Lumumba, soixante ans après son exécution : Jefferson ou Savonarole ? (17/01/2021)

On commémore ce 17 janvier 2021 le soixantième anniversaire de l’exécution sommaire, au Katanga, de l’un des irresponsables majeurs de la décolonisation anarchique du Congo Belge : Patrice Lumumba livré, par les autorités congolaises de Léopoldville, à l’un de ses principaux adversaires, Moïse Tshombé président de la république auto-proclamée du Katanga. Sont-ce là les seuls coauteurs du drame ?

En 2001, une commission parlementaire belge d’enquête a conclu que les autorités congolaises de Léopoldville, organisatrices du transfert à Elisabethville de Lumumba et de ses compagnons d’infortune, Okito et Mpolo, auraient bénéficié du soutien moral d’instances gouvernementales belges et plus précisément des ministres des Affaires étrangères et des Affaires africaines et de leurs collaborateurs.

Un peu court ?  En fait, la véritable responsabilité de la Belgique dans le drame congolais est bien plus large : elle se situe dans le naufrage congénital d’un nouvel Etat dont le Congo actuel traîne encore les séquelles soixante ans plus tard et, dans ce naufrage, Lumumba portera aussi sa part de responsabilité aux yeux de l’histoire : excessif, irritable, instable et violent, il fut l’artisan majeur du chaos qui, au lendemain même de l'indépendance, engendra sa propre perte. Qui sème le vent récolte la tempête.

Mais qui était ce Lumumba dont le mythe masque aujourd’hui la réalité ? Un article de l’Union royale belge pour les Pays d’Outre-Mer, publié voici vingt ans déjà, nous le rappelle ici sans passion inutile (JPSC) :

« Il naquit en 1925 à Katako-Kombe parmi les Batetela, tribu belliqueuse qui, sous la conduite de Ngongo Lutete, allié de Tippo Tip, s'étaient distingués aux côtés des Arabisés contre les troupes anti-esclavagistes de Léopold Il. Ils menaient leurs razzias du Maniema au Sankuru avant d'être arrêtés par les Belges. Sa haine de la Belgique, plutôt exceptionnelle parmi les hommes politiques congolais, aurait-elle été atavique ?

On le retrouve aux études dans des missions catholiques, protestantes ensuite. Chez ces derniers, il se serait surtout intéressé aux œuvres de Sartre et de Karl Marx. Dégagé de la férule de ses maîtres, il se laissera séduire par le Ministre des Colonies, le libéral Buisseret, à une époque où les partis politiques belges multipliaient sourires et bonnes paroles devant ceux des Congolais qu'ils estimaient les plus "valables" pour les représenter en Afrique. Le futur héros national bénéficia donc d'un séjour en Belgique aux frais de la princesse, parée de bleu pour la circonstance. Plus tard, sans davantage d'états d'âme, le voilà à Accra, se ralliant à Nkrumah et à son nationalisme panafricain quelque peu teinté de rouge.

Une girouette politique ? Ses partisans le nient. Donnons leur raison sur ce point. Leur leader semble bien avoir été un nationaliste naïf, sincère et exalté, mais maladroit et sans scrupules, utilisant toutes les opportunités pour faire avancer sa cause. La fin justifie les moyens ? Oui, jusqu'à détourner les fonds déposés par ses compatriotes à la Poste de Stanleyville ?

Condamné pour ce motif à un an et demi de prison après onze ans de services dans l'administration, ses partisans le présentent plutôt comme la victime d'une répression colonialiste dirigée contre le rédacteur d'articles et de discours démagogiques dans lesquels il excellait déjà.

A sa sortie de prison, ses talents persuasifs sont rapidement récupérés par une brasserie de Léopoldville. Vendant un peu partout dans le pays la bonne bière belge et des discours enflammés contre la Belgique il devient le très populaire fondateur du Mouvement National Congolais - le M.N.C./Lumumba, ainsi dénommé pour le distinguer d'un autre M.N.C., créé peu après par un rival, Kalonji. A l'époque, en effet, les partis politiques foisonnaient de toutes parts, dans la perspective d'une indépendance pas encore annoncée, mais que l'on devinait proche.

Le parti de Lumumba constituait cependant le seul à afficher une vocation nationale unitariste, les autres se satisfaisant d'une assise ethnique locale. Ce fut là que se dessina la ligne de fracture avec son principal concurrent, Kasa Vubu, Président de l'Abako, l'Alliance des Bakongo, plutôt fédéraliste.

A la suite des émeutes de janvier 1959, tous les deux sont arrêtés, mais Kasa Vubu, plus modéré, est rapidement relâché pour prendre une place, bientôt la première, dans la délégation congolaise, à la Table Ronde de Bruxelles, qui aboutira à l'annonce de l'Indépendance pour le 30 juin 1960. Lumumba, libéré à son tour sur les instances de Kasa Vubu, rejoignit cependant rapidement la table de conférence. Il n'en continua pas moins, dès que les négociations furent closes, à se distancer toujours davantage de celui qui lui avait permis d'y prendre part.

Un attelage hétéroclite sera donc placé à la tête de la République du Congo le 30 juin 1960.

La faille entre les deux leaders de l'Indépendance devient manifeste lors de la cérémonie d'installation des nouvelles autorités congolaises. A un Roi Baudouin paternaliste et à un Président Kasa Vubu amical et reconnaissant envers les Belges, succède à la tribune un Premier Ministre Lumumba haineux et vindicatif.

Quelques jours plus tard, l'armée, dont il était le responsable politique en qualité de Ministre de la Défense, se mutina et la Belgique évacua ses ressortissants sous la protection de ses soldats. A peu près simultanément, la riche province du Katanga fit sécession sous la conduite d'un Tshombe, ami des Belges, suivie bientôt par le Kasai de Kalonji. Le Congo rompit aussitôt ses relations diplomatiques avec la Belgique et fit appel à l'ONU contre son ancien colonisateur accusé contre toute vraisemblance de vouloir récupérer par les armes et les rébellions provinciales, ce qu'il avait abandonné sans lutte peu de jours plus tôt. Lumumba, désemparé devant les diables qu'il avait sortis de leurs boîtes, s'adressa à l'URSS, confirmant ainsi des sympathies qu'il avait dissimulées jusqu'à ce qu'elles furent révélées par le choix de son conseiller politique, un communiste belge.

Kasa Vubu, pour ne pas décevoir les puissances occidentales, ne peut alors que démettre un Premier aussi brouillon, lequel contesta aussitôt la légalité de la mesure et révoqua de son côté le Président de la République.

L'imbroglio atteignait son comble. Pendant que le Président de la République courait à New-York implorer de l'ONU une reconnaissance de sa légitimité, qu'il obtint sans peine, son Premier Ministre appelait à son secours les pays-frères d'Afrique. L'URSS ne lui avait en effet envoyé pour tout viatique qu'un avion chargé de conseillers en bonnes intentions et il lui fallait à tout prix des munitions plus substantielles que des discours déclamatoires dont il était déjà lui-même suffisamment prodigue. Mais les pays-frères, peu soucieux d'importer chez eux pareil désordre, se tinrent cois et laissèrent le tribun iconoclaste à ses gesticulations.

Le 14 septembre, le colonel Mobutu met fin à la crise gouvernementale en arrêtant Lumumba. Une tentative d'évasion de ce dernier, au cours de laquelle il tenta de soulever de nouveau la population, incite les nouvelles autorités mises en place par Mobutu à le livrer en janvier 1961 à son pire ennemi, le président du Katanga sécessionniste. Peu après son arrivée à Elisabethville, il sera condamné et mis à mort dans des conditions qui incitèrent des commentateurs à mettre en cause des interventions en sous-main de la CIA américaine et de la Belgique. Ce point devra être éclairci bientôt, en ce qui concerne cette dernière, par une commission parlementaire belge dont les conclusions seront probablement publiées au début de 2001.

Le mythe Lumumba, exalté par son martyre, survivra à son créateur. Né d'un peuple qu'il a entraîné dans son opportunisme désordonné, ou dans un idéalisme naïf et irresponsable, il entrera dans l'argumentaire populiste des pays-frères d'Afrique qui l'avaient abandonné, de ceux qui l'avaient trahi dans son propre pays, et dans le bloc soviétique.

Oscar Libotte, président hre de l’Urome »

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JPSC

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