Messes suspendues : le christianisme n’est pas une religion de la conviction privée (11/11/2020)

D'Arnaud Bouthéon sur le site du Figaro (Figaro Vox) :

Suspension des messes: «Le christianisme n’est pas une religion de la conviction privée»

FIGAROVOX/TRIBUNE - L’essayiste chrétien Arnaud Bouthéon espère que la liberté d’assister au culte sera rendue au plus vite aux fidèles, arguant de l’importance du lien communautaire et des sacrements dans la vie chrétienne.

Arnaud Bouthéon est l’auteur de Comme un athlète de Dieu, manifeste sportif et chrétien, aux éditions Salvator, et cofondateur du Congrès Mission.


L’état d’urgence sécuritaire et sanitaire éprouve nos concitoyens, mais aussi nos dirigeants. Alors que le Conseil d’État vient de confirmer l’interdiction de la célébration publique du culte dans les édifices religieux, le premier ministre a récemment offert, par la grâce d’un tweet, quelques mots pour présenter sa définition de la religion. Il évoque ainsi «l’expression d’une conviction intime qu’une République laïque respecte comme l’exercice d’une liberté fondamentale».

Cette conviction intime tolérée par la République laïque, n’est-il pas ce christianisme loué par René Rémond, qui «a imprimé sa marque sur le continent qui s’est couvert d’un grand manteau blanc d’églises» et dont l’anthropologie fonde l’universalité de la déclaration des droits de l’homme?

Les chrétiens ne sont pas là pour convaincre ou se convaincre intimement mais pour être, pour annoncer et pour faire.

Dans la préface d’un récent et très utile ouvrage consacré au millier d’ «incroyables chrétiens» qui ont façonné l’histoire de France, Patrick Poivre d’Arvor paraphrasait le poète René Char, affirmant qu’un religieux est comme un poète: il doit laisser «des traces de son passages, non des preuves». Puis, il évoquait le souvenir de ses rencontres avec Jean-Paul II, Mère Teresa, Sœur Emmanuelle, le Père Pedro. Ces témoins du geste et de la grâce n’ont rien prouvé ; mais ils ont agi, parce qu’ils puisaient.

Oui, ils sont inspirants parce qu’ils puisaient la force de leur passage à l’acte mais aussi le pardon, la consolation et la charité dans cette pratique des sacrements, en ces écrins que sont les églises. Ils ont consolé, ils ont touché, parce qu’ils étaient eux-mêmes touchés et consolés.

Les chrétiens ne sont pas là pour convaincre ou se convaincre intimement mais pour être, pour annoncer et pour faire.

Le christianisme n’est pas une gnose intimiste ; il est une affaire de lien, de relation, de corps et même de chair. De tout temps, il est la religion de l’incarnation, du lien et du risque ; il n’a jamais été la religion de la conviction privée, ni une philosophie du «care» hygiéniste. À la communication de crise par écrans interposés, les chrétiens préfèreront toujours la communion du geste humain offert et exposé.

Pour cimenter l’unité d’un pays tétanisé par le confinement et la barbarie islamiste, dans ces moments de crise, en particulier face au surgissement de la mort, le besoin de consolation humaine et spirituelle semble immense. Ce besoin convoque des ressources que la République laïque ne peut offrir. Peut-elle humblement le reconnaître? Peut-elle admettre qu’en ces temps difficiles, des corps intermédiaires comme les paroisses peuvent offrir en leurs murs, ce supplément d’âme et d’espérance, qu’une société aseptisée lui refuse?

L’homme ne vit pas seulement de pain, ni même de soins. Il vit de sa vie parce qu’il mourra de sa mort.

En ce temps de perte de pouvoir d’achat et d’angoisse du lendemain, ne faut-il pas s’insurger d’entendre en sourdine ce refrain oppressant d’une chanson de Benjamin Biolay, toujours inspiré: «ferme ta gueule, et passe à la caisse» ?

L’homme ne vit pas seulement de pain, ni même de soins. Il vit de sa vie parce qu’il mourra de sa mort.

Parce qu’ils vivent avec la mort et l’échec, ce besoin de vie et de liberté est souvent exprimé par ceux qui créent, entreprennent et s’engagent, refusant l’évitement et l’externalisation du risque.

Cette crise sanitaire affaiblit le corps social en menaçant le corps de nos concitoyens.

Dans cette urgence, elle convoque aussi leur intelligence, leur volonté et leur force d’âme. Et face au mystère de notre finitude mortelle, l’état laïque achoppe et verrouille, alors que les médecins du corps devraient être rejoints par les médecins de l’âme.

La récente décision d’interdire la célébration publique des messes vient encore fragiliser l’unité du pays.

La récente décision d’interdire la célébration publique des messes vient encore fragiliser l’unité du pays et celle du corps ecclésial en prolongeant ce travail lent d’atomisation des communautés au profit de l’individualisme et de la solitude, de l’aigreur et du ressentiment. Entre les «corona sceptiques» et les «corona stressés», la peur divise et règne.

Finalement, l’alternative est entre l’eucharistie et l’euthanasie.

D’une part, la louange du peuple de Dieu rassemblé, la consolation des âmes, l’offrande et le don libre dans la communion des corps et des cœurs, et d’autre part, la bonne mort contrôlée et planifiée, propre et anesthésiée. Entre le risque et le «care». Entre le déséquilibre bruyant de la vie et le contrôle ouaté du déclin.

Ce matin, une personne se trouve comme propulsée au centre du jeu: le prêtre. Sera-t-il ce zélé gestionnaire d’établissement recevant du public, l’administrateur d’une institution séculaire, au sein de laquelle la foi se transmettrait, un peu comme l’argenterie de famille?

Dans la Grande Bellezza, de Paolo Sorrentino, au hasard d’une réception, le personnage central Jep Gambardella, écrivain inabouti en crise existentielle, échange avec un vieux cardinal mondain de curie. Esquivant la requête du pénitent qui lui partageait avec pudeur sa quête spirituelle, le prélat invoque avec grandiloquence le pays qui a un grand besoin d’écrivains… À sa stupeur, l’écrivain lui rétorque qu’il pensait lui, que le pays, avait au contraire davantage besoin de prêtres. Finalement, à quoi sert le prêtre? Face à l’angoisse de la mort, il sert à proposer un chemin de vie.

Le prêtre est donné et exposé pour donner et exposer le Christ.

Comme le rappelait le président la Conférence des Évêques de France, la raison essentielle de la plénitude de son célibat sacerdotal, réside dans ce pouvoir reçu de prononcer ces deux paroles «ceci est mon corps, ceci est mon sang» et «je te pardonne». Telle est sa seule mission humaine à travers le don de chaque sacrement, signe manifeste et incarné: nourrir et consoler l’humanité et s’unir à l’Église entière. Par l’interdiction du culte public, cette mission est entravée.

Les catholiques de France obéiront et demanderont à nouveau aux pouvoirs publics, inlassablement, cette liberté d’accéder à la messe, en écoutant toutefois Charles Péguy, qui en son temps, face à ceux qui gémissaient, invoquait l’attraction du Christ qui n’incrimina pas le monde. Il sauva le monde. Il mettait en garde les pieux chrétiens revanchards, «injurieux médecins qui s’en prennent au malade. Ah, non, ils n’imitent pas Jésus».

Dans une économie à rebours de celle du monde, la mobilisation spirituelle pourra redoubler sans tambour ni trompette médiatique.

Le grand poète invitait à «intercaler» le christianisme, faisant ainsi écho à «l’ingéniosité» évoquée ce samedi par les évêques de France.

Aussi, face à ce mystère d’iniquité, la priorité pour les catholiques reste l’unité du corps du Christ et le rayonnement personnel, là où ils sont plantés ; avec lucidité et gravité en fuyant le ressentiment victimaire.

Dans une économie à rebours de celle du monde, la mobilisation spirituelle pourra redoubler sans tambour ni trompette médiatique: essayer de prier davantage, réciter le chapelet, séculaire prière des pauvres, visiter et emplir les églises, soutenir les prêtres, solliciter la confession, méditer le mystère de la communion spirituelle, animer l’adoration eucharistique, prendre soin des malades et des personnes en souffrance, à travers ce huitième sacrement, le sacrement du frère dont la célébration n’est pas pas interdite.

S’ils sont, comme ils le croient, dépositaires du trésor de la Foi qui libère et réjouit, alors ils iront de l’avant joyeusement sur les traces de leurs saints et martyrs.

Ils iront de l’avant en n’oubliant jamais que l’évangélisation se fait par attraction, comme le disait le grand pape Benoît XVI, celui-là même qui rajoutait, en paraphrasant Maritain, que l’homme n’est pas fait pour le confort mais pour la grandeur, celle que les temps appellent.

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