« Les villages auxquels les Fulanis s’en prennent sont le plus souvent chrétiens, poursuit Emmanuel Igah. Le jour, ils empêchent les populations d’aller dans leurs champs et la nuit, ils attaquent les maisons, laissant des dizaines de morts. Partout, c’est le même mode opératoire. » Un témoignage qui recoupe ceux des correspondants nigérians de l’Aide à l’Église en détresse (AED) : « 178 chrétiens ont été tués dans le seul État de Kaduna au cours des sept derniers mois », affirme l’AED.
« Une mare de sang »
Ainsi, dans un message du 1er octobre, marquant le 60e anniversaire de l’indépendance du Nigeria, Mgr Matthew Kukah, évêque de Sokoto, évoquait « notre terre (qui) est maintenant une mare de sang ». S’adressant au président nigérian Muhammadu Buhari, d’origine fulani, l’évêque l’accusait d’inaction et de violation de la Constitution. Il lui reprochait, entre autres, le fait que « 85 % des postes clés » auraient été cédés aux musulmans du Nord.
Face à l’augmentation de ces attaques des communautés chrétiennes, victimes à la fois des islamistes de Boko Haram et des bergers musulmans, certains observateurs estiment que le gouvernement nigérian cherche à faire fuir les chrétiens de la Middle Belt pour islamiser ces États.
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« Tout laisse penser qu’un tel plan existe », estime Emmanuel Igah, en évoquant le militantisme agressif de l’association peule Miyetti (1) qui proclame, sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision, que « les Peuls sont destinés à diriger le Nigeria » et que ce pays est « leur terre promise confiée par Allah ».
« Tôt ou tard un impact en Europe »
Le Camerounais Dany Franck Tiwa, directeur de l’African Centre for Crime and Security Studies (ACCSS), est plus modéré. « Il n’est pas possible de dire que l’État fédéral ne fait pas son travail, tempère-t-il, car des forces spéciales de la police et de l’armée tentent de s’interposer. Mais en dépit de leur présence, les minorités chrétiennes ne se sentent pas en sécurité. »
Dans ce contexte dramatique et complexe, PSJ demande que la communauté internationale s’implique davantage, notamment en envoyant des observateurs. « L’insécurité au Nigeria aura tôt ou tard un impact en Europe », souligne Emmanuel Dupuy, président de l’Institut de prospective et sécurité en Europe (IPSE). Pour lui, les populations se déplaçant vers le Tchad et le Niger au nord, poursuivent souvent vers la Libye, et « finiront par débarquer en Europe ».
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Musulmans et chrétiens au Nigeria
Parmi les 196 millions d’habitants du Nigeria, 50 % sont musulmans et 40 % sont chrétiens, dont environ 74 % de protestants ou évangéliques et 25 % de catholiques.
Le nord du Nigeria est principalement peuplé de Peuls (ou Haoussas-Fulanis) majoritairement musulmans. Dans le sud du pays, les Yorubas, l’ethnie dominante, sont musulmans pour plus de la moitié.
Dans le sud-est, les Igbos, l’ethnie dominante, sont majoritairement chrétiens. C’est dans
le centre, ou Middle Belt, que les conflits ethnico-religieux sont les plus importants : depuis 2018, 300 000 habitants, majoritairement chrétiens, ont dû fuir les violences.