Une sorte de raccourci, ou de court-circuit, s’est installé depuis de nombreuses années dans l’opinion, spécialement dans l’opinion chrétienne, entre « message chrétien » et « accueil des migrants ». Comme si l’accueil des migrants résumait l’exigence et l’urgence du message chrétien aujourd’hui. Comme si « être chrétien aujourd’hui » trouvait sa pierre de touche dans l’accueil sinon inconditionnel du moins le plus large possible des migrants. Je voudrais m’interroger sur le bien-fondé de cette perspective.
Je ferai d’abord quelques remarques très rapides sur les migrations. L’opinion dominante, celle qui gouverne les gouvernants, soutient qu’il s’agit d’un problème fondamentalement, sinon exclusivement moral, que l’accueil des migrants relève d’un impératif catégorique, tempéré éventuellement par les possibilités limitées des pays d’accueil. Selon cette vue, nous savons en quoi consiste la bonne action, ou le bien agir, et le débat ne peut légitimement porter que sur l’appréciation des circonstances. Or, cette perspective emphatiquement morale repose sur un présupposé politique qui est rarement interrogé, à savoir que les migrations constitueraient le phénomène majeur de l’époque, le phénomène le plus significatif, et par rapport auquel tous les autres devraient être considérés. C’est l’argument sous-tendant le pacte de Marrakech.
Évidence morale ou postulat politique ?
Or, les migrants constituent un faible pourcentage de la population mondiale qui continue de vivre principalement dans des États constitués. Quels que soient les besoins et souhaits spécifiques des migrants, on n’a encore donné aucun motif sérieux de leur subordonner par principe les besoins et souhaits des populations non migrantes, qui ne sont pas nécessairement moins nécessiteuses. En pressant les États de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour faciliter les mouvements migratoires, on prive immédiatement les corps politiques de cette part essentielle de leur légitimité qui consiste à déterminer librement les conditions d’accès à leur territoire et à leur citoyenneté. En les pressant même de surveiller la manière dont leurs citoyens parlent des migrations, on s’arroge le droit de régler la conversation publique dans tous les pays du monde. Ainsi, au nom d’une évidence morale qui n’est qu’un postulat politique arbitraire, on affaiblit la légitimité et donc la stabilité des États constitués, en particulier de ceux qui sont les plus sensibles à cet argument, à savoir les pays démocratiques qui accueillent aujourd’hui un grand nombre de migrants et qui sont de loin les plus actifs lorsqu’il s’agit de leur porter secours.
Commentaires
" une autre religion s’est emparée des consciences pour ôter aux Européens tout droit de se gouverner eux-mêmes et de préserver une forme de vie qui leur soit propre. Tandis que l’Europe s’obstine à effacer les dernières traces de la chrétienté, plus rien ne la retient de disparaître dans une humanité sans forme ni vocation."
Pierre Manent
© LA NEF n°334 Mars 2021
À PROPOS LA RÉDACTION
La Rédaction
ARTICLES RÉCENTS
Paul Morand, les plaisirs et le monde
Recette pour un bon carême
Livres Février 2021
Sommaire n°333 Février 2021
Algérie : à quand la vérité ?
Christianisme et immigration : le christianisme face à la religion de l’humanité
La Birmanie sous le joug militaire
Les quatre sens de la nature
Disparition de Pierre-Guillaume de Roux : un peu de liberté qui s’en va !
Cinéma Mars 2021
Le numéro du mois
Découvrez le sommaire
Merci à Pierre Manent pour ce texte perspicace et à contre-courant.
INSCRIVEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER
Email
Écrit par : B.C. | 06/03/2021