Ramadan : la marque Evian cède au chantage à l’islamophobie; un fait symptomatique (15/04/2021)

De Mathieu Slama sur le Figaro Vox :

Ramadan: «Quand la marque Evian cède au chantage à l’islamophobie»

14 avril 2021

FIGAROVOX/TRIBUNE - La marque Evian a suscité une levée de boucliers en partageant un message sur les réseaux sociaux incitant à boire de l’eau. Publié le premier jour de Ramadan, il a été jugé islamophobe. La marque s’en est excusée. Pour Mathieu Slama, cette polémique est symptomatique du renoncement face au nouvel intégrisme qui menace nos sociétés.


Les polémiques sur les réseaux sociaux se succèdent, se ressemblent, mais il y en a qui méritent qu’on s’y attarde tant elles sont révélatrices de l’état d’esprit d’une époque.

La marque Evian a publié mardi matin le tweet suivant: «RT (retweetez) si vous avez déjà bu 1L aujourd’hui». Un tweet a priori anodin, mais c’était sans compter certains utilisateurs du réseau social qui se sont offusqués du manque de sensibilité du tweet qui serait provocant à l’égard des musulmans pratiquants, dans le contexte particulier du premier jour du Ramadan. «Mauvais timing», «ce tweet est islamophobe», «honte au community manager d’Evian»: voilà en substance certaines réactions qu’on pouvait lire sous le tweet d’Evian.

On aurait pu penser que l’histoire s’arrêterait là, mais non: sous la pression, Evian publie un nouveau tweet quelques heures plus tard, s’excusant de la «maladresse» du tweet initial: «Bonsoir, ici la team Evian, désolée pour la maladresse de ce tweet qui n’appelle à aucune provocation!»

Cette polémique - et la manière dont Evian a réagi - dit plusieurs choses de l’état de notre débat public et de notre faillite collective face au retour du religieux et à l’entrisme de la religion musulmane.

La première chose est que les marques sont désormais soumises, au même titre que les politiques, à une pression de plus en plus grande des minorités et adaptent leur communication en conséquence. On se rappelle d’un séminaire du groupe Coca-Cola aux États-Unis durant lequel il était demandé aux personnes blanches de mieux s’éduquer aux problématiques racistes et d’écouter davantage les personnes «racisées», reprenant toute l’idéologie et les terminologie des militants woke. Récemment, c’était la chanteuse et entrepreneuse Rihanna qui devait s’excuser publiquement après que sa marque avait utilisé des musiques religieuses arabes lors d’un événement. Qu’elles s’excusent ou qu’elles s’engagent, toutes ces marques croient faire de la politique alors qu’elles se soumettent, en réalité, à la logique de marché qui consiste à flatter les sensibilités communautaires pour préserver leur business. Une polémique sur des sujets communautaires peut coûter gros financièrement. Les marques veulent donc s’afficher progressistes et «woke», même si cela les amène à défendre des idées qui sont dangereuses d’un point de vue démocratique. Evian s’est excusé parce qu’ils ont pris peur face à une possible action de boycott par des musulmans, et que leur agence de communication s’est inquiétée des possibles répercussions de la polémique en termes d’image. Les marques se convertissent en masse à cette nouvelle religion «woke», profitant même de ce tournant pour afficher leur vertu et faire de la communication à peu de frais. Le capitalisme a parfaitement digéré et intégré les valeurs «woke», ce qui prouve d’ailleurs leur absence totale de subversion. Mais c’est un autre sujet.

On exige d’Evian – et des autres marques ou institutions – de prendre en compte, dans leur communication, les spécificités religieuses d’une communauté.

La seconde leçon de cette polémique est dans ce qu’elle dit de notre rapport au religieux et de la manière dont la laïcité est aujourd’hui menacée de toute part, en particulier face à un entrisme islamiste qui nie à peu près l’intégralité des valeurs héritées de notre culture libérale. Au nom du respect dû à une religion, nous devrions renoncer à certaines libertés. Au nom de ce respect, nous devrions accepter des limites à la liberté pour satisfaire certaines sensibilités. Au nom du respect, nous devrions renoncer aux valeurs essentielles qui fondent notre pays. C’est au nom de ce même «respect» qu’on a exigé de Charlie Hebdo qu’ils cessent de publier les caricatures de Mahomet, accusées de stigmatiser la communauté musulmane, alors que c’est justement ce refus des caricatures qui est stigmatisante car une preuve d’intolérance absolue face à la liberté d’expression et de critiquer. De quoi est donc accusé Evian? d’avoir manqué de considération pour une communauté, et d’avoir commis un quasi-blasphème en négligeant l’importance du ramadan pour les musulmans pratiquants. Autrement dit, on exige d’Evian - et des autres marques ou institutions - de prendre en compte, dans leur communication, les spécificités religieuses d’une communauté. Comment ne pas voir, dans cette injonction, une pente extrêmement dangereuse pour notre démocratie? Car il s’agit bien de modifier en profondeur notre rapport aux religions et aux communautés: ce ne sont plus elles qui s’adaptent à notre modèle de société, mais notre modèle de société qui doit s’adapter à elles. La France ne doit en aucun cas céder aux exigences de ces nouveaux puritains. Elle ne doit pas céder aux injonctions au «respect» de telle ou telle religion. Ou alors on entérine le fait qu’on change de modèle et qu’on entre dans un système anglo-saxon où le religieux et le communautaire prennent une place prépondérante au sein de la société, et où les libertés fondamentales sont limitées au regard de l’exigence de respect et de considération. Ce serait une régression épouvantable.

C’est la troisième leçon de cette polémique: la montée en puissance, en France, d’une approche anglo-saxonne de la liberté d’expression, où celle-ci est conditionnée au respect de telle ou telle minorité. C’est ce qu’on appelle la «cancel culture», ou culture de l’annulation, qui suppose l’interdiction de tout propos qui offenserait une communauté ou une minorité. Si Evian a posté ce tweet d’excuse, c’est par peur des appels au boycott et pour ne pas nuire à son image d’entreprise responsable et progressiste. Autrement dit, elle a anticipé et intégré la possibilité du boycott, car c’est devenu la norme aujourd’hui, en particulier sur les réseaux sociaux. Peu importe que ces appels viennent d’une toute petite minorité: ils trouvent une caisse de résonnance immense sur les réseaux sociaux et à travers l’activisme de militants puritains qui passent leur vie à traquer les inconvenants au nouveau politiquement correct «woke». Gare à celui qui est accusé de racisme ou d’offense envers une minorité: il ne s’en relèvera pas. La cancel culture, ce produit d’une culture anglo-saxonne puritaine et intolérante, détruit des carrières et des entreprises à mesure qu’elle étend son emprise. Tout cela au mépris des libertés les plus élémentaires, et de principes démocratiques que l’on croyait naïvement sanctuarisés - comme la liberté d’expression ou l’importance du débat contradictoire.

Si Evian a posté ce tweet d’excuse, c’est par peur des appels au boycott et pour ne pas nuire à son image d’entreprise responsable et progressiste.

La quatrième leçon de ce fiasco est liée à l’émergence, au sein du monde occidental, d’une culture islamique dont certains représentants refusent les valeurs libérales propres à l’Occident - et c’est tout particulièrement le cas en France. A-t-on vu des catholiques s’offusquer de la communication sur la viande de certaines enseignes le vendredi saint? Évidemment, non. Il y a donc un conflit de valeurs décisif qui se joue derrière ces polémiques en apparence anodines. L’acceptation du blasphème, de la critique d’une religion (même excessive), de l’égalité hommes-femmes sont des enjeux que l’on pensait résolu et qui se retrouvent, aujourd’hui, remis en question à la faveur de la montée de l’islamisme dans l’espace public. Pire encore, une partie de la gauche, qui utilise de manière politique la notion d’islamophobie, est devenue au fil des années, complice de cet incroyable recul des libertés, au nom, encore une fois, du respect d’une communauté.

La polémique autour du tweet d’Evian est donc tout sauf anecdotique. Elle dit tout de nos renoncements face à un nouvel intégrisme qui voudrait nous imposer, au nom du «respect», des normes et des principes contraires à nos valeurs et à notre culture libérales. Il ne faut rien céder à cette nouvelle intolérance et, plus que jamais, défendre agressivement les valeurs qui fondent notre société, c’est-à-dire la liberté d’expression et la liberté de heurter les croyances, quelles qu’elles soient. Si on cède là-dessus, on aura tout perdu.

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