Ce que voit et expérimente de nos jours un catholique européen (21/02/2021)

Le site Pro Liturgia traduit ces réflexions du cardinal Walter Brandmüller figurant dans un article paru sur le site kath.net (19 février) :

La deuxième décennie du troisième millénaire du calendrier chrétien - autrement dit de celui auquel appartient l’histoire de l’Église - a commencé. Et que voit et expérimente de nos jours un catholique européen ?

Réponse : un exode massif hors des églises ; un esprit du temps anti-chrétien, « anti-divin », qui telles des bourrasques souffle dans l’Église et balaie des feuilles fanées ; le catholique européen voit le développement de ce qu’on pourrait appeler un « christianisme crypto-apostat ». Autant de réalités qui auraient été impensables... même sous les dictatures du 20e siècle.

Chose nouvelle : désormais, ce ne sont plus seulement les chrétiens tièdes et peu intéressés à la foi de leur baptême qui quittent l’Église ; ce sont aussi ceux qui souhaitent protester contre des structures ecclésiales qui n’ont jamais produit quoi que ce soit et qui sont aujourd’hui en ruine. Ces structures tournent à vide sans inviter ceux qui en font partie à regarder ce qui se passe autour d’elles et sans se soucier de ce que devrait être l’Église de Jésus-Christ.

Un bon nombre de fidèles sont actuellement déçus, perdus, ne reconnaissant plus l’Église qui leur était familière. Certains cherchent alors un havre spirituel dans les communautés davantage liées aux valeurs stables et sûres de la Tradition chrétienne, sans pour autant être « traditionalistes » au sens où on l’entend actuellement.

Mais cette apostasie de masse et cette perte de la foi n’ont-elles pas été évoquées par Jésus lui-même lorsqu’il parlait des signes annonçant son retour imminent ? Il est vrai que les germes du modernisme sont à nouveau à l’œuvre. Au XXe siècle, les deux guerres mondiales et la résistance aux idéologies de l’époque n’avaient fait qu’interrompre les avancées de ce modernisme. Mais le voici de nouveau à l’œuvre. On peut dire que dans l’Église, il s’est réveillé en 1968, lors de la publication de l’encyclique « Humanae vitae » de Paul VI. Un grand nombre de théologiens alors bien en vue refusèrent immédiatement ce document qui abordait les questions de l’amour humain. À y regarder de plus près, leur prise de position correspondait à l’incompréhension croissante du célibat sacerdotal : au nom de l’amour humain, il n’était pas rare, à cette époque, de voir des assemblées paroissiales applaudir lorsqu’à la fin d’une messe, le célébrant annonçait qu’il allait se marier. Les Pays-Bas furent à la pointe de ces manifestations ; la Belgique et la France rejoignirent rapidement le mouvement qui était alors présenté comme un « printemps de l’Église ».

En même temps se produisit ce qui allait aboutir au chaos liturgique dénoncé par Jean-Paul II et par Benoît XVI : dans un grand nombre d’église paroissiales et de séminaires diocésains, les livres liturgiques officiels devaient obligatoirement être remplacés par des publications douteuses, certains prêtres allant même jusqu’à imposer des célébrations eucharistiques dont les rites et les prières sortaient de leur propre imagination. Revenaient alors à l’esprit des fidèles les plus avisés les paroles de Jésus à propos de « l’abomination de la désolation installée dans le lieu saint » (Mt 24, 15).

Malheureusement, aujourd’hui, les signes de la désolation se multiplient au milieu d’une indifférence partagée. Mais plutôt que de verser dans un alarmisme pieux, mieux vaut regarder du côté des origines de la crise actuelle.

Elle était déjà en germe au XIXe siècle : sécularisation des structures ecclésiastiques, diocèses sans évêque, abandon du sacrement de la confirmation, départ (déjà !) de nombreux prêtres - et surtout de religieux -, séminaires vides. Et, en parallèle, des prêtres demeurés en place et qui, gagnés par l’esprit des Lumières, s’affirmaient éducateurs, responsables de paroisses, travailleurs sociaux.

Il n’est qu’à voir les thèmes des sermons qui se faisaient au XIXe siècle et que l’on a retrouvés, pour constater une perte de foi dans les rangs du clergé. Ainsi, à Noël, prêchait-on sur l’accouchement et les soins à apporter aux bébés ; à Pâques sur le réveil de la nature après l’hiver ou sur les problèmes de l’élevage des moutons (en référence à l’agneau pascal) ou encore sur le danger d’inhumer des personnes qui ne seraient mortes qu’en apparence. À la Pentecôte - tempête et langues de feu - il était logique de recommander aux bons paroissiens l’installation de paratonnerres, merveilleuse invention de Benjamin Franklin...

Vient maintenant la question qu’il ne faut pas éviter : ne vivons-nous pas quelque chose de similaire aujourd’hui ? Écoutons les homélies dominicales. Sous un glaçage de bons sentiments chrétiens, il n’y est bien souvent question que d’environnement, de migration, de sauvegarde de la forêt tropicale, du changement climatiques, des conflits sociaux... Mais que viennent faire ces sujets au milieu d’une messe ? Est-il nécessaire d’aller à l’église pour entendre une énième fois les sanglots de la bien-pensance médiatique ?

Revenons au XIXe siècle. C’est au milieu d’un clergé mal formé et peu instruit qu’émergent de nombreux ordres religieux - plus d’une centaine sous le seul pontificat de Pie IX (1846-1878) - se consacrant à l’enseignement de la foi, à l’éducation, aux soins des malades et aux missions en dehors de l'Europe. Quant au monachisme, il connaît aussi un nouveau printemps. Une telle renaissance était pour le moins inattendue dans une Europe dont les couches dirigeantes étaient subjuguées non seulement par les progrès de la science et de l’industrie mais aussi par les courants matérialistes et athées de la philosophie. Cette même Europe s’était alors émancipée de ses origines chrétiennes, hypnotisée qu’elle était par l’idée d’un progrès sans limites créateur de bonheur. Elle a pourtant dû ouvrir les yeux lors de la Première Guerre mondiale, quand le « progrès » fut utilisé à des fins dévastatrices et meurtrières. Quand aux négociations de paix de 1918, elles ne feront que préparer de nouvelles catastrophes...

Voilà pour le passé. À présent, qu’en est-il du futur ?

Aux chrétiens de Thessalonique qui avaient peur, l’Apôtre Paul écrivait : « (...) si l’on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. Ne laissez personne vous égarer d’aucune manière. Car il faut que vienne d’abord l’apostasie, et que se révèle l’Homme de l’impiété, le fils de perdition, celui qui s’oppose, et qui s’élève contre tout ce que l’on nomme Dieu ou que l’on vénère, et qui va jusqu’à siéger dans le temple de Dieu en se faisant passer lui-même pour Dieu. » (2Thes 2, 2-4). Ne pas se laisser égarer ! Si nous regardons calmement la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui et que nous songeons à ce que pourra être celle de demain, nous ne pouvons que considérer le caractère provisoire du présent. N’oublions pas non plus ce que Jésus a dit au sujet l’avenir de son Église : il n’a pas parlé de triomphe mais plutôt de persécutions à endurer.

C’est donc évident : l’Église, le « corps mystique du Christ », ne peut pas suivre un chemin différent de celui qu’a pris Jésus-Christ et qui l’a mené à sa gloire via le Golgotha. Si seul le Ciel sait à quelle étape de ce chemin nous sommes arrivés aujourd’hui, une chose demeure certaine : l’Église ne se révélera dans toute sa splendeur et sa gloire qu’au dernier jour, lorsqu’elle sera devenue la Jérusalem céleste vers laquelle, ici-bas, nous avançons. Tel est son but. Tel est aussi ce que nous apprend Saint Jean à travers les images magnifiques de son Apocalypse.

En attendant, il nous faut marcher, avancer...

Les chrétiens qui désirent progresser sans s’égarer ont à leur disposition une boussole fiable : le « Catéchisme de l'Église catholique » publié par le pape Jean-Paul II et compilé sous la direction du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger. Il a été publié en 1992, existe en de nombreuses langues et n’a rien perdu de sa sûreté en matière doctrinale. Il contient tout l’enseignement de l’Église tel qu’il nous a été donné à travers les Écritures et tel qu’il a pris forme dans le processus de la Tradition vivante guidée par Saint-Esprit. La vie, le culte, la pastorale doivent se fonder sur cet enseignement s’ils veulent « demeurer dans la vérité », comme le disent l’Évangile et les lettres de Saint Jean. En suivant cette boussole qu’est le « Catéchisme », nous sommes sûrs de ne pas rater but qu’il nous faut atteindre.

En regardant la situation actuelle de l’Église, laquelle est caractérisée par la confusion dans la doctrine de la foi et l’arbitraire à tous les niveaux, on devine facilement l’importance que doit avoir une solide connaissance de l’enseignement de l’Église et de ses instructions touchant à la vie liturgique. Il est évident que chercher à s’en tenir à cette connaissance conduit inévitablement à des tensions et à des conflits avec les milieux où l’on s’emploie à critiquer et à discuter tout ce qui vient de Rome. Dans de telles situations difficiles, en plus d'un témoignage clair de la vérité, il faut veiller à conserver et à privilégier un style de discussion interne à l’Église qui puisse réponde aux exigences de l'Évangile : servir la vérité dans l’amour - y compris l’amour des ennemis - c'est la seule chose qui puisse être convaincante !

Dans ces dernières lignes on parle de foi, de charité, d’espérance. Ce sont les vertus dites « théologales », ainsi appelées parce que les capacités de croire, d’aimer (au sens chrétien du terme) et d’espérer sont des grâces de Dieu qui sont données - pour ainsi dire, versées à la personne rachetée - par le sacrement du baptême. Grâce à leur puissance, nous sommes capables de résister aux multiples adversités jusqu’à ce que le Seigneur revienne. En attendant, « ne perdons pas la tête ; ne nous laissons pas effrayer... » (2 Th 2, 1-3).

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