Vives inquiétudes sur le sort des chrétiens au Nigéria (19/10/2020)

Alors que Boko Haram continue de s’en prendre aux populations du nord et du centre du Nigeria, les agriculteurs chrétiens de ces régions sont également victimes d’attaques menées par les éleveurs nomades majoritairement musulmans.

19/10/2020

S’agit-il d’affrontements entre bergers nomades d’origine peule, donc musulmans, et paysans sédentarisés d’origine chrétienne ? Ou s’agit-il de terrorisme islamiste organisé visant à éradiquer les chrétiens du nord et du centre du Nigeria ? Cette question nourrit les polémiques entre spécialistes de l’Afrique de l’Ouest.

→ EXPLICATION. Au Nigeria, les attaques contre les villages visent-elles spécifiquement les chrétiens ?

Au point que l’organisation internationale PSJ (pour Peace Building and Social Justice) a organisé, le 1er octobre, un séminaire en ligne avec quatre personnalités bien informées de la situation dans ce pays le plus peuplé d’Afrique, en proie depuis plusieurs années à d’incessantes violences meurtrières.

Plus de 1 000 morts depuis janvier

Selon un rapport d’Amnesty International du 23 août, 1 126 personnes ont été tuées entre le 1er janvier et le 30 juin dans les États du nord (Kano, Katsina, Sokoto, Zamfara…) et du centre (Kaduna, Niger, Plateau, Taraba…).

Déjà nombreuses depuis 2010 – année de l’apparition de Boko Haram dans l’État de Borno –, ces violences augmentent depuis cinq ans, du fait de la militarisation des Haoussas-Fulanis, les éleveurs nomades du nord du Nigeria qui se déplacent traditionnellement pendant la saison sèche (d’octobre à mars) du nord vers le sud.

Des bergers armés de kalachnikovs

« Auparavant, cela ne posait guère de problèmes aux fermiers, rappelle le géographe nigérian Emmanuel Igah, enseignant à l’Institut de préparation à l’administration générale (Ipag) et à l’Institut supérieur de management (ISM). Quand les bergers arrivaient, ils leur indiquaient un coin pour installer leur camp et faire brouter leurs vaches. » Désormais organisés et armés de kalachnikovs, les Fulanis cherchent à prendre possession des terres agricoles de la Middle Belt (centre) où le christianisme est bien implanté.

« Les villages auxquels les Fulanis s’en prennent sont le plus souvent chrétiens, poursuit Emmanuel Igah. Le jour, ils empêchent les populations d’aller dans leurs champs et la nuit, ils attaquent les maisons, laissant des dizaines de morts. Partout, c’est le même mode opératoire. » Un témoignage qui recoupe ceux des correspondants nigérians de l’Aide à l’Église en détresse (AED) : « 178 chrétiens ont été tués dans le seul État de Kaduna au cours des sept derniers mois », affirme l’AED.

« Une mare de sang »

Ainsi, dans un message du 1er octobre, marquant le 60e anniversaire de l’indépendance du Nigeria, Mgr Matthew Kukah, évêque de Sokoto, évoquait « notre terre (qui) est maintenant une mare de sang ». S’adressant au président nigérian Muhammadu Buhari, d’origine fulani, l’évêque l’accusait d’inaction et de violation de la Constitution. Il lui reprochait, entre autres, le fait que « 85 % des postes clés » auraient été cédés aux musulmans du Nord.

Face à l’augmentation de ces attaques des communautés chrétiennes, victimes à la fois des islamistes de Boko Haram et des bergers musulmans, certains observateurs estiment que le gouvernement nigérian cherche à faire fuir les chrétiens de la Middle Belt pour islamiser ces États.

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« Tout laisse penser qu’un tel plan existe », estime Emmanuel Igah, en évoquant le militantisme agressif de l’association peule Miyetti (1) qui proclame, sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision, que « les Peuls sont destinés à diriger le Nigeria » et que ce pays est « leur terre promise confiée par Allah ».

« Tôt ou tard un impact en Europe »

Le Camerounais Dany Franck Tiwa, directeur de l’African Centre for Crime and Security Studies (ACCSS), est plus modéré. « Il n’est pas possible de dire que l’État fédéral ne fait pas son travail, tempère-t-il, car des forces spéciales de la police et de l’armée tentent de s’interposer. Mais en dépit de leur présence, les minorités chrétiennes ne se sentent pas en sécurité. »

Dans ce contexte dramatique et complexe, PSJ demande que la communauté internationale s’implique davantage, notamment en envoyant des observateurs. « L’insécurité au Nigeria aura tôt ou tard un impact en Europe », souligne Emmanuel Dupuy, président de l’Institut de prospective et sécurité en Europe (IPSE). Pour lui, les populations se déplaçant vers le Tchad et le Niger au nord, poursuivent souvent vers la Libye, et « finiront par débarquer en Europe ».

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Musulmans et chrétiens au Nigeria

Parmi les 196 millions d’habitants du Nigeria, 50 % sont musulmans et 40 % sont chrétiens, dont environ 74 % de protestants ou évangéliques et 25 % de catholiques.

Le nord du Nigeria est principalement peuplé de Peuls (ou Haoussas-Fulanis) majoritairement musulmans. Dans le sud du pays, les Yorubas, l’ethnie dominante, sont musulmans pour plus de la moitié.

Dans le sud-est, les Igbos, l’ethnie dominante, sont majoritairement chrétiens. C’est dans
le centre, ou Middle Belt, que les conflits ethnico-religieux sont les plus importants : depuis 2018, 300 000 habitants, majoritairement chrétiens, ont dû fuir les violences.

(1) Fondée dans les années 1970, appelée aussi Macban (pour Miyetti Allah Cattle Breeders Association of Nigeria), Miyetti est un groupe de défense des pasteurs nomades peuls au Nigeria.

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