L’Etat face aux Religions : de la laïcité française aux concepts belges de neutralité et de pluralisme (04/01/2021)

Laïcité ou religion républicaine

Lu dans le mensuel « La Nef » de ce mois de janvier 2021 :

" La laïcité « à la française » n’est pas quelque chose en creux, une absence, un non-cléricalisme, mais bien l’élément central d’une doctrine active et prosélyte, une foi. Alain Bauer, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers et ancien grand maître du Grand Orient de France (GOF), dans un débat face à Éric Zemmour, sur la chaîne Cnews, le 27 septembre dernier, l’a dit explicitement : il existe bien une « religion de la République », dont le corpus dogmatique est constitué par la philosophie des Lumières et dont l’« Église » – ou plus exactement la « contre-Église » – se confond avec la franc-maçonnerie. L’action de cette « contre-Église » émancipatrice se déploie sur deux axes, un axe défensif, se protéger contre les religions concurrentes en les confinant (c’est le cas de le dire !) à la sphère privée, la sphère publique, elle, étant le domaine réservé de la religion républicaine, et un axe offensif visant, sinon à éliminer, du moins à affaiblir les concurrentes. Longtemps ce fut la lutte contre l’Église catholique. La dernière « offensive », aux dires mêmes de Bauer, eut lieu en 1984, lors de la tentative d’instaurer un « grand service unifié et laïque de l’éducation », dont l’idée émanait directement du GOF. Échec du fait de la mobilisation catholique. Il ne resta plus que le harcèlement, la moquerie… le blasphème !

L’insulte n’est pas un droit

Blasphemein, en grec, signifie « insulte ». Théoriquement l’insulte n’est pas un droit, mais un délit. Seulement voilà, ce délit ne s’applique qu’aux personnes physiques, réelles, pas aux personnages fictifs. Ainsi l’on peut, en toute impunité, injurier l’inspecteur Javert des Misérables ou encore l’ignoble Iznogoud de la bande dessinée. Et, bien entendu, pour les athées, Dieu n’est qu’un produit de l’imagination, bref, un non-être. Par conséquent, pas de limite, taïaut, taïaut !… Toutefois, railler l’Église catholique ne paye plus, comme le dit Bauer : « on ne tire pas sur une ambulance » ; reste l’autre concurrente, celle-ci en plein essor, l’islam. Désormais, c’est elle qu’il faut attaquer, confiner, diminuer ; c’est elle la nouvelle figure de l’obscurantisme croyant. Alors, que se déchaînent les caricatures sous l’égide de la liberté d’expression ! Mais le combat contre la tentation hégémonique de l’islam radical embarrasse l’Église de la République. Comment, en effet, disjoindre une religion de ses fidèles ? L’islam des musulmans, afin de ne pas tomber dans l’accusation de racisme ? Et comment ne pas associer l’islamisme à la radicalité extrême de certains passages du Coran, tel le verset 30 de la sourate 9 : « les chrétiens ont dit : “Jésus est fils de Dieu”. Telle est leur parole venant de leur bouche. Que Dieu les anéantisse ! » La hantise de l’islamophobie pétrifie les « républicains ». Leur solution ? L’humour ! Histoire de dire : « Ne prenez pas tout ça personnellement, c’est juste pour rire ! » Faute d’appeler courageusement un chat un chat, l’on a recours à la badinerie moqueuse… et libertaire ! Quid alors du fameux « vivre ensemble » ? Railler n’est pas rallier, diffamer n’est pas rassembler, médire n’est pas dire. L’injure sème la zizanie et non la concorde, la guerre civile et non pas ce que les Romains appelaient Yotium, cette tranquillité, gage de paix entre les citoyens.

Combattre, ce n’est pas moquer ; au contraire, ce serait – horreco referens ! – mettre à bas, ou, en tout cas, modifier en profondeur la loi de 1905 portant séparation de l’Église et de l’État. Et d’abord éliminer la bouffonnerie de son article 2 : « la République ne reconnaît aucun culte ». Une bouffonnerie, en effet, lorsque l’on songe à toutes ces éminences, rabbins et autres imams se pressant à l’Élysée, avec les différents corps constitués, pour les vœux présidentiels ! Il faudrait, non pas des caricatures, mais une distinction claire et nette entre les cultes/religions pacifiques avec qui l’État peut et doit entretenir des relations et les autres, ceux qui menacent, endoctrinent et servent de base arrière aux terroristes. Non, la religion de la République ne fédère pas : elle divise ! La laïcité authentique passe par une – vraie – sécularisation de notre société, c’est-à-dire un renoncement au cléricalisme « républicain ». Que donc la laïcité redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cessé d’être, une simple neutralité de l’État à l’égard du fait religieux »

Grégoire Vincent

Grégoire Vincent est diacre orthodoxe, ancien traducteur au Conseil de l’Europe, aujourd’hui à la retraite.

© LA NEF n°332 Janvier 2021 "

Ref. Laïcité ou religion républicaine

Neutralité et pluralisme dans l’espace public belge

Dans l’espace public belge, la laïcité n’est que l’une des sept religions ou philosophies non confessionnelles  reconnues et bénéficiaires à ce titre des subsides publics ainsi que de l'organisation dans les écoles de cours issus de ces religions ou options philosophiques.

Voici, résumées en quelques mots, les caractéristiques de la place des religions dans l’espace public belge, telles que le constitutionaliste Francis Delpérée les a développées lors d’une conférence  organisée par l’Union des étudiants catholiques de Liège (voir in extenso ici: Neutralité ou pluralisme dans l’espace public ) .

"En Belgique, la laïcité n’est pas un concept de droit constitutionnel  structurant l’Etat : à cet égard, le système  belge privilégie la neutralité et le pluralisme. Mais quelle est la portée de ces deux concepts -portée grammaticale, puis juridique- dans les textes normatifs d’abord, dans la jurisprudence et la doctrine ensuite ?

Les mots

Les mots ne sont pas toujours univoques : il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour le vérifier. Au sens premier, être neutre signifie s’abstenir, ne pas prendre parti. Cela peut valoir pour un individu ou une collectivité. Le pluralisme au contraire est un principe actif, valorisant la diversité : la société civile peut-elle, en effet, s’accommoder d’un espace public circonscrit par la seule expression d’une « volonté générale » que les appareils étatiques sont censés exprimer ?

les textes normatifs

Le seul service public que la constitution qualifie de « neutre » est celui du réseau d’enseignement (non exclusif certes) organisé par les Communautés, composantes fédérées de l’Etat belge. Le terme « pluralisme » n’appartient pas au vocabulaire de la constitution mais le régime des droits et libertés que celle-ci instaure implique la chose, tout comme la diversité que la loi organise ou favorise au sein des collectivités belges.

la doctrine et la jurisprudence

Neutralité, pluralisme : sur l’application de ces deux concepts, la doctrine et la jurisprudence ont-elles été plus loquaces ? 

La doctrine distingue plusieurs types de neutralité possibles : passive, active et organisationnelle.

La « neutralité passive » consiste à ne pas tenir compte dans l’espace public des appartenances philosophiques, idéologiques ou religieuses des personnes. Selon le Conseil d’Etat, c’est un principe constitutionnel lié au droit à la non-discrimination et à l’égalité. Il s’applique aux institutions publiques, à leurs agents et usagers (mais pas aux mandataires publics ni aux citoyens comme tels).

La « neutralité active » fait acception de la diversité des appartenances philosophiques, idéologiques ou religieuses : elle recherche l’équilibre ou la pondération des tendances là ou la neutralité individuelle est jugée impossible à atteindre : par exemple, dans l’information radiotélévisée ou les fonctions culturelles.

La « neutralité organisationnelle », enfin, s’applique aux programmes et au recrutement des maîtres de l’enseignement organisé par les Communautés.

Le pluralisme se déduit des articles 10 (égalité) et 11 (protection des tendances idéologiques et philosophiques) de la constitution.

Il se décline sous deux formes : le pluralisme externe que manifeste la pluralité des institutions privées et publiques (enseignement, soins de santé, aide sociale etc.) et le pluralisme interne que traduit l’intégration de groupes idéologiques différents dans la direction d’une institution publique (cela va de la Banque nationale aux Transports publics en passant la sécurité sociale ou la radiotélévision…).

Pour conclure brièvement :

Entre la neutralité et le pluralisme, la Belgique ne choisit pas, elle conjugue et décline ces concepts sous des modes divers. Une symphonie ?

JPSC

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