la personne divine du Christ, si tant est qu'il y en ait une, en utilisant l'Evangile comme l'un des nombreux textes d'inspiration des principes humanitaires.

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