Comment le coronavirus entrave la liberté de culte (05/11/2020)

À compter du 2 novembre 2020, de nouvelles mesures ont été prises dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, de manière à éviter un bilan pandémique de plus en plus lourd. Ces mesures concernent notamment la liberté de culte. Une opinion de Paul Forget, avocat au barreau de Bruxelles, publiée dans "La Libre Belgique" de ce jour :

" L’État a le droit et le devoir de mettre en place les mesures nécessaires à la préservation de la santé des citoyens. Les obligations portent nécessairement certaines mesures induisant des contraintes. Et nul n’est épargné dans la circonstance de la présente crise sanitaire.

La protection des citoyens se fait suivant un cadre juridique

Un cadre doit toutefois être observé : la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier.

L’arrêté ministériel du 1er novembre 2020 (à ses articles 8 et 10) interdit dans toute la Belgique les célébrations religieuses "en présentiel", à l’exception :

- Des mariages, en présence des seuls conjoints et témoins ;

- Des funérailles, à raison d’une assistance de 15 personnes maximum.

Considérant l’article 19 de la Constitution, portant la liberté de culte, et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, portant la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’atteinte portée aux libertés de culte et de religion est avérée. Il s’agit pourtant d’une liberté fondamentale de toute société démocratique, que l'on soit croyant ou non.

Les mesures doivent être légales, légitimes et proportionnées

Hormis certains droits fondamentaux réputés indérogeables, il est possible de déroger aux droits et libertés fondamentales par des normes impératives. Ceci peut se faire à la triple condition que ces mesures soient légales, légitimes au regard de l’objectif poursuivi et proportionnées à ce dernier.

La légalité d’une mesure requiert un fondement dans la loi. Les arrêtés ministériels actuellement pris dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 ne sont pas des lois. Le fondement légal est, parmi d’autres, la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile à ses articles 181, 182 et 187. Elle habilite notamment le ministre à éloigner la population de lieux exposés à un danger.

La légitimité de la mesure n’est pas en question : il s’agit de limiter la propagation d’une pandémie.

Reste à savoir si la mesure est proportionnée. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, "pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, l’existence d’une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but doit être exclue" (Voy. Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, no 34124/06, § 61, 21 septembre 2012 ; Glor c. Suisse, no 13444/04, § 94, 30 avril 2009 ; Women On Waves et autres c. Portugal, no 31276/05, § 41, 3 février 2009).

Des protocoles sanitaires ont été mis en place

Depuis le mois de mars, une donnée a considérablement changé : les cultes ont établi, chacun pour ce qui le concerne, des protocoles sanitaires. Rigoureux, ils impliquent la distanciation sociale, l’absence de chant d’assemblée, le port du masque tout au long de la célébration religieuse, l’utilisation de gel hydroalcoolique, la limitation de l’assistance à 100, 200, 40 personnes, selon les périodes et régions, ou un nombre moindre, selon l’espace dédié au culte. En Belgique et à la suite de la mise en place de ces protocoles, aucune donnée relative à une contagion au sein des lieux de culte n’a été publiée. Par conséquent, des mesures aussi attentatoires posent question quant à leur nécessité.

Les écoles, les commerces essentiels et les transports publics font exception ; pas les cultes.

Le Conseil d’État français et la Cour suprême allemande ont censuré le confinement du culte établi au printemps. Ce 3 novembre, la Conférence des évêques de France, organe représentant cent-vingt évêques, a déposé un recours en référé-liberté devant le Conseil d’État français, s’agissant de l’actuel confinement.

En France comme en Belgique, la logique a été de n’autoriser que les seules activités jugées "essentielles". Suivant cette logique, les écoles, les transports en commun et les grandes surfaces sont restés ouverts. Au contraire, le culte public a lui été interdit.

Une ingérence inédite dans l’organisation des cultes

Outre ceci, les ministres du culte sont contraints à n’organiser dans les lieux de cultes que certaines activités cultuelles, au détriment des autres, c’est-à-dire essentiellement à ne prononcer que certains mots, ceux qui leur sont permis, de manière à ne célébrer que des mariages et des funérailles, mais pas d’eucharisties ou de baptêmes chez les chrétiens, ni de prières du vendredi chez les musulmans. Ce faisant, le Ministère de l’Intérieur établit une liste de célébrations religieuses qui sont essentielles à son jugement, et celles qui ne le sont pas, sans en avoir la compétence. Et ceci est sans précédent. Sur quel fondement un mariage est-il plus important qu’un baptême ou qu’une prière du vendredi ? Imagine-t-on imposer aux salles de cinéma des restrictions sur le choix des films diffusés ?

Il est inédit que le Ministère de l’Intérieur s’arroge le droit de disposer lui-même de l’organisation propre des cultes, comme le soulignait, à juste titre, l’évêque de Tournai le 25 mai dernier dans les colonnes de La Libre Belgique.

Une consultation des cultes est nécessaire

Il a beaucoup été dit et écrit ces dernières semaines que les plus enthousiastes à se prononcer sur les mesures sanitaires ne se prononçaient, souvent, pas dans le domaine de leurs compétences, académiques ou professionnelles. À mon sens, la remarque n’est pas dénuée de fondement. Pourrait-on dès lors espérer qu’à l’avenir les cultes, qui sont les premiers concernés par les mesures qui leur sont attentatoires, soient, eux aussi, consultés ? Ceci permettra peut-être la mise en place de mesures nouvelles. Et au-delà, les cultes sont reconnus en Belgique parce qu’ils ont un rôle à jouer, notamment quant à la cohésion sociale, ainsi qu’à la diffusion et au respect des règles générales. Ils répondent aussi à ce besoin humain de repères et de rites, spécialement en temps de crise. Parce que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain."

Ref. Comment le coronavirus entrave la liberté de culte

Une consultation des cultes est peut-être nécessaire, mais n’y changerait pas grand’chose.

Contrairement à la France dont la constitution proclame la laïcité comme un dogme, la Belgique reconnait le rôle public des cultes. Elle les subsidie à ce titre. Et, quoi qu’on prétende parfois, le Constituant de 1830 n’a pas non plus réussi à bannir des mentalités le lien joséphiste unissant l’Eglise et l’Etat sous l’ancien régime.

Et si les partis cléricaux ont aujourd’hui pratiquement disparu du paysage politique, l’épiscopat demeure a fortiori soucieux de ménager le bailleur perenne des fonds de l’Eglise et de ses oeuvres …

JPSC

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