La stratégie du gouvernement belge face au coronavirus est-elle encore tenable ? (12/04/2021)

Des experts honorablement connus préconisent l’abandon de la méthode peu imaginative du « big stick », chère au ministre fédéral de la santé, le socialiste Frank Vandenbroucke, dont les cultes (entre autres) subissent la férule arbitraire exercée aussi, en l'occurrence, par le ministre libéral de la justice Vincent Van Quickenborne.

Après le plaidoyer de Bernard Rentier, recteur émérite de l’Ulg, une nouvelle salve pour un changement stratégique a été tirée ce week-end des 10-11 avril : par Yves Coppieters, professeur de santé publique à l’ULB , sous la forme d’un point de vue relaté dans la « Libre Belgique » par Marie Rigot et Jonas Legge . Cet extrait en donne le ton :

« (…) L’épidémiologiste de l’ULB estime que les autorités politiques doivent désormais cesser d’imposer des mesures fortes dans le but de marquer les esprits : ‘cette approche ne se défend pas en termes de santé publique. Cette prévention passive, axée sur le bâton, est très efficace lorsqu’on est pris au dépourvu en début d’épidémie. Mais on se rend compte à présent que cette stratégie qui consiste tout simplement à interdire des choses aux gens, ne fonctionne plus. Malheureusement, nos décideurs sont toujours dans cette vision de la peur, de l’angoisse du lendemain, qu’on peut comprendre sur le plan politique, mais pas sur le plan sanitaire’.

« Yves Coppieters regrette que ‘le gouvernement n’ait jamais exprimé de façon claire son objectif’, or -d’après lui- deux options sont possibles. ‘La première c’est de chercher une circulation très faible du Covid, quasiment équivalente à zéro. Les mesures actuelles tendent plutôt vers ce scénario. La deuxième est d’accepter de vivre avec le virus une fois qu’une certaine couverture vaccinale est atteinte

« Favorable à ce deuxième scénario, le professeur de santé publique estime que les politiques et experts officiels ne doivent pas envisager un retour à la vie normale uniquement sur la base du taux de vaccination.  ‘C’est de la com, ce n’est pas honnête sur le plan scientifique. Tout d’abord parce qu’on n’atteindra pas la couverture vaccinale de 80 à 90% de la population. Ensuite parce qu’on ne connaît pas l’efficacité des vaccins à long terme. Et, enfin, parce qu’on omet les autres stratégies, dont l’immunité déjà acquise par les Belges. Cette immunité qui fait suite à une infection est même potentiellement meilleure que celle fournie par le vaccin. Elle est certes de plus courte durée, mais elle est sans doute plus résistante face aux variants, dont le sud-africain et le brésilien. Ce qui n’est pas le cas des vaccins qui protègent, eux, contre la forme de base du coronavirus et contre le variant britannique’

« (…) D’après l’épidémiologiste, certains politiques ‘hautement placés’ voudraient revoir la stratégie du gouvernement actuel mais ‘ils sont craintifs, ils redoutent un retour de manivelle s’ils osent s’opposer aux paroles des experts officiels. Quelques politiques qui participent au Comité de concertation me téléphonent pour me dire qu’encore actuellement ils se sentent coincés par ces experts’ […] »

Et comme en écho, aujourd’hui même, d’autres épidémiologistes respectés sont sortis du bois en signant une carte blanche conjointe que publiée ce lundi 12 avril le journal quotidien « Le Soir » : il s’agit de Nathan Clumeck , professeur en maladies infectieuses (ULB), Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie (ULB)  et Leila Belkhir, infectiologue (Cliniques universitaires Saint-Luc). Extrait :

« A court terme, le report éventuel de l’ouverture de différents secteurs en raison d’un taux d’occupation des soins intensifs encore trop élevé va venir se heurter de plein fouet à une résistance de plus en plus organisée et déterminée à s’affranchir des mesures par des professions à bout de souffle et par des segments de la population en mal-être psychologique, social ou économique. Qu’on en juge : les théâtres expriment leur exaspération par des occupations qui s’étendent, certains dans l’horeca annoncent une ouverture au 1er mai quelles que soient les décisions gouvernementales, des rassemblements festifs s’organisent plus ou moins spontanément dans plusieurs villes. Il suffit également de se rendre dans des lieux touristiques et/ou publics pour se rendre compte de la très relative application de la distanciation physique et/ou du port correct du masque sans parler de la bulle sociale limitée à une personne, impossible à contrôler et dont l’application se délite complètement. Face à cette situation, le risque est grand d’une escalade dans la répression de la part des autorités qui persisteraient à appliquer les mêmes mesures indistinctes.

Une stratégie « zéro covid » non envisageable en Belgique

A long terme, la stratégie centrée sur la vaccination des personnes à risque et qui considère qu’il faut tenir avec les dispositifs actuels pour pouvoir reprendre une vie « normale » dès qu’une part suffisante de la population aura été vaccinée présente de nombreux risques. La conséquence des dynamiques évolutives qui conditionnent l’apparition et la propagation de différents variants résistants aux vaccins reste encore très difficile à prévoir. En outre, la recherche d’une couverture vaccinale suffisante pour empêcher la transmission dans la population risque de se heurter à l’hésitation vaccinale, en particulier dans les groupes d’âge où la balance bénéfice/risque sera plus faible. Une stratégie « zéro covid », comme celle appliquée par certains pays, ne semble pas envisageable à l’échelle de la Belgique, en raison de notre situation géographique et de notre économie ouverte. En tout état de cause, et malgré la vaccination, les risques de reprises épidémiques, en particulier lors de l’automne et de l’hiver prochain, ne peuvent être ignorés.

Alors que faire ?

Il y a aujourd’hui un large consensus pour reconnaître la transmission aérogène par des patients porteurs de charges virales élevées est le mode majeur de transmission, et ce particulièrement dans des lieux non ou mal ventilés avec absence ou malposition d’un masque efficace. Ces personnes à charge virale élevée peuvent être asymptomatiques ou pré-symptomatiques et peuvent maintenant être dépistées par des tests rapides antigéniques ou par des autotests dont la généralisation et l’accessibilité ne semblent plus limitantes.

L’approche secteur par secteur qui a pu se justifier dans l’urgence du premier déconfinement montre aujourd’hui ses limites. Il y a aujourd’hui bien plus de différences entre les situations épidémiologiques au sein d’un même secteur qu’entre eux. Tant dans le secteur de l’horeca que dans le secteur culturel ou celui des métiers de contact, il est possible d’adapter les lieux et les protocoles de manière à permettre une réduction considérable des risques de transmission. En outre, la logique de réglementation par secteur alimente à la fois une stigmatisation des métiers concernés, une opposition de certains secteurs par rapport à d’autres ainsi qu’un marchandage politique permanent et délétère pour la confiance que peut avoir la population dans le bien-fondé des mesures. Le problème, ce ne sont pas les restaurants, les coiffeurs, les salles de spectacle ou les étudiants. Le problème, ce sont les situations où un grand nombre de personnes parlent sans masque dans un lieu mal ventilé.

Un risque résiduel parfaitement acceptable

Or, il y a des parallèles évidents. Les incendies, aussi dramatiques soient-ils, ont un impact extrêmement limité en santé publique. Pourtant, il n’est pas possible en Belgique d’ouvrir un lieu public sans que celui-ci ait fait l’objet d’un examen minutieux du point de vue de la sécurité incendie, et les propriétaires savent bien qu’il n’y a pas lieu de transiger avec ce risque-là.

Dispositifs de ventilation, dispositifs de désinfection de l’air, filtres EPA, détecteurs CO2, protocoles de circulation : tous ces moyens existent et devraient être mobilisés pour contribuer à faire de nos lieux publics des endroits où la transmission peut être réduite à un risque résiduel parfaitement acceptable, quitte à les compléter par des protocoles additionnels comme le port du masque ou l’utilisation de tests pendant des périodes sensibles. Les communes pourraient être investies de la responsabilité de conseiller, soutenir et vérifier la conformité « covid safe » des lieux publics. La même démarche devrait être entreprise dans les entreprises publiques ou privées. Des normes existent et sont édictées par le Conseil supérieur de la santé dans de nombreux domaines. Elles devraient être appliquées avec pédagogie et avec un soutien financier éventuel de l’Etat. Il est probablement nettement moins coûteux pour les dépenses publiques de soutenir ces investissements que de payer des subsides pour fermeture ou chômage partiel des activités dites non essentielles auxquelles de nouvelles résurgences épidémiques pourraient nous exposer.

Vivre « malgré le virus »

Nous avons également aujourd’hui les moyens de définir le risque relatif de toute activité professionnelle ou de loisir en fonction de son contexte, de son lieu, des caractéristiques de ventilation et de sa durée. Pour une activité en plein air, avec port de masque, le risque peut être considéré comme négligeable. Dans une salle de spectacle, de cinéma, de lieu de culte, de réunion, de sport, le risque relatif est faible avec le port du masque, la distanciation sociale et une ventilation adéquate. Ce risque peut être encore mieux réduit par l’utilisation de tests ou, dans certaines circonstances, par l’utilisation de certificats de vaccination. Quantifier les risques de différentes activités en fonction de leur contexte précis permettrait d’adapter beaucoup plus finement les limites et interdictions si par malheur une reprise épidémique devait un jour les justifier.

Il ne s’agit pas ici de prôner un « vivre avec le virus », mais « malgré le virus ». On ne « vit » pas avec un virus dangereux. Il s’agit de réduire les risques de transmission de manière beaucoup plus ciblée et d’accepter un risque résiduel comme nous l’avons toujours fait dans d’autres domaines, comme celui de la sécurité routière ou de l’incendie. Oui, cette diminution du risque nécessite des investissements humains et matériels. Mais il s’agirait ici d’investissements stratégiques qui s’inscrivent dans une vision à long terme contre ce virus et d’autres éventuels virus émergents. Il est temps de quitter l’approche sectorielle qui ne valorise pas pleinement les instruments conceptuels et techniques dont nous disposons aujourd’hui pour lutter contre la transmission de ce virus. »

Ref. La carte blanche de trois experts: «Il est temps d’adapter notre stratégie»

Adde 13.04. 21 : des voix issues de tous les partis francophones ont déjà réagi favorablement à cette piste qualifiée de « sérieuse » et « vraiment pertinente ». Parmi ces soutiens, les plus significatifs sont ceux de Paul Magnette, Willy Borsus et Sophie Wilmès. A suivre…

JPSC

 

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