Sainte Elisabeth de Hongrie (17 novembre) (17/11/2023)

Du site de la Communauté franciscaine capucine de Mons :

bio ste elisabeth de hongrie - Prière des Futurs Parents

Ste Élisabeth de Hongrie, fille du roi de Hongrie née en 1207, est la patronne du Tiers-Ordre régulier et du Tiers-Ordre séculier (ou OFS, Ordre Franciscain séculier) 

Sa vie

Élisabeth est née à Presbourg, en 1207.
Fille du roi de Hongrie, André II, et de Gertrude de Méranie.
Elle est fiancée dès l’âge de 4 ans, avec Louis, le fils aîné du landgrave de Thuringe, Herman I.
La cour de Thuringe est alors brillante, cultivée ; et Élisabeth y reçoit une éducation soignée, dans le château de Wartburg, forteresse qui domine la ville d’Eisenach.
Dès son enfance, elle manifeste une grande piété, un esprit de pénitence, et un constant dévouement envers les pauvres qu’elle appelle « ses plus chers amis ».
En 1221, âgée de 14 ans, elle épouse son fiancé, Louis IV, qui vient de succéder à son père, comme landgrave de Thuringe.

Il semble que le couple soit très uni et en plein accord sur la place à accorder à la prière et à la charité envers les pauvres. Louis IV porte le surnom de Louis le Charitable.

Ce prince, à la différence des courtisans, a toujours admiré sa vertu. Partageant la sollicitude de sa femme pour les misères du peuple, le landgrave lui laisse toute liberté de continuer ses exercices religieux; il l’aide même à fonder près de son château un hôpital de lépreux.

À cette époque, les Frères mineurs nouvellement fondés, commencent à se répandre dans toute l’Allemagne et un certain frère Rüdiger d’Halberstadt rencontre la princesse et l’initie à l’esprit franciscain qui correspond si bien à ses propres aspirations.
Près du château de Wartburg, elle fait édifier un hôpital, pour accueillir les pauvres et les lépreux.
En 1227, Louis IV part pour la Ve croisade, mais tombe malade avant de s’embarquer, et meurt à Brindisi. Ses ossements sont rapportés en Thuringe.

Restée veuve en 1227, Élisabeth a d’abord à souffrir des persécutions de ses beaux-frères qui, désirent le pouvoir et l’accusent de négliger les affaires de l’état et de dissiper en aumônes les trésors de l’État, la privent de la régence et la chassent brutalement avec ses quatre (ou trois?)* enfants de la résidence souveraine. Son oncle, alors évêque de Bamberg, lui offre un asile jusqu’au moment où on lui propose de reprendre le pouvoir, qu’elle refuse. Peu après elle décide de se consacrer totalement à la prière et aux bonnes œuvres et se met sous la direction spirituelle de son confesseur, Conrad de Marburg, auprès duquel elle vient résider, dans une humble habitation.
Après avoir assuré l’avenir de ses enfants et confié leur éducation à de nobles amies, elle prend l’habit des pénitents (ce n’est pas encore le Tiers-Ordre de saint François).

Elle utilise les revenus de son douaire pour la construction et la gestion d’un hôpital à Marbürg, l’hospice St-François, et vit dans la pauvreté, la prière et l’assistance aux pauvres et aux malades.
Quelques unes de ses suivantes et de ses anciennes servantes vivent auprès d’elle, au service des malades.
Conrad de Marburg, son confesseur, lui ayant interdit de demander l’aumône, elle doit travailler aussi pour assurer sa subsistance. Sous son influence, elle se livre à des mortifications qui abrègent sa vie. Épuisée par les malheurs, les fatigues et les mortifications, elle meurt à peine âgée de 24 ans, le 17 novembre 1231.
Le pape Grégoire IX la canonise en 1235,.

Une superbe basilique est construite à Marbourg (1235-1283) en souvenir de ses bienfaits. Les reliques de la sainte, enfermées dans un cercueil richement orné de bas-reliefs et de pierreries, y reposent jusqu’en 1539. À cette époque, le landgrave Philippe de Hesse les fait enlever de cette châsse, pour couper court aux actes superstitieux dont ils sont l’objet de la part de nombreux pèlerins, et enterrer dans une partie de l’église, connue de peu de personnes.
La basilique de Sainte-Élisabeth, qui est du plus style gothique, est restaurée en 1860.

Conrad de Marburg a laissé une relation de la vie et des derniers jours de sainte Élisabeth, probablement en vue de sa canonisation (voir plus loin). Ce texte figure comme lecture de l’office liturgique de sainte Élisabeth. On possède le "libellus" ou recueil des dépositions de quatre de ses "demoiselles de compagnie" pour l’enquête de canonisation.

Faits et légendes

«Elle vient un jour trouver ses compagnes, resplendissant d'une joie qui n'est plus de cette terre, et leur dit : " le seigneur a exaucé ma prière ; voici que toutes les richesses et tous les biens du monde, que j'aimais jadis, ne sont plus que comme de la boue à mes yeux. Quant aux calomnies des hommes, aux mensonges des méchants, au mépris que j'inspire, je m'en sens toute fière et heureuse.
Mes petits enfants bien-aimés, les enfants de mon sein, que j'aimais tant, que j'embrassais avec une si grande tendresse, eh bien ! Ces chers enfants eux-mêmes ne sont plus que des étrangers pour moi, j'en prends Dieu à témoin. C'est à lui que je les offre, que je les confie ; qu'il en fasse sa sainte volonté en tout. Je n'aime plus rien, plus aucune créature ; je n'aime plus que mon créateur. »

« Enflammée de cet héroïque amour, Élisabeth se croit assez bien disposée pour faire ses voeux et prendre l'habit consacré par ses glorieux modèles, saint François et sainte Claire. " Si je pouvais, " disait-elle, " trouver un habit plus pauvre que celui de Claire, je le prendrais pour me consoler de ce que je ne puis entrer tout-à-fait dans son saint ordre.» (Montalembert)

«Et toujours du côté des pauvres, ruisselant,
ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.» (Hugo, Booz endormi)

«Élisabeth, restée seule avec son Dieu, voulut que la pauvreté volontaire qu'elle s'était imposée fût aussi réelle et aussi complète que possible. Elle voulut que tout dans sa vie fût d'accord avec la hutte de bois et de terre qu'elle avait choisie pour demeure.
Elle consacra donc tous les revenus, sans exception, que maître Conrad l'avait obligée de garder au moins nominalement, au soulagement des pauvres et à des institutions charitables.
N'ayant pu obtenir de son confesseur la permission de mendier son pain, elle résolut de gagner sa vie par le travail de ses mains. Pour cela, elle ne pouvait que filer ; encore ne savait-elle pas filer le lin, mais seulement la laine. Elle se faisait envoyer du monastère d'Altenberg, la laine qu'elle mettait en oeuvre ; et la renvoyait toute filée aux religieuses, qui lui remboursaient en argent la valeur de son travail, et souvent sans une équité parfaite. Elle, au contraire, mettait un scrupule extrême à l'accomplissement de son travail. Un jour qu'elle avait reçu d'avance le paiement d'une certaine quantité de laine qu'elle devait filer, maître
Conrad lui fit dire de venir avec lui de Marburg à Eisenach ; voyant qu'elle ne pouvait achever entièrement sa tâche, elle renvoya au couvent le peu de laine qu'il lui restait à filer, avec un denier de Cologne, de peur qu'on ne l'accusât d'avoir gagné plus qu'elle n'avait mérité.
Elle travaillait du reste avec tant d'ardeur, que même lorsque son extrême faiblesse et ses fréquentes maladies l'obligeaient de rester au lit, elle ne cessait pas d'y filer. Ses compagnes lui arrachaient la quenouille des mains, afin qu'elle pût se ménager ; mais alors, pour ne pas rester oisive, elle épluchait et préparait la laine pour la prochaine fois. Elle déduisait du faible produit de ses fatigues, de quoi faire quelques humbles offrandes à l'église; et avec le reste elle pourvoyait à sa chétive nourriture.» (Montalembert)

Plusieurs légendes illustrent sa vie et ses bonnes œuvres, dont le célèbre « miracle des rose »s, très souvent figuré dans l’iconographie.
Un jour qu’elle portait des aumônes et des provisions pour les pauvres, elle rencontre son mari sur sa route et celui-ci demande à voir son fardeau : elle ouvre son manteau, mais sa charge s’était transformée en bouquets de roses, alors qu’on était loin de la saison des fleurs…
Un autre « miracle » est souvent rapporté : comme elle soignait un jeune lépreux dans son propre lit, son mari, mécontent et prêt à chasser l’intrus, aurait découvert, à sa place Jésus crucifié.

La dévotion à sainte Élisabeth est assez répandue en France parce que sa vie écrite au XIXe siècle par le comte de Montalembert, connut un grand succès et de nombreuses rééditions et adaptations.

Elle est vénérée dans deux villes importantes : Marburg, en Allemagne et Kassa, en en Hongrie.
Sainte Elisabeth est la patronne des hôpitaux, en Belgique et dans le Nord de la France. Elle est souvent invoquée pour la santé des teigneux.
On la trouve souvent représentée, debout, tenant un livre sur lequel reposent deux couronnes, l’une royale, l’autre pour ses vertus familiales. Elle tend souvent un pain ou une pièce de monnaie à un pauvre.
Elle est fêtée le 19 novembre.
Sainte Élisabeth est vénérée comme patronne de l'Ordre Franciscain Séculier.

Vers les sites allemands avec liens vers des rubriques relatives à Sainte Elisabeth : http://www.thueringen-tourismus.de/cps/rde/xchg/thueringe...

http://www.heilige-elisabeth-thueringen.de/

LETTRE DE CONRAD DE MARBOURG,
DIRECTEUR SPIRITUEL DE STE ELISABETH (1232)

« Élisabeth se mit alors à manifester ses vertus. Toute sa vie, elle avait été la consolatrice des pauvres ; alors elle devînt entièrement le soutien des affamés : elle ordonna que, près d’un château qui lui appartenait, on construisît un hôpital, où elle recueillit beaucoup de malades et d’infirmes. Là, à tous ceux qui demandaient l’aumône, elle distribua largement les bienfaits de sa charité ; et non seulement à cet endroit, mais encore dans tout le territoire placé sous la juridiction de son mari ; et elle épuisa si bien tous ses revenus, provenant des quatre principautés de son mari, qu’elle finit par vendre tous ses objets de luxe et tous ses vêtements de prix au profit des pauvres.

Elle avait l’habitude de visiter personnellement tous ses malades deux fois par jour, le soir et le matin. Ainsi elle prenait soin elle-même des plus répugnants ; elle nourrissait les uns, couchait les autres, en portait certains sur ses épaules et leur rendait beaucoup d’autres services de bienfaisance. Son mari, d’heureuse mémoire, n’a jamais manifesté de mauvaise volonté à cet égard. Enfin, après la mort de son mari, pour tendre à la plus haute perfection elle me demanda en pleurant de l’autoriser à mendier de porte en porte.

Le jour du vendredi saint, comme les autels étaient dénudés, les mains posées sur l’autel d’une chapelle de sa ville, où elle avait logé des Frères Mineurs, en présence de quelques-uns d’entre eux, elle renonça à sa volonté propre, à toute vie mondaine, et à tout ce que le Sauveur dans l’évangile, nous a conseillé d’abandonner. Cela fait, voyant qu’elle pourrait être donnée par l’agitation du siècle et la gloire mondaine de cette terre, où elle avait brillamment vécu du vivant de son mari, elle me suivit malgré moi à Marbourg ; là elle construisit un hôpital dans la ville, y recueillit les malades et les infirmes et accueillit à sa table les plus pauvres et les plus méprisés.

Malgré ces œuvres de la vie active, je le dis devant Dieu, j’ai rarement vu une femme plus contemplative. En effet, des religieux et des religieuses, comme elle sortait de l’oraison silencieuse, virent plus d’une fois son visage merveilleusement illuminé, et ses yeux rayonnant comme le soleil.

Avant sa mort, j’entendis sa confession. Comme je lui demandais ce qu’il fallait faire de sa fortune et de son mobilier, elle répondît que tout ce qu’elle paraissait posséder encore appartenait aux pauvres. Elle me pria de le leur distribuer, excepté une tunique grossière qu’elle portait et dans laquelle elle voulait être ensevelie. Ces dispositions prises, elle reçut le corps du Seigneur. Puis, jusqu’à l’heure de vêpres, elle parlait fréquemment de ce qu’elle avait entendu de meilleur dans la prédication. Ensuite, en recommandant très pieusement à Dieu toutes les personnes présentes, elle expira très doucement, comme si elle s’endormait. »

Élisabeth de Thuringe. Naturel et surnaturel dans la formation d’une sainte

par STEIN, Edith (sainte Thérèse Bénédicte de la Croix)

Traduction de « Elisabeth von Thüringen. Natur und Übernatur in der Formung einer Heiligengestalt »,

conférence donnée à Vienne (Autriche) le 30 mai 1931.

Au cœur des territoires allemands, dans un paysage typiquement germanique, existent des lieux auxquels est encore attaché jusqu’à nos jours pour le peuple allemand, le souvenir de Sainte Elisabeth : la Wartburg, Eisenach, Marburg. Quand, le long de l’étroit Rennsteif, entre les hauts sapins, sur les sommets de la forêt de Thuringe, le regard se promène sur les riantes collines, les vastes forêts verdoyantes, tous les chers paysages familiers des contes de notre enfance semblent surgir derrière les arbres, à moins que ce ne soit un cortège nuptial, tel que l’a peint Ludwig Richter, qui apparaisse à la lisière de la forêt ou à l’orée des clairières. Du haut des tours de la Wartburg, on pourrait s’imaginer voir la sainte, passer le portail pour descendre dans la vallée –ainsi que Maurice von Schwind l’a représentée sur les murs de la Wartburg – et se figurer cette noble damoiselle du Moyen Age blonde et douce, aux prunelles bleues, affectueuse et sage: aux yeux de son « dur » mari se produit le « miracle des roses » tandis qu’elle ouvre son manteau.

Mais qu’est-ce que le pauvre peuple allemand connaît de sa véritable histoire ? Jusqu’à une époque récente, on savait seulement que le malveillant Konrad von Marburg la tourmentait de façon incompréhensible et que sainte Élisabeth se trouvait être parmi les saints, peu nombreux, connus hors de l’Eglise…

Et de sa sainteté que sait-on en vérité ?

Le touriste qui se dirige vers l’intérieur du château fort, jette un coup d’œil sur le sable où avaient lieu les tournois des troubadours, en pensant à Richard Wagner. Puis, il monte jusqu’à la chambre de Luther, principale curiosité du château, où il découvre la tache d’encre sur le mur qui rappelle la lutte du réformateur contre le démon. C’est en effet au cœur de la Wartburg que s’ouvre la blessure qui, depuis quatre siècles, divise en deux le peuple allemand.

Mais de la vraie Élisabeth, que sait le visiteur ? De l’influence secrète de Dieu sur cette âme, que peut-il percevoir ?

De nos jours, la recherche historique objective néglige le romantisme des contes de chevalerie. N’a-t-elle pas détrôné la « vierge déclamatrice » d’Orléans de Schiller, pour nous représenter Jeanne d’Arc, enfant naïve et charmante, avec son esprit bien français, sans artifice, originale et en même temps dominée par la force de sa mission céleste ?

De même, elle nous a révélé un autre portrait de Sainte Élisabeth, cette enfant d’un teint clair, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, qui, dans un carrosse luxueux fut escortée du château fort royal de Hongrie au lointain pays de Thuringe. Elle semblait « exotique » au milieu de ses camarades de jeu allemandes. Exotique par son apparence extérieure, plus exotique encore par l’ardeur indomptée de son cœur qui franchissait toutes les digues ! Pour la découvrir et la comprendre, il nous faut évoquer son père, le roi Andreas, un homme orgueilleux et passionné, qui, au cours de plusieurs révoltes tenta de détrôner son frère et s’empara du pouvoir après sa mort

Ardente et orgueilleuse était également la race des ducs de la Méranie de qui descendait sa mère, la reine Gertrude. Tel était donc l’héritage naturel de l’enfant royale.

Nous ne savons rien des sentiments ou des larmes de la petite fille arrachée à ce qu’elle aimait de tout son être. Rien, de ce long voyage si loin des siens ! La petite princesse n’avait pas le choix !

Au pays de Thuringe, elle éprouva bientôt une tendresse d’enfant pour le Landgrave Herman, qui l’accueillit comme un deuxième père. Mais toute la richesse de son cœur se déversait avant tout sur celui pour qui elle avait dû laisser tout ce qui lui était si cher : Louis, le garçon blond, dans la main duquel l’évêque avait mis la sienne pour les fiançailles solennelles. Elle s’attacha étroitement à lui, lui confiant tout ce qui touchait son cœur et que les autres ne comprenaient pas. Ce lien se resserra plus encore lorsque l’atteignit la nouvelle de la mort tragique de sa mère.

En ce château, elle pouvait suivre librement les mouvements de son cœur. Avec effusion, elle savait exprimer son amour pour chacun. Si elle prenait facilement plaisir aux jeux, elle aimait surtout donner à pleines mains aux plus démunis pour qui son cœur d’enfant éprouvait une profonde compassion.

Pourtant, bientôt, ce fut de son entourage qu’elle eut besoin d’être consolée et protégée. Des voix de plus en plus nombreuses et fortes se déclarèrent contre l’étrangère. Elle ne semblait pas faite pour être landgravine. Elle ne correspondait décidément pas à l’idéal de beauté recherché par les chanteurs allemands. De plus, il semblait qu’elle n’acceptait pas la discipline de la cour et ne voulait en rien soumettre sa parole ou son regard à l’étiquette. Elle aimait toujours les jeux d’enfants sauvages et préférait pour camarades de jeu, les enfants du peuple aux petites demoiselles élevées par la gouvernante de la cour. Enfin, elle montrait une affection bien loin d’être princière, pour les mendiants déguenillés.

Le pire du tout, c’était sa bigoterie !

Au vrai, on craignait que sous son règne les fêtes splendides à la cour de la Wartburg ne disparaissent. Aussi longtemps que vécut le landgrave Hermann, il tint au-dessus d’elle une main protectrice. Ce tenant ambitieux d’une politique de force dont la conscience était chargée de mains actes violents et qui finit par être excommunié et mourut d’une mort obscure, pouvait en confiance compter sur l’intercession de la sainte enfant.

Après sa mort, les résistances augmentèrent. La landgravine était du nombre de ceux qui désiraient rompre cette liaison indigne et renvoyer l’étrangère en Autriche ou la mettre dans un couvent. Ce fut là, probablement, l’épreuve la plus douloureuse pour Elisabeth.

Sa belle-sœur Agnès lui apprit comme un fait indubitable et connu de tous que Louis ne comptait plus l’épouser. Il lui fallut vivre dans le tourment de l’incertitude jusqu’au jour où le jeune landgrave rompit le silence. Tout en laissant les gens parler, lui-même était resté ferme. Que savaient-ils tous, des secrets de ce cœur pur et passionné que lui seul connaissait ? Que valaient la beauté, les mœurs de la cour, le goût de la mode et les splendeurs du protocole, comparés à cette richesse toute intérieure ?

Par sa décision subite, Louis mit fin à toutes les intrigues. Il décida le mariage. Bientôt, le bonheur d’une vie dans l’amour et la fidélité conjugale, doublé des joies d’une jeune maternité, comblèrent le cœur d’Elisabeth, la dédommageant largement des années d’amertume, de solitude et de privation.

De nouveau, sûre de la confiance de son mari et fortifiée par son amour, elle put suivre librement la voix de son cœur et, contre la coutume du pays, s’asseoir à table à ses côtés, l’accompagner à cheval dans ses déplacements, distribuer ses trésors, inviter les pauvres, ses amis, dans sa maison, les nourrir, les habiller, les soigner.

Pendant ces années de bonheur, sa vie s’épanouit de toute sa richesse intérieure. Sa gaieté, sa bonté et son amabilité ravissaient son entourage en réduisant au silence toute contradiction, la rendant plus « souveraine » encore que sa position princière. Il est vrai qu’à cette époque, elle correspondait mieux à ce qu’on pouvait souhaiter d’une princesse régnante : elle aimait, pour son époux, se parer à son goût. Au cours des fêtes comme au temps du landgrave Hermann, il lui plaisait de surprendre et de ravir ses invités par sa somptueuse beauté. Cependant, la vie tourbillonnante de la cour ne parvenait pas à étouffer en elle la bonté et la miséricorde : elle ne cessait de réconforter les pauvres au portail du château, avec de la nourriture, des boissons et de douces paroles.

Sa générosité demeurait sans limites. Au cours des disettes, en l’absence de son mari, elle distribuait, malgré l’opposition des serviteurs de la cour et des allocataires, toutes les provisions des greniers du landgrave en vertu de ses droits de souveraine. Elle ne craignait ni les murmures, ni les résistances.

Un jour, Louis rentrerait de ses expéditions militaires et elle était sûre de son acquiescement. Cependant, ces différents avec ses proches, à qui elle témoignait tant de bienveillance, étaient comme un voile d’ombre sur son chemin ensoleillé et le dénuement si misérable des pauvres, aussi bien que la dureté de cœur des riches lui faisaient éprouver une peine profonde.

Les périodes d’absence de plus en plus longues  de son cher époux, que la politique et la guerre entraînaient loin d’elle, la faisaient également souffrir. Il était, lui seul, le sujet de tout ce qui occupait son esprit. De lui, dépendait tout son bonheur ici-bas. L’ardeur de son amour conjugal déborda sans retenue, au moment où Louis promit solennellement de partir pour la croisade. Le choc la fit tomber sans connaissance. Elle se soumit pourtant à ce départ douloureux et par bienséance, bien qu’elle attende son troisième enfant, elle accompagna le croisé jusqu’au delà des frontières du pays.

Lorsque la nouvelle de la mort de son époux lui parvint, éperdue de douleur, elle se précipita à travers les salles et les chambres du château…

De ce moment, le voile noir de veuve tomba-t-il pour toujours sur son bonheur ? Sa vie, dès lors, ne fut-elle remplie que par ce deuil austère ? Non point !

La jeune veuve, avec ses trois enfants – le dernier nouveau-né – quitta la Wartburg, chassée par les frères du défunt, avec une dureté de cœur incompréhensible, ou – comme on l’admet aujourd’hui – traitée de telle sorte qu’elle préférât partir. C’est en vain, alors, qu’elle frappa à Eisenach aux portes de ceux à qui elle avait fait du bien tant de fois. Elle n’était pourtant pas larmoyante lorsqu’elle errait par les rues jusqu’à ce qu’elle tombe d’épuisement dans la grange d’un aubergiste.

Dans l’église des Franciscains, elle chante alors le Te Deum, le visage rayonnant.

Elisabeth, la landgravine, est morte !

Elisabeth, la sœur du Pauvre d’Assise, tertiaire de Saint François, naît à la vie joyeuse de la sainte pauvreté.

Ce changement subit ne fut pas tout à fait imprévisible et inattendu. Paisiblement et sans rupture, quelque chose en elle, avait lentement mûri qui désormais atteignait son plein épanouissement. Si singulier que fut l’itinéraire de cette jeune femme, qui commença dans un château royal de Hongrie pour s’achever dans une cabane en torchis, plus singulière encore est la grâce divine qui l’accompagna et façonna son âme jusqu’à ce qu’elle soit digne de la couronne céleste. Il est toujours délicat de tenter de soulever le voile sur les secrets de Dieu. Mais le doigt du Très-Haut n’écrit-il pas la vie de ses amis pour que nous les suivions en faisant l’éloge de ses merveilles ?

De vieilles légendes racontent de merveilleuses histoires du temps de la naissance de cette fille de roi : les guerres et les querelles s’arrêtèrent, les récoltes prospérèrent comme jamais. Dans le pays lointain de Thuringe, le magicien Klingsor lut sa naissance et son futur destin dans les étoiles.

A trois ans, l’enfant qui, dans un excès d’affection charitable, voulait offrir ses yeux à un moine pèlerin aveugle, lui rendit la vue.

Libre à vous, de croire ou non à ces vieux récits !… Bien d’autres histoires se colportent dont il ne sera pas facile de venir à bout…

A quatre ans, l’enfant se révolta avec violence en apprenant qu’il lui fallait quitter ses parents et sa patrie pour un pays lointain. En voyant avec combien de bonne volonté et de docilité elle se soumit pourtant à ses nouvelles conditions de vie, il nous faut conclure qu’elle possédait en elle une force capable de dompter sa volonté orgueilleuse, brûlant plus ardemment encore que l’amour de ses parents et de sa patrie.

Du jour, où elle entendit que le Sauveur habitait, sous la forme du pain, dans le tabernacle de la chapelle du château, celle-ci devint son lieu de prédilection. Au milieu de ses jeux, elle ne cessait de s’y sentir attirée. Elle inventa ainsi une partie de sautillements en direction du portail de l’église, de telle sorte que sans qu’on la remarque, elle puisse au moins caresser les murs derrière lesquels se cachait le Seigneur. Dans son cœur, s’épanouissait un amour fidèle, ardent, tendre et chaste qui ne s’éteindra jamais plus.

Lorsque la nouvelle de l’assassinat de la reine Gertrude, sa mère, parvint à la Wartburg, l’enfant s’interrogea : où est-elle maintenant ? On lui apprit que les âmes des disparus vont au ciel, auprès de Dieu. Pour y parvenir, elles doivent être pures, immaculées. Prier pour elles, les aider à entrer au ciel au plus vite. Aussi l’enfant ne peut-elle oublier les défunts. Et si on ne l’en empêchait, on la trouvait à genoux dans la chapelle ou bien entraînant ses amies jusqu’au cimetière : « C’est là que sont les os des morts ; ils ont été des vivants comme nous, maintenant ils sont morts comme nous le seront un jour… aimons Dieu ! » Avec elles, elle s’agenouillait alors et priait : « Seigneur, par ta mort cruelle et par Marie, ta mère chérie, délivre cette pauvre âme de sa peine. Par tes cinq plaies, Seigneur, béatifie-nous. »

Le jour de la fête de l’Assomption, la landgravine Sophie descendit avec sa fille Agnès et Élisabeth à Eisenach, pour assister à la grand-messe dans l’église de l’ordre teutonique. Toutes les trois étaient en grande toilette : la couronne sur la tête, elles portaient des vêtements précieux sous de riches manteaux qui flottaient autour d’elles.

Face aux fidèles, elles étaient à genoux devant l’autel. Élisabeth leva son regard vers l’image du Crucifié. Il avait la tête inclinée sous la couronne d’épines, le sang coulait de ses plaies. Pour la première fois, elle se sentit profondément bouleversée à la pensée que c’était pour elle qu’il était nu, pour elle qu’il était suspendu à la croix, pour elle qu’il avait supporté le martyr et la mort.

Comment pouvait-elle porter des bijoux princiers devant lui ? Elle retira la couronne de sa tête et la déposa à terre. Puis, se couvrant le visage d’un pan de son manteau, elle cacha les larmes qui ruisselaient sur son visage

D’un ton brusque, la landgravine réprimanda ce comportement inconvenant. Insensible à ce qui l’entoure, rien ne peut l’arracher au mystère de la souffrance qui vient de se dévoiler pour elle.

À dater de ce jour elle reconnaîtra son Dieu comme « l’homme des douleurs » chargé de la croix et crucifié.

Élisabeth n’est, certes pas, la première à faire une telle expérience rare cependant, à son époque.

 En effet, au début de l’ère chrétienne et jusqu’à l’époque romane, le Christ était avant tout le Ressuscité, le Vainqueur de la mort et de l’enfer, le Roi Tout-Puissant. Ce n’est qu’à l’époque gothique, point culminant du mysticisme allemand, que ce Roi sera découvert comme Fils de l’homme. En même temps, on  commencera à percevoir que le chemin qui mène à la gloire de la résurrection ne peut que passer par la souffrance et la croix.

Élisabeth, en contemplant la vie du Sauveur, découvrait le Christ souffrant, aujourd’hui, dans les membres de son corps mystique.

« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous l’avez fait. » Son désir naturel si précoce d’aider les pauvres se revêtait désormais d’un caractère surnaturel. En chaque personne affamée, nécessiteuse ou malade, Elisabeth reconnaissait la souffrance de son Dieu. Elle ne pouvait alors plus faire autre chose que d’aller vers lui, en donnant à ces pauvres du pain ou de l’argent pour soulager leurs peines.

Qu’importe si on la grondait ou si on se moquait d’elle ! « Jésus a aimé les siens, il les a aimé jusqu’au bout. » Il ne s’est pas contenté de les nourrir de pain, il leur a donné son cœur, il a enlevé de leurs cœurs le poids du péché, de la solitude et du délaissement. Élisabeth voulait donc, elle aussi, donner plus que le nécessaire matériel. Elle embrassait les plaies purulentes, prenait les enfants dans ses bras, et jouait joyeusement avec eux jusqu’à leur faire oublier toute leur misère. Elle savait si bien allumer l’espoir dans les cœurs découragés !

Ces faits n’ont vraiment rien d’extraordinaire.

Au fond, que faisait-elle, sinon vivre sa foi, en vérité ? Ce n’était rien d’autre que les paroles même de l’Evangile qui éclataient, lumineuses, dans toute sa vie. Son entourage, comme elle, connaissait ces préceptes, pourtant il ne venait à aucun d’entre eux, le désir d’incarner ce trésor dans son comportement quotidien.

Aussi, celle qui s’attachait à répondre aux exigences des vérités de la foi et à suivre le Sauveur leur devint à tous « pierre d’achoppement » et scandale.

Qui donc, donnait à cette jeune femme la force intérieure d’accepter réprimandes et moqueries, rejet et solitude, sans plainte ni opposition, demeurant ferme malgré toutes les peines infligées à son cœur débordant de tendresse ? Où puisait-elle cette énergie qui la laissait libre de toute amertume, gaie et pleine d’affection de telle sorte que, comme une source inépuisable, elle se répand en joie ?

C’était d’expérience qu’elle comprenait combien, dans l’humiliation et la solitude, elle est unie à celui qui porte la couronne d’épines et la croix. Le Seigneur, qui avait enlevé l’enfant aux siens, la portait dans son cœur d’une manière privilégiée : aux sources intarissables de son cœur, Élisabeth pouvait puiser consolation, joie et paix.

Sur son chemin du ciel, elle eut un soutien particulier contre toutes les adversités : Louis son époux, qui, après sa  mort était vénéré comme un saint par tous. Jamais, il n’avait voulu lui mettre d’obstacles ; il ne désirait que l’aider et même l’accompagner sur la route de la sainteté.

Tant qu’elle était enfant, ses instructions et ses conseils étaient suffisants ; peu à peu le chemin se faisant plus raide il devint difficile à reconnaître. Élisabeth se faisait réveiller la nuit pour prier, à genoux sur les dalles froides. Elle demandait aussi à une de ses fidèles compagnes de la flageller. Était-ce là, volonté du Seigneur ou excès malsain ?

A cette époque, les premiers frères mineurs venaient d’arriver en Allemagne, apportant la doctrine du Pauvre d’Assise. Nulle part, ce message de pauvreté ne pouvait trouver sol plus fertile que dans le cœur de la jeune landgravine. Mais comment accorder l’amour de Dame Pauvreté avec sa condition princière ? Était-il juste de couvrir le mendiant de son manteau précieux ? Pouvait-on refuser d’entendre partout qu’elle gaspillait follement les biens du prince ?

La voix du cœur peut-elle être réponse claire, sûre et juste ?

Conscient de ses doutes et de ses questions, le landgrave Louis avait alors écrit au Saint Père pour lui demander un guide spirituel pour son épouse. Le pape Honorius avait envoyé le maître Konrad de Marburg. Il n’était pas une âme franciscaine ni un amoureux joyeux de Dieu. Il semblait plutôt sévère et sombre. Mais, il prit fort au sérieux la mission qui lui était confiée : mener cette âme princière sur le chemin de la perfection. Élisabeth le reçut comme un envoyé de Dieu. Humblement, elle lui demanda de la guider, affirmant qu’elle n’en était pas digne. Une main ferme la conduisit désormais sur une route balisée. Ses aspirations purent être orientées vers Dieu seul. Certes, l’impétuosité de son cœur généreux fut souvent freinée dans ses démesures. Bien des choses aussi lui apparurent dont elle n’avait pas pris conscience jusque là, par elle-même.

Lorsqu’avec ses compagnes, Guda et Isentrud, Élisabeth prononça ses vœux de tertiaire de l’ordre des Franciscains, l’union de son âme avec le Seigneur se réalisa pleinement. Toutes les trois firent vœu d’obéissance envers Maître Konrad, vœu de pauvreté selon son enseignement et vœu de célibat, pour ses deux compagnes ; pour elle, vœu de ne pas se remarier au cas où son mari viendrait à mourir.

Vivre la pauvreté à l’école de Maître Konrad fut, sans doute, un renoncement héroïque pour Élisabeth. En effet, il ne lui permit jamais de renoncer à tous ses biens. Il voulut lui apprendre à les gérer loyalement comme des richesses qui lui avaient été confiées.

En premier lieu, elle ne pouvait disposer de biens « illégaux ». D’où provenaient les mets et les boissons sur les tables du landgrave ? Ne les avait-on pas arrachés aux paysans qui manquaient de nécessaire ? Ne venaient-ils pas des propriétés acquises illégalement ? Élisabeth ne devait plus prendre de nourriture s’il n’avait pas été prouvé qu’elle lui appartenait légalement. N’était-ce pas quelquefois difficile, voir impossible à vérifier ? Ainsi, elle dut souvent, avec ses compagnes, se lever d’une table bien garnie sans avoir mangé à sa faim. – Peut-être faut-il voir dans cette contestation muette de l’injustice sociale, une des raisons de son renvoi de la Wartburg :

Louis avait été à ses côtés, Henri Raspe, son frère fit bloquer tous ses revenus personnels pour la forcer à prendre ses repas à la table du landgrave –.

Elle ne devait pas disperser ses biens à pleines mains pour satisfaire la générosité de son cœur mais donner convenablement tel que la conscience raisonnable du Maître le lui prescrivait. C’était pour elle un grand combat ! Son caractère impétueux l’entraînait toujours ! Que devenait l’obéissance promise ? Elle voulait apprendre à faire la volonté du Seigneur et non suivre les penchants de son cœur. Dans son souci de l’âme qui lui était confiée, Maître Konrad ne reculait même pas devant le châtiment corporel. Depuis longtemps, Élisabeth avait cherché à discipliner son corps. Dès son enfance, elle avait l’habitude de s’humilier. Un de ses désirs les plus forts était de parvenir à vivre toute humiliation dans la joie. Cependant, il lui était dans doute dur et difficile de renoncer ainsi aux intuitions de son cœur aimant. Mais Maître Konrad était pour elle le guide reçu de Dieu.

Jamais elle n’eut l’idée d’en choisir un autre. Cet homme sombre et sévère – avec ses méthodes et la conception de l’ascèse de son temps – fut l’instrument de la Providence Divine qui mena Élisabeth à la perfection et la délivra des obstacles dus à son caractère.

Si le conflit avec ses proches était un combat et une souffrance quotidienne, les luttes provoquées par l’intervention brusque de Maître Konrad étaient plus douloureuses encore. Mais peut-être y avait-il dans son âme une blessure plus profonde. Depuis l’âge de ses quatre ans, le landgrave Louis avait été son « cher frère » avant d’être son époux. Combien s’était-elle attachée à lui de tout son être ! De par son caractère passionné, son amour conjugal avait totalement empli son cœur et sa vie.

En même temps, Dieu avait mis, depuis sa plus tendre enfance, sa main sur elle et le désir de n’appartenir qu’à lui seul grandissait sans cesse en elle. Même si Louis était bien loin de l’arrêter sur son chemin, faisant même tout son possible pour l’y aider et l’accompagner, la brûlure de son cœur ne pouvait s’éteindre et était pour toujours comme une mort en son âme. Le mariage est sacré ! Aussi, même si parfois Élisabeth déplorait son état, qui l’empêchait de suivre jusqu’au bout le penchant de son cœur, son guide ne songeât jamais à en défaire le nœud, pas même lorsqu’elle prononça les vœux du troisième ordre.

Au milieu de tous les combats, tout en éprouvant sa situation d’épouse comme une chaîne, le fond de son âme cependant demeurait en grande paix.

Aussi la mort si brutale de Louis, où, une fois encore, elle laissa déborder son amour et sa douleur, fut peut-être intérieurement une réelle délivrance.

Une fois chassée de la Wartburg, après l’expérience de la dureté incompréhensible et de l’ingratitude des habitants d’Eisenach, elle peut, dans l’église des Franciscains, chanter un Te Deum dans une joie radieuse. Là, est l’expression spontanée de « la joie parfaite » telle que François l’expliquait à Frère Léon : l’âme qui aime le Christ, se découvre dans la misère et le total abandon, « attachée » à son Seigneur, plus heureuse que jamais.

Misère et abandon matériels ne durèrent pas. Elle trouva, avec ses enfants, l’hospitalité chez sa tante au monastère de Kitzingen puis, un peu plus tard, chez son oncle, évêque de Bamberg. C’est là qu’elle aurait reçu l’un des honneurs terrestres les plus hauts : la demande en mariage de l’empereur Frédéric II. Outre les vœux qu’elle avait désormais prononcés, l’amour de son époux défunt rendait impossible à ses yeux un nouveau mariage.

Quand son retour à la Wartburg fut possible, grâce à une réconciliation avec sa famille, il lui fut beaucoup plus douloureux de quitter ses enfants pour suivre l’appel du Seigneur. Elle avait conscience de toute la force de l’amour qu’elle leur portait, au point d’être un obstacle sur son chemin de sainteté. Elle finit par choisir de résider à Marburg où se trouvait Maître Konrad.

Ses dernières années seront marquées par un dépouillement de plus en plus grand et profond dévouement. Car, sans aucune indulgence, son guide sévère combattra en elle tout ce qui pourrait risquer de troubler encore son âme. Si elle avait maintenant le droit de porter l’habit brun de l’ordre, il ne lui était toujours pas permis de disposer et de distribuer ses biens de veuve. Maître Konrad en fit construire un hôpital, où elle put assurer le service de la conciergerie. Une petite maison construite à côté, en bois et en terre glaise, devint son domicile et celui de ses fidèles Guda et Isentrud.

Le bonheur d’Élisabeth tint en deux services : soigner les malades et offrir des aumônes aux pauvres. Mais Maître Konrad réduisit de plus en plus ces actions charitables jusqu’à les interdire totalement, tout en punissant sévèrement la moindre désobéissance. Que peut-il rester dans sa vie qui puisse donner satisfaction à un penchant naturel ? Le regard intransigeant du Maître trouvant encore à redire. Il la sépara des amies de son enfance qui l’avaient accompagnée jusqu’à maintenant et les remplaça par une servante laide et une veuve dure d’oreille et acariâtre. Ainsi toute joie encore terrestre lui fut enlevée au moment même où la maladie qui l’emportera dans la mort, l’atteignait.

Ces derniers efforts de Maître Konrad n’enfonçaient-ils pas des portes ouvertes ?

La sérénité indestructible qui l’habita durant ces derniers jours sur cette terre, semble témoigner combien le Maître Divin avait déjà parachevé son œuvre. Il avait détaché Élisabeth de toute chose de la terre et l’avait remplie de son amour jusqu’au débordement ; maintenant, il l’appelait à lui.

Bien des gens de toutes conditions se pressèrent autour du lit de la mourante, dans l’espoir de recueillir encore une parole, un sourire, un regard comme un reflet de lumière céleste.

À sa mort, il ne lui restait qu’un seul objet précieux : le manteau du Pauvre d’Assise qui lui avait été envoyé autrefois à la demande du Cardinal Hugolino d’Ostia, futur Grégoire IX. D’un œil sûr, il avait su reconnaître l’amitié spirituelle authentique qui unissait ces deux saints et il eut la joie de les canoniser tous les deux.

Vingt-quatre ans avaient suffi pour mener cette âme au sommet de la perfection. Trois ans et demi suffirent pour que sa sainteté soit confirmée et proclamée par l’Église. Aujourd’hui, sept siècles ont fait l’expérience de la puissance de son intercession et de son exemple. En notre monde de pauvreté spirituelle et morale, « ange radieux de miséricorde », Élisabeth demeure la consolatrice, toujours prête à nous apprendre à consoler et à aider.

À tous les indécis, à tous ceux qui sont dans l’erreur, sa vie indique le vrai chemin. Étrangère dans un pays étranger, elle nous invite à nous rappeler que, tous, nous sommes des étrangers en ce monde : notre vraie patrie n’est autre que le royaume de notre Père des cieux et notre seul guide, celui qui est descendu dans notre misère.

Il est venu l’assumer et nous entraîner à sa suite au-delà de toutes les étoiles. Tout au long de notre pèlerinage sur la terre, l’Esprit Consolateur est notre consolation et notre secours.

Ce chemin qu’Élisabeth a parcouru sans s’arrêter ni se laisser déconcerter, nous appelle. Nous aussi, abandonnons notre vieil homme pour nous laisser conduire au sein de la Très Sainte Trinité.

Note de l’auteur : parmi les œuvres modernes sur Sainte Élisabeth, ce sont celles d’Élisabeth de Schmid-Paul et de Maria Maresch qui m’ont aidée dans ce travail.

 

©Traduction réalisée par les frères carmes d’Avon. Tous droits de reproduction réservés.

Bibliographie - réf. 

Sainte Élisabeth de Hongrie. Documents et sources historiques

Sr Cécile Rastoin, o.c.d.

Traduction par Jacqueline Gréal. - Paris, Éd. franciscaines, 2007. - (11,5x17), 378 p., 25 €.

Esprit & Vie n°194 - Mai 2008 - 2e quinzaine, p. 31-32.

Pour le huitième centenaire de la naissance de sainte Élisabeth de Thuringe, plus connue en France sous le nom de sainte Élisabeth de Hongrie (1207-1231), les Éditions franciscaines nous offrent la publication des premiers documents historiques la concernant. Jeune sainte de la radicalité franciscaine, elle fut au Moyen Âge ce que Thérèse de Lisieux ou Thérèse de Calcutta sont à notre époque : « star » au-delà des frontières. On la connaît moins aujourd'hui et c'est dommage. Voici une belle occasion de la découvrir à partir du témoignage de ceux qui l'ont connue.

L'Allemagne de 1931 avait fêté dans l'incertitude politique le septième centenaire de sa mort. Edith Stein, devenue désormais sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, a consacré alors des pages inoubliables à la sainte de Thuringe, insistant sur la manière dont Élisabeth avait su garder le meilleur de sa personnalité tout en se laissant façonner par l'Esprit Saint, par l'intermédiaire de Conrad, son redoutable directeur de conscience.

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