Messes interdites pour cause de santé publique : «Les restrictions à la liberté de culte reposent sur une appréciation éminemment subjective » (01/11/2020)

Décryptage de Jean-Baptiste Chevalier sur le site web d’ « Aleteia »

mass-italy-covid-illustration.jpg« Dans son décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures requises pour faire face à l’épidémie de covid-19, le gouvernement [français] a décidé de limiter l’exercice du culte. L’article 47 prévoit l’autorisation de l’ouverture des églises, mais l’interdiction de « tout rassemblement ou réunion à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de trente personnes ». La proportionnalité de ces restrictions fait l’objet de critiques qui ont déjà donné lieu à plusieurs référés-liberté. Alors que les présidents de groupes parlementaires de l’opposition demandent au président de la République d’accepter un exercice du culte sécurisé et contrôlé, Maître Jean-Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Rennes, répond aux questions d’Aleteia sur la cohérence juridique des mesures décidées.

Aleteia : Mgr Dominique Rey a écrit à propos du reconfinement adopté dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire que « la liberté de culte n’est pas négociable ». La formule est forte : sur quels arguments juridiques s’appuie-t-il ?

Me Jean-Baptiste Chevalier : Mgr Rey a raison dans la mesure où la liberté de culte est une liberté fondamentale, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Constitution française. C’est une liberté qui, aux côtés de la liberté de conscience ou de la liberté d’expression, fait partie des « assises de nos sociétés démocratiques », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle n’est pas négociable parce qu’elle fait partie de ces libertés qui sont une frontière entre les sociétés démocratiques et les sociétés totalitaires, qui la bafouent. C’est ce qui distingue les cultes des activités sportives ou des activités de loisir. 

La liberté de culte peut-elle néanmoins faire l’objet de restrictions pendant cet état d’urgence sanitaire ?

La liberté de culte, comme les autres libertés, peut être limitée, mais à la condition que ces limitations soient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles soient nécessaires et proportionnées. En cette période de crise sanitaire, la justice administrative admet ainsi que ces libertés puissent faire l’objet de restrictions, justifiées par la « sauvegarde de la santé publique » et par le « droit au respect de la vie ».

L’interdiction des « rassemblements ou réunions » dans les lieux de culte est une atteinte incontestable à la liberté de culte. La question est cependant de savoir si cette atteinte est justifiée et proportionnée, et donc légale. Cela pourrait se discuter. En effet, aucune étude épidémiologique n’a démontré que, depuis le déconfinement, des lieux de cultes auraient été des clusters. Il n’est pas non plus établi que le protocole sanitaire très strict observé depuis le mois de mai dernier dans ces lieux de culte aurait été insuffisant. On peut donc considérer que des mesures moins attentatoires à la liberté de culte auraient pu être mises en place (effectifs réduits, distance renforcée…) et que cette interdiction totale des offices religieux publics est disproportionnée.

Dans une ordonnance du 18 mai dernier, le juge des référés du Conseil d’État avait désavoué le maintien par le gouvernement de l’interdiction des cérémonies religieuses publiques. Ne sommes-nous pas à nouveau devant une forme de disproportion entre certaines autorisations et certaines interdictions ?

Dans son ordonnance du 18 mai 2020, le juge des référés du Conseil d’État avait effectivement considéré que des mesures moins strictes qu’une interdiction de tout rassemblement dans les lieux de culte étaient possibles, en tenant compte du fait qu’en d’autres lieux publics, les rassemblements de moins de dix personnes étaient autorisés. Il en avait déduit que l’interdiction générale et absolue des offices religieux publics était disproportionnée. Mais le contexte, qui était celui du déconfinement et d’une situation sanitaire qui s’améliorait, n’était pas tout à fait la même. 

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Pour autant, on peut relever qu’il y a effectivement dans ce nouveau confinement une incohérence dans le fait d’interdire les « rassemblements ou réunions » dans les lieux de culte, tout en autorisant les regroupements d’élèves dans les établissements d’enseignement et les gymnases ou les regroupements de personnes dans les centres commerciaux et dans de nombreux autres types de commerces considérés « essentiels ». Comme en mars, la logique du gouvernement a été de n’autoriser que les seules activités jugées « essentielles ». Mais cela soulève une réelle difficulté car cette notion d’« activité essentielle » est éminemment subjective (et non juridique). S’il est évidemment « essentiel » de pouvoir continuer de se nourrir, peut-on vraiment considérer qu’il serait moins essentiel de participer à un office religieux que d’aller promener son chien, que d’acheter un nouveau téléphone portable, ou que de participer à une manifestation ? On a vu, au printemps, que d’autres États n’avaient pas retenu la même analyse, et avaient permis les offices religieux en petits comités. 

Ref.« Les restrictions à la liberté de culte reposent sur une appréciation éminemment subjective »

Les arguments développés ci-dessus pour la France par le « décryptage » de Jean-Baptiste Chevalier sur le site web « aleteia » valent certainement aussi pour la Belgique. Ils sont d’ailleurs en partie repris, en termes mesurés, par le directeur de l’information du diocèse de Liège, Ralph Schmeder, dans sa newsletter mensuelle. Une parole épiscopale serait aussi la bienvenue en ce sens, si l’on en juge par l’attention du large public venu ce dimanche de Toussaint à l’église du Saint-Sacrement au Bd d’Avroy à Liège, au point qu’une troisième messe s’est ajoutée aux deux messes matinales respectueuses des quotas d’assistance imposés par le gouvernement pour ce dernier jour précédant l’interdit du culte public.

JPSC   

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