La doctrine sociale enseignée par François est-elle en continuité avec l'enseignement des papes précédents ? (03/12/2020)

De Stefano Fontana sur le site de l'Observatoire International Cardinal Van Thuan sur la Doctrine Sociale de l'Eglise:

LES CHANGEMENTS DE FRANÇOIS DANS LA DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE.

Nombreux sont ceux qui se demandent s'il y a ou non une continuité entre la doctrine sociale de l'Église enseignée par le pape François et celle enseignée jusqu'à Benoît XVI. 'Laudato si' et 'Fratelli tutti' (mais aussi l'Exhortation 'Evangelii Gaudium') sont-ils conformes à 'Centesimus annus' et 'Caritas in veritate' ? La propension qui prévaut parmi les commentateurs est de penser qu'il y a une continuité, parce que personne n'aime avoir à constater que ce que les papes disaient autrefois est maintenant dit d'une manière différente ou même nié, et aussi parce que le critère de "réforme dans la continuité" suggéré par Benoît XVI en 2005 est souvent appliqué dans un sens très large. Ainsi, on fait valoir que les éventuels éléments de discontinuité relèvent du domaine pastoral et non de la doctrine, et qu'en tant que tels, ils n'engagent pas l'autorité magistrale du pape. Cette façon d'argumenter n'est cependant rien d'autre qu'une échappatoire pour contourner la question, puisque les grands changements doctrinaux se produisent aujourd'hui à des fins pastorales.

Même si la question que je soulève est tellement vaste et nécessiterait beaucoup plus d'espace que celui d'un court article, je voudrais souligner brièvement certains éléments où il n'y a pas beaucoup de continuité. Il s'agit d'éléments de fond et de méthode.

La Doctrine sociale de l'Église est "l'annonce du Christ dans les réalités temporelles" et "un instrument d'évangélisation". Ces deux éléments sont essentiels, mais dans les documents sociaux du Pape François, ils ne semblent pas avoir la même place qu'auparavant. Plus qu'à l'annonce du Christ, l'espace est désormais réservé à l'humanité, à la fraternité existentielle, à la catégorie des "personnes", au dialogue interculturel et interreligieux et à la collaboration avec tous.

Deuxièmement, l'approche se rapporte à l'ordre existentiel et historique, et n'est plus même de loin, apparentée à l'ordre métaphysique. Il y a peu de références à un ordre naturel, à l'essence de l'homme, aux finalités inscrites dans la nature humaine, ou même aux concepts de nature et de super-nature. L'accent a été mis davantage sur le fait de marcher ensemble sur les chemins de la vie plutôt que de travailler dans un ordre du réel en vue de l'ordonner sur la base de la raison juste et de la vraie religion.

Cette approche historique plus que fondée sur la nature oblige ensuite les gens à se concentrer sur ce qui est nouveau, sur le temps, sur le courage de changer, sur la prise de risques, sur la volonté d'aller de l'avant, sur le rêve, sur l'espoir au sens existentiel, sur l'exploration de nouvelles voies et sur le lancement de processus sans précédent. Cela entraîne l'émergence de propositions plutôt aventureuses qui, parfois, ne relèvent pas à la fois du contexte de la doctrine sociale de l'Église et de la tâche du Magistère pétrinien. Elles se présentent ainsi comme des opinions exprimées dans le débat public. Ce qui change, ce n'est pas seulement l'enseignement social du pape, mais aussi le rôle du pape dans l'enseignement social.

Cette nouvelle approche existentielle et historique ouvre la voie à des méandres des sciences humaines et à des lectures empiriques des phénomènes sociaux, à des gaffes parfois ou à des prises de position idéologiques sans aucune critique. Le risque se résume à se laisser saisir par le naturalisme. La liste des positions similaires dans les encycliques du pape François pourrait être assez longue. On pourrait se contenter de rappeler deux d'entre elles. La première consiste à charger une encyclique sociale de données très discutables sur le réchauffement climatique anthropique, comme ce fut le cas dans "Laudato si". La seconde est une lecture politiquement correcte et très "réglementaire" de la pandémie de Covid-19. La valeur magistrale de ces observations est nulle. De plus, cette façon de présenter les choses n'est pas fortuite. Elle indique une approche différente des questions sociales qui manifeste une discontinuité avec le passé et "façonne" la communication sociale pontificale d'une manière entièrement nouvelle. L'un des effets qui en découle est l'impossibilité de distinguer l'essentiel de ce qui est marginal.

Comme il est logique de s'y attendre sur la base de ce qui a été dit ci-dessus, le langage utilisé change également avec le pape François. Les mots sont nouveaux et sont souvent "empruntés" aux journaux ou aux commentateurs politiques. Il utilise des mots-images qui, conceptuellement incertains en eux-mêmes, ont une valeur vaguement évocatrice ; par exemple, "mur" ou "déchets". Ils sont également ambigus, comme c'est le cas du mot "peuple", ou de mots tels que "populisme" ou "libéralisme" utilisés dans le chapitre V de 'Fratelli tutti'.

Comme je l'ai écrit au début, nous sommes confrontés à des questions de grande envergure et très vastes qui exigent un travail beaucoup plus approfondi bien au-delà de ces quelques notes. En tout cas, trois aspects sont à ne pas négliger : le changement est en cours ; ce changement ne peut être écarté en utilisant le critère de la "réforme dans la continuité" de manière approximative et élargie ; ce changement n'est ni fortuit ni accidentel, mais il est lié à la nouvelle perspective théologique qui voudrait prendre le relais dans l'Église en général.

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