Le calvaire de Marie, chrétienne d’Irak, devenue esclave sexuelle des bourreaux de Daech (09/01/2021)

De sur le site de l'hebdomadaire Marianne :

Chrétienne d’Irak et esclave sexuelle de Daech : on a lu le livre choc "La putain du Califat"

La putain du Califat, de Sara Daniel, Benoît Kanabus | Éditions Grasset

Document

Dans un document saisissant, Sara Daniel, grand reporter à l’Obs, et le chercheur Benoit Kanabus retracent le calvaire de Marie, chrétienne d’Irak devenue esclave sexuelle des bourreaux de Daech.

« Esclave de douze maîtres, vendue et revendue de Qaraqosh en Irak à Raqqa en Syrie, l’histoire de Marie dessine la géographie de l’État islamique. Et sa théologie : tous les péchés des hommes se sont incarnés dans son corps de femme » écrivent les auteurs de La putain du Califat, une enquête terrifiante sur la tragédie d’une jeune chrétienne enlevée comme tant d’autres par les voyous de Daech. Des voyous obsédés et obscènes, drapant leur orgie de sang et de sexe dans le drapeau noir des fous d’Allah. Pornographes de tous âges et de tous pays, ils passent de la pulsion du meurtre à celle du viol, de la décapitation à la fornication, l’une justifiant l’autre on ne sait plus dans quel ordre, mais sans oublier ablutions et prières.

Marie a des cheveux blond vénitien et des yeux verts. En ce mois d’août 2014, elle se prépare à sa rentrée de professeur d’anglais, en septembre au lycée de Qaraqosh, la plus grande cité chrétienne d’Irak. Ce jour ne viendra jamais. À sa place commence une longue nuit quand Daech se jette sur la ville. Marie rejoint le fleuve des victimes : la mort pour les hommes, l’esclavage sexuel pour les femmes. Mais le viol aussi  a ses hiérarchies. Sur un marché saturé de jeunes yézidies « les chrétiennes sont des perles rares, la part réservée des chefs et des alliés les plus méritants. Marie ne sait pas cela, elle ne sait pas non plus que la couleur de ses cheveux blonds exaspère le désir de ses geôliers : chrétienne, blonde, c’est un joyau. »

BARBARIE BUREAUCRATIQUE

Ses geôliers l’attribuent gratis à un imam, Hadj Abou Ahmed al-Charia. Son premier-maître. Un vieil homme qui se bourre de viagra pour arriver à posséder sa « sabiya », son esclave. Quand il est impuissant, il frappe Marie à coups de bâton. Il cogne même les yeux bien que le livret d’utilisation des sabiyas le lui interdise. Car tout est codifié. « Dans sa barbarie bureaucratique, l’État islamique a fait publier, par l’intermédiaire de son département de la recherche et de la fatwa, un manuel d’esclavage sexuel que Marie apprendra par cœur parce qu’il va régler sa vie du jour de sa capture à celui de sa libération. L’article 6, par exemple, dispose qu’il est licite d’acheter, de vendre ou de donner en cadeau les prisonnières et les esclaves car ce sont de simples propriétés dont on peut disposer à son gré. »

Lorsque le propriétaire  meurt, l’article 10 rassure sur le fait que « les captives sont des éléments du patrimoine » et font partie de la succession à l’instar de n’importe quel bien. « Le manuel de l’esclavage, c’est un peu la Convention de Genève du djihadiste, écrite par une génération qui  croit vivre dans l’Arabie du VIIème siècle tout en regardant des épisodes de Game of Thrones où les scènes de bordels servent d’intermèdes aux décapitations. »

"O ALLAH, TUE TOUS LES CHRÉTIENS !"

Le vieux enseigne la charia aux petits enfants. Il traîne Marie, sa chose,  muni d’un titre de propriété en bonne et due forme délivré de mauvaise grâce par le juge du tribunal islamique qui voulait la racheter à l’imam contre trois yézidies. À Sara Daniel qui l’a retrouvée des années plus tard, Marie confie qu’elle l’écoutait parler « devant de tout petits enfants, minuscules recrues du Califat, affublés de gilets pare-balles qui leur tombent sur les genoux, qui ne savent pas encore lire mais répètent en rang debout pendant des heures la mélopée de mort : « O Allah, tue tous les Américains ! O Allah, tue tous les chrétiens ! »

L’imam alterne les viols au viagra et les bastonnades. Cela finit par faire mauvais genre pour un saint homme d’âge canonique même chez Daech. Alerté, l’émir confisque Marie. C’est son second maître qu’elle appelle le jeune. Car à tous sa mémoire donne un nom. Sara Daniel les transcrit «  comme elle me l’a demandé (...) Abou Zahra qui avait une jambe coupée ; Abou Ibrahim à qui il manquait un bras ; Abou Hassouna ; Abou Mariam al-Askari, qui lui a cassé deux dents qu’elle a senties nager autour de sa langue ; Abou Qathan , qui lui a dit que si elle ne se montrait pas plus docile, Loaï la vendrait aux Africains, qui ont sale réputation chez les Irakiens ». Sans oublier Rachid le Français qui regarde en se tordant de rire Cyril Hanouna sur la chaine satellitaire et dont la femme, Nathalie, frigide, épingle des charges explosives entre le soutien-gorge et la culotte des candidates aux attentats suicide. « L’âme de Marie est dépecée, il ne reste d’elle qu’un lambeau... »

TON CRU, PROPOS BREF

Pour retrouver la jeune femme, dont le nom et l’histoire revenaient souvent dans les récits des survivants après la défaite de l’État islamique,  la journaliste et le chercheur ont mobilisé pendant de longs mois tous leurs contacts à travers ces zones de guerre où ils ont travaillé et risqué leur vie. Benoit Kanabus a vécu la bataille de Mossoul aux côtés des chrétiens, Sara Daniel a fait de multiples reportages « dans ces déserts brûlés par la haine ».

Elle a un autre courage, celui de confier, au début de leur livre: « Jusque là je n’avais écrit que des récits formatés, qui sentent la poudre et les drapeaux trempés de la sueur des héros, où je me cache derrière un je de façade, quelques fausses confidences, et des souvenirs qui ne doivent pas choquer le lecteur... » Pour La putain du Califat, le ton est cru, scandé, bref. C’est un appel au bord du bordel et de l’abîme. On y entend rouler  l’écho des contes des premiers chrétiens, murmurer la consolation araméenne et hurler l’épouvante génocidaire. Une histoire à mettre entre toutes les mains, surtout celles qui font le signe de la dénégation face au fascisme islamiste.

* « La putain du Califat ». Grasset, 206 pages, 18,50 euros

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