Pour changer notre regard sur la messe et y participer de l'intérieur (18/04/2021)

De XA sur le Forum catholique :

L’abbé Guillaume de Tanoüarn, rédacteur en chef de Monde & Vie, vient de publier chez Via Romana un nouveau livre intitulé Méditations sur la messe.

Pour Monde & Vie, Dominique Molitor a interrogé l'abbé de Tanoüarn. Je publie ci-dessous cet entretien avec l'aimable autorisation de l'ensemble des protagonistes.

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Sur l’aventure spirituelle - Monde & Vie du 10 avril 2021 - pp. 38 et 39

L’abbé Guillaume de Tanoüarn, rédacteur en chef de notre magazine, vient de publier un nouveau livre intitulé Méditations sur la messe. Loin des soubresauts de l’actualité, il nous emmène au cœur de notre destinée, là où le Christ nous rattache à Dieu – si nous le voulons !. ››› Propos recueillis par Dominique Molitor

Vous publiez aux éditions Via romana un nouveau livre intitulé Méditations sur la messe. Pouvez-vous nous préciser les circonstances et le contexte de ce travail que rien n’annonçait dans vos œuvres antérieures ?

Je crois que je n’aurais jamais osé me lancer dans la rédaction d’un tel livre sans le confinement. Ce sont les circonstances du premier confinement, souvenez-vous, les églises fermées ; l’absence totale de messe en présence de peuple, et cet ordre péremptoire de nos autorités : « restez chez vous », voilà ce qui m’a décidé à parler de cette messe à laquelle on ne pouvait plus assister. Il se trouve que j’avais donné un cours sur ce sujet l’année précédente au Centre Saint Paul. Confiné à Saumur, dans ses beaux paysages dont la Loire a le secret, je n’avais pas ma bibliothèque : impossible d’aborder un sujet d’érudition ! Restait, dans le grand calme du confinement, à méditer. Qu’est-ce que la méditation ? Un regard particulièrement intense de l’esprit, animé par une volonté de comprendre dans laquelle se cache tout l’amour du monde. Le terme de cette volonté de comprendre, comme le dit bien Descartes, est l’évidence. Saint Ignace, dans ses célèbres Exercices spirituels, explique que l’on va de la méditation à la contemplation. La méditation n’est pas un détour, elle est la base dont il faut partir pour aller vers l’évidence contemplée. Dans nos vies, la foi recouvre ainsi tout ce que l’on fait avec évidence. Il m’a semblé que je devais partager cette évidence du rite latin, qui est, d’abord et avant tout l’évidence du sacré. Cela fait plus de trente ans que je suis prêtre, et la prière qui mobilise toutes les forces de mon esprit, c’est encore la messe. Or il y a tant de fidèles pour lesquels, à l’inverse, la messe est un long ennui, que l’on n’éprouve que par devoir ou par habitude ! J’ai voulu donner aux chrétiens, à travers ce petit livre, le goût d’une véritable méditation sur la messe. Qu’est-ce que la messe ? Il s’agit en réalité d’une initiation au Mystère chrétien lui-même.

Vous étiez donc tel un ermite, mais nous précisez-vous d’emblée, vous aviez des compagnons de route… ?

Certains sujets, je les ai tournés et retournés dans mon esprit et je garde précieusement telle ouverture, tel trait de lumière, telle émotion aussi, comme renfermant un savoir précieux et non une science gratuite. C’est en ce sens que j’évoque au début de ce livre mes compagnons de route. Je n’ai pas la prétention d’avoir écrit une œuvre scientifique sur la messe. Il me manque trop de références. Mais je garde précieusement toutes celles que j’ai citées dans cet ouvrage. Pas besoin d’une bibliothèque pour l’écrire. Quelques livres suffisaient, des livres lus et relus, des auteurs qui sont comme des compagnons, des thèmes récurrents et, entre tous, outre le thème de la messe elle-même, de l’origine et de la signification des prières qui y sont dites, le thème du sacrifice, dans toutes ses dimensions : liturgiques, théologiques, mais aussi anthropologiques, métaphysiques, spirituelles, c’est-à-dire simplement quotidiennes, car le sacrifice fait forcément irruption dans la vie de chacun, qu’on ait cherché ou non à l’y inviter. Mes compagnons de route ont tous été touchés par cette grande question de l’acte sacré et de la présence de Dieu à travers la terrible présence du mal, la présence d’un Dieu qui seul est sauveur du mal. Outre Thomas d’Aquin et l’étonnant article de la Somme théologique sur le sacrifice, il y a Cajétan, en réponse aux protestants, il y a Joseph de Maistre, en réponse à la Révolution française, il y a enfin René Girard, inépuisable source de réflexion sur la violence et le sacré, c’est-à-dire sur le sacrifice. J’en oublie la merveilleuse école française de spiritualité, en particulier un petit livre du Père de Condren sur L’idée de sacerdoce et de sacrifice, co-écrit au cours du siècle dix-septième avec le célèbre janséniste Pasquier Quesnel. Ces gens m’ont nourri et m’ont donné ce que je tente de rendre aux lecteurs d’aujourd’hui. Je voudrais aussi, puisque vous parlez de compagnons de route, rendre hommage à Mgr Guérard des Lauriers et à l’originalité de son approche de la notion de sacrifice, au sein de la messe elle-même.

Vous avez laissé de côté certains développements sur le texte de la messe. Selon quel arbitrage ?

J’ai dû écarter un certain nombre de méditation, en particulier celles qui portaient sur l’ensemble du psaume 42, récité au cours des prières au bas de l’autel. Je n’ai pas commenté non plus le dernier évangile, prologue de saint Jean, parce que l’éditeur m’a demandé de faire court pour que ce livre soit un petit livre de poche au prix très accessible (12 euros). Je n’ai pas commenté non plus la prière à la Vierge, qui est partie intégrante du rituel, avec une grande portée théologique. Peut-être ces trois textes peuvent-ils donner l’occasion d’une réédition « à part ». Je le souhaiterais. Mais je remercie mon éditeur de ce beau petit livre, qui, tel qu’il est, centre la méditation du lecteur sur la messe comme sacrifice. Éviter ces grands textes, le psaume 42, le chapitre 1 de l’Évangile selon saint Jean et le Je vous salue Marie final, c’est permettre au regard du lecteur attentif de se centrer sans distraction sur l’eucharistie, qui est le sacrifice du Christ.

Contrairement à l’usage qui, au catéchisme par exemple, va du sacrement au sacrifice, il semble que vous retenez l’ordre inverse, selon le titre d’une de vos méditations : Du sacrifice au sacrement. Comment expliquez-vous ce renversement ?

Pour le comprendre, il faut se reporter au contexte de ces jours terribles, il faut revenir au lien étroit entre le premier Jeudi et le premier Vendredi saint. Le Jeudi saint, jour de l’invention de la première messe, Jésus explique ce qui va se passer le lendemain et il l’accomplit, par le geste et la parole, en prenant du pain et du vin et en disant « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». C’est la première messe, en mémoire de laquelle se célèbrent toutes les messes jusqu’aujourd’hui. Et c’est déjà le sacrifice, selon un mode non sanglant, mais qui représente pour le Christ un engagement décisif qui est son testament sur la terre : novi et aeterni testamenti. La première messe, celle qui a le Christ non seulement pour acteur mais pour inventeur est essentiellement un sacrifice, le sacrifice unique, le sacrifice éternel, indéfiniment reproductible sous ce mode sacramentel dans l’espace/temps. Le sacrement, quant à lui, désigne seulement le mode de réalisation de l’eucharistie. Mais s’il y a présence réelle dans le sacrement, c’est que le Christ se fait hostie sous nos yeux, appliquant les effets de salut de son sacrifice à tous ceux qui le veulent. Il suffit de le vouloir !

Vous ne cachez pas une préférence claire pour l’ancienne liturgie. Êtes-vous allé jusqu’à vous censurer pour ménager les susceptibilités des catholiques ayant fait d’autres choix liturgiques que les vôtres ?

Non, pas d’autocensure ! Ce livre, si Dieu me prête vie éternelle, c’est celui que je prendrai sous le bras pour frapper à la porte de saint Pierre, ce n’est certainement pas en l’écrivant que je vais retenir quoi que ce soit au nom de je ne sais quelle stratégie mondaine. Je me réfère uniquement à la tradition latine, parce qu’elle constitue me semble-t-il l’étalon, et la mesure produite par des siècles de foi, de tout ce qui a pu se faire dans la deuxième moitié du xxe siècle au nom des experts, de leur expertise, et de leurs improvisations. Mais à aucun moment je n’organise une confrontation ordonnée des deux formes et de ce qui manque à l’une ou à l’autre. Il m’arrive simplement, parce que ces deux rites ont cours sur la même planète, de faire une allusion, souvent dépréciative c’est vrai, mais parfois positive, à la nouvelle forme du rite romain.

Le commentaire de cette partie de la messe que l’on appelle l’offertoire occupe une place majeure au cœur de votre méditation. Je lis sous votre plume qu’« à l’offertoire, le mélange de l’eau et du vin est le signe de cette destinée éternelle que Dieu partage avec les hommes ». Pouvez-vous développer ce point ?

L’Offertoire renvoie, sous une forme mystérique ou figurative, à l’ensemble de la foi chrétienne. Ainsi la goutte d’eau qui se mêle au vin évoque la fusion sans confusion qui s’effectuera entre Dieu et nous de l’autre côté du voile. Quant au pain et au vin pris en eux-mêmes, non encore consacrés, ils signifient le sacrifice de l’homme, comme dit Mgr Guérard des Lauriers, ce sacrifice modeste, en lui-même de peu de prix, notre sacrifice intérieur, qui va se fondre dans le sacrifice du Christ, pour en prendre, miraculeusement, toute la valeur. La messe tout entière est l’histoire de cette transformation du sacrifice de l’homme dans le sacrifice du Fils de l’Homme.

À qui souhaitez-vous dédier ce livre, qui, contrairement à tous vos autres ouvrages, n’est dédié à personne en particulier ?

Je voudrais dédier ce livre à tous ceux qui le liront au point que leur regard sur la messe change, au point que leur manière d’y assister devienne une manière d’y participer de l’intérieur.

› Abbé Guillaume de Tanoüarn, Méditations sur la messe, éd. Via Romana, 320 p., 12 €.
› Site de Monde & Vie : www.monde-vie.com

Pour commander le livre directement chez Via Romana, cliquez ici.



Prêtre de l’Institut du Bon Pasteur et fondateur du Centre Saint-Paul en 2005, l'abbé Guillaume de Tanoüarn est docteur en philosophie. Il a notamment publié Jonas ou le désir absent chez Via Romana en 2009 et Le Prix de la fraternité chez Tallandier en 2018.

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