France : des dizaines de médecins signent une tribune contre l'euthanasie (05/04/2021)

Du Figaro (Vox) :

«Non, nous ne pourrons pas provoquer délibérément la mort»: la tribune des médecins qui s’opposent à l’euthanasie

FIGAROVOX/TRIBUNE - La proposition de loi visant à créer un droit à l’euthanasie doit être débattue jeudi à l’Assemblée nationale. Dans une tribune, 71 médecins s’opposent à cette pratique, jugeant qu’elle s’oppose au serment d’Hippocrate.

La peur de la mort constitue l’un des piliers ontologiques de la condition humaine, mortelle. Combien de peurs rencontrées, bravées, combattues, dépassées au cours d’une existence humaine jusqu’à cette ultime peur, la peur de mourir*: peur de l’inconnu, peur du non maîtrisable, peur de l’anéantissement, mais surtout peur de la douleur, peur de la souffrance, peur de la dépendance, peur de l’asphyxie, peur de la solitude, de l’isolement… «Le pire ennemi du bonheur, ce n’est pas le malheur, c’est la peur. La peur de la mort qui crée la peur de vivre. La peur de souffrir qui engendre une souffrance plus grande encore.»**

Certains pensent conjurer cette peur par la légalisation d’une «mort librement choisie, médicalement assistée», d’une mort en fait provoquée, en d’autres termes une euthanasie, ou un suicide assisté. «Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde», affirmait Camus. Vous, promoteurs d’une telle loi, ayez au moins le courage, la franchise d’appeler les choses par leur nom.

Nous, médecins, attachés à la sagesse déontologique et morale hippocratique, disons NON.

NON, nous ne voulons pas abjurer notre serment professionnel.

NON, nous ne transgresserons pas l’interdit.

NON, nous ne pourrons pas provoquer délibérément la mort, la société dut-elle nous le demander. Provoquer la mort ne sera, pour nous, jamais un acte médicalement justifié. Soulager, oui. Tuer, non.

Saluons Hippocrate d’avoir assigné les médecins à cet interdit fondateur : « Tu ne tueras pas ».

Saluons l’intuition d’Hippocrate, près de 500 ans avant Jésus-Christ, d’avoir inscrit cet interdit dans le marbre de la déontologie médicale. Saluons Hippocrate d’avoir assigné les médecins à cet interdit fondateur: «Tu ne tueras pas». «Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion», disait le sage grec. «Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers instants, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort», tels sont les termes du Code de déontologie médicale (Article R.4127-38 du CSP) dont l’Ordre se fait le gardien et auquel nous voulons rester fidèles.

Saluons Hippocrate, par cet interdit, d’avoir poussé le génie humain à nous doter aujourd’hui de moyens considérables pour accompagner efficacement nos patients en situation de fin de vie. Nous avons aujourd’hui toutes les ressources pour lutter contre la douleur, la souffrance physique, morale et spirituelle, les troubles respiratoires, l’angoisse, la dépression de l’humeur, laissant à la personne elle-même et à son entourage le plus proche, la place prioritaire et irremplaçable qui lui revient au côté de celui qui achève ainsi dignement sa vie.

Nous nous interrogeons sur ce «libre choix» que les promoteurs feignent de circonscrire par un cadre strict, lequel a déjà volé en éclats dans les rares pays qui ont légalisé cette pratique. Liberté encadrée, donc limitée. Liberté qui s’exécute en s’exécutant, qui s’anéantit en s’accomplissant. Liberté qui contraindra des médecins à prescrire le traitement mortel, des pharmaciens à délivrer cet ultime «traitement», ces mêmes médecins à administrer cette mort. Une telle pratique est résolument contraire à notre mission, à notre déontologie, à notre vocation, à notre pratique, à notre serment professionnel. Nous ne nous en ferons même pas les complices par l’obligation - mais, décidément, où est la liberté dans cette loi? - d’adresser le requérant à un confrère plus complaisant.

La crise sanitaire que nous traversons a souligné, de façon ô combien douloureuse, cruelle parfois, l’insuffisance structurelle des moyens médicaux.

Légaliser l’euthanasie, c’est transgresser l’un des interdits fondateurs de la vie en société.

Légaliser l’euthanasie, c’est définitivement enterrer Hippocrate et la déontologie médicale.

Légaliser l’euthanasie, c’est abdiquer devant une adversité, certes redoutable et redoutée, mais qui fait la grandeur de l’homme qui s’engage à l’affronter. Ce combat, mené ensemble, fait l’honneur d’une société solidaire dans l’adversité, dans cette ultime étape que traverse l’un des siens.

Légaliser l’euthanasie, c’est renoncer à développer de nouveaux moyens de lutte contre toute forme de souffrance survenant en fin de vie***.

Légaliser l’euthanasie, c’est renoncer à doter les soignants et notre société des moyens de soutenir les plus vulnérables d’entre les siens.

Nous demandons, au contraire, d’investir massivement dans les moyens, humains notamment, de mener cet accompagnement par les soins, l’environnement et l’entourage les plus appropriés. La crise sanitaire que nous traversons a souligné, de façon ô combien douloureuse, cruelle parfois, l’insuffisance structurelle de ces moyens. Elle a aussi montré la détermination du corps médical et soignant à mener une lutte titanesque, pour défendre la vie des siens, parfois au péril de sa propre vie. Non, cette crise ne justifie en rien la légalisation de la mort provoquée, dont la revendication, en s’appuyant sur ce contexte, est proprement scandaleuse, indigne de notre «devoir d’humanité» (E. Hirsch) et de l’attente de la population. Tous les soignants doivent pouvoir s’approprier cette culture palliative réclamée depuis bientôt 50 ans par tous les promoteurs et artisans des soins palliatifs ; à l’hôpital, où meurent encore la plupart des citoyens ; comme dans leur lieu de vie, où la majorité d’entre eux souhaite pourtant finir ses jours.

C’est la voie dans laquelle nous souhaitons continuer d’exercer notre art médical, notre devoir citoyen, dans la liberté des moyens octroyés à cette fin. Il en va du respect inconditionnel de notre dignité humaine, de notre fraternelle solidarité.


*Les cavaliers, Joseph Kessel

«- J’ai poussé, peiné comme un démon. Ça m’a fait oublier ma crainte qui était bien grande.

- Et que craignais-tu tant? demanda le vieil homme.

- Mais de mourir, dit le forgeron.

- Il ne fallait pas, dit doucement le vieil homme.

- C’est facile à penser, répliqua le forgeron avec vivacité mais gentillesse, c’est facile quand on est, grand-père, aussi près de la mort que tu l’es.

- Moins près que toi mon fils, dit le vieillard. Car toi tu la redoutes.

- Comme tout le monde … s’écria le forgeron.

- En vérité, dit le vieillard. Et c’est dans cette grande peur - et dans elle seulement - qu’existe la mort des hommes.»

**Consolation, AD Julliand

***Rapport sur la fin de vie, M. de Hennezel, 2003

«Ce n’est pas une loi qui amendera les consciences, ni qui diminuera la solitude des médecins confrontés à des fins de vie difficiles. Par contre, on peut craindre qu’elle freine les efforts des soignants pour améliorer leurs pratiques, pour la penser, pour inventer une manière d’être humble et humaine auprès de ceux qu’on ne peut plus guérir.»


Docteur ANDRE Guillaume, pharmacien (85)

Docteur BERA Charles-Marie, biologie médicale (72)

Docteur BICHAT Luc, médecine générale (54)

Docteur BOREL Marine, diabétologie-endocrinologue (31)

Docteur CHARTIER-KASTLER Gabrielle, gynécologue obstétricien (69)

Docteur CHAUMONT Pierre-Louis, chirurgie orthopédique (68)

Docteur COFFIN Alexandre, radiologie interventionnelle (44)

Docteur COIGNARD Pauline, médecine physique et réadaptation (MPR) (56)

Docteur CORNETTE André, pneumologie (54)

Docteur COTTEREAU Jean, hepato-gastro-enterologue (53)

Docteur DANZE François, neurologue - MPR (62)

Docteur DE MISCAULT Godefroy, chirurgien pédiatrique viscéral (54)

Docteur DE ROECK Remi Médecine générale (37)

Docteur DE VITRY Axelle, dermatologie (54)

Docteur DEGENNE Guillaume, soins palliatifs - gériatrie (56)

Docteur DENOYEL Bénédicte, soins palliatifs (75)

Docteur DESJOYAUX Emmanuel, cardiologie (74)

Docteur DUCROCQ Hélène, neurologie (57)

Professeur DUCROCQ Xavier, neurologie (57)

Docteur FAURE Valérie, médecine générale (93)

Madame FURNARI Carmen, accompagnement en soins palliatifs (57)

Docteur GAISNE Étienne, chirurgien orthopédiste (44)

Docteur GALICHON Bertrand, urgentiste (75)

Docteur GOUDOT Damien, radiologie (53)

Docteur GOURJAULT Samuel, médecine générale, oncologie (79)

Professeur GRACIES Jean-Michel (MPR), rééducation neurolocomotrice (94)

Docteur GRASSIN Frédéric, pneumologie (56)

Docteur GROUILLE Dominique, soins palliatifs (87)

Docteur GUILLAUMIN Arnaud, médecine générale (92)

Docteur HENNEQUIN Laurent, radiologie (57)

Docteur HERRERO Gérard, médecine générale (92)

Docteur HIRSCHAUER Alain, médecine générale, soins palliatifs (56)

Docteur HULLAR Marjolaine, soins palliatifs (57)

Docteur INGHILLERI Paolo, anesthésie réanimation (21)

Docteur ISSELIN Agathe, médecine générale, soins palliatifs et médecine de la douleur (35)

Docteur JEANBLANC Bernard, cardiologue (67)

Docteur JUNGES-WAGNER Christel, neurologie (57)

Professeur LAFONT Antoine, cardiologie (75)

Docteur LAFONT Charlotte, médecine générale (00)

Docteur LAHALLE Denis, médecine générale (44)

Docteur LAIGLE Blandine, médecine générale (69)

Docteur LEHEUP Benoît, soins palliatifs (57)

Docteur MABILAIS François, médecine générale (27)

Docteur MARTY Arnaud, médecine physique et réadaptation (56)

Docteur MASSUS Isaline, médecine générale (72)

Docteur MATHIEU Marie-Emmanuelle, médecine générale (75)

Docteur MEURICE Marie, gériatrie (56)

Docteur MORIN Mathilde, médecine générale (séjour temporaire à l’étranger)

Docteur N’GUESSAN Christelle, médecine générale, gériatrie (79)

Docteur ONNEE Jean, médecine générale (79)

Docteur PAILLOT Beatrix, gériatrie

Docteur PASCAL Jean-François, gériatrie (56)

Docteur PELISSIER Amélie, médecine générale (78)

Docteur PERCIE DU SERT Quitterie, médecine générale (37)

Docteur PERRINE Lise, médecine générale (85)

Docteur POUSTIS Julia, médecine du travail (49)

Docteur RICHER Edwige, médecine physique et réadaptation (33)

Monsieur ROCHAT Simon, infirmier douleur, EMSP (57)

Docteur SAINTON Jérôme, médecine générale (51)

Docteur SARDIN Bertrand, anesthésie réanimation, soins palliatifs (87)

Docteur SCHIRA Mathilde, médecine générale (69)

Docteur SEYVE Nicolas, médecine Générale (54)

Docteur SIBOULET Bernard, médecine générale (44)

Monsieur SILVY François, interne en anesthésie-réanimation (76)

Docteur TESSON Hubert, soins palliatifs (13)

Docteur TESSON Claire, médecine Générale (13)

Docteur VAN OLDENEEL Laurence, gériatrie (49)

Professeur VESPIGNANI Hervé, neurologie (54)

Docteur VILLARD Jean-François, soins palliatifs (57)

Docteur WAGNER Marc, neurologie (57)

Docteur WILPOTTE Sylvie, médecine générale (79)

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