Le chapitre sur Boko Haram et sur son extension géographique au Nord-Est du Nigéria à la région du lac Tchad est particulièrement intéressant. Mais nous limiterons à focaliser notre attention sur cet « Afghanistan du Sahel » – selon les termes de l’auteur – qui s’étend du Mali aux pays limitrophes, le Niger et le Burkina Faso.
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Tout commence par une histoire de sécession. Les clans semi-nomades qui habitent entre le Mali au Nord de Tombouctou veulent échapper au contrôle de la capitale Bamako, qui ne fait pas beaucoup d’efforts de son côté pour les retenir, notamment à cause d’un mépris atavique pour ces tribus.
Mais en 2007, la principale faction sécessioniste change son nom en « Al-Qaïda au Maghreb Islamique », AQMI, et devient membre du plus terrible réseau jihadiste mondial de l’époque, sous la pression de son propre chef suprême, Oussama Ben Laden.
Après la chute du régime de Kadafi en Libye en 2011, les milices touareg qui l’avaient soutenu rentrent au Mali et transforment leurs velléités sécessionistes en guerre ouverte en s’alliant avec les islamistes radicaux de l’AQMI et avec une autre formation jihadiste, Ansar Dine, ou « les défenseurs de la religion ». Les islamistes, mieux armés et organisés, prennent rapidement le contrôle – également idéologique – de l’offensive et, en 2012, ils prennent tout le Nord du pays, dont les villes de Tombouctou, de Gao et de Kidal.
Et il ne s’agit pas seulement d’une domination territoriale. Les informations et les images de mains amputées aux voleurs, d’adultères lapidés, de décapitations publiques, de femmes obligées à porter le voile intégral, de bibliothèques dévastées et de tombes de saints musulmans détruites font alors le tour du monde.
Une contre-offensive menée avec l’appui décisif de la France et du Tchad permet de reconquérir Tombouctou et d’autres villes en 2013, pendant que les clans touareg sécessionnistes se font la guerre pour des parties de territoire. Mais les formations djihadistes sont très loin d’avoir été vaincues.
Au Nord et au centre du Mali, le GSIM, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, toujours sous la houlette de l’insaisissable et charismatique leader Iyad ad Ghali, un targui issu d’une lignée noble, qui avait déjà fondé Ansar Dine, doté d’un talent pour la politique et pour la guérilla et converti à un islam radical par des prédicateurs arabes et pakistanais.
Plus au Sud, en revanche, au-delà les frontières poreuses entre Mali, Niger et Burkina Faso, c’est le terrain d’opération de l’ISWAP, l’État islamique d’Afrique de l’Ouest.
Le premier appartient à la galaxie d’Al-Qaïda, alors que le second se revendique du néo-califat fondé par Al Baghdadi. Et beaucoup de choses les séparent, au point de générer des conflits armés entre les deux formations, avec des centaines de victimes, malgré la séparation géographique.
Voici comment Mario Giro les distingue :
« Les premiers sont des jihadistes salafistes, c’est-à-dire qu’ils ne considèrent comme apostats que les leaders des États musulmans qui ne suivent pas leur vision de l’Islam, mais pas la population. Les seconds, en revanche, sont takfiristes, c’est-à-dire qu’ils considèrent que le peuple lui aussi est apostat et qu’il faut le condamner. Il est donc permis de tuer tuer les civils. Ils sont en outre férocement anti-chiites tandis qu’Al-Quaïda ne l’est pas. Salafiste vient de l’arabe ‘Salaf’, ancien, c’est-à-dire la religion des pères de l’âge d’or. Salafistes et takfiristes représentent les deux ailes du djihadisme contemporain, de l’arabe ‘jihad’, guerre sainte ».
En février 2017, une religieuse colombienne, sœur Gloria Argoti, est enlevée, et son est toujours incertain depuis qu’une vidéo de janvier 2019 l’a montrée en vie.
Une nouvelle contre-offensive lancée en 2019, toujours avec des troupes françaises, reste sans effet. Au contraire, à Bamako, les coups d’État militaires s’enchaînent. Le dernier d’entre eux, en 2020, est piloté par l’imam Dicko, l’ancien président du conseil des oulémas qui professe une application rigoriste de la loi islamique, comme dans une course à qui sera le plus radical.
En bref, Giro conclut : « Tout le Sahel est contaminé par une présence djihadiste endémique, qui a su mêler ses revendications idéologiques – la pureté islamique – avec celles des tribus locale ». Tant et si bien que les tribus du Nord ont manifesté leur appréciation de la capacité de commandement et de l’absence de corruption des djihadistes : tout le contraire de la mauvaise gouvernance de la capitale honnie.
Mais ce n’est pas tout. L’auteur des « Guerres noires » ajoute encore : « La crise du Mali est devenue un péril pour l’Europe : une sorte d’Afghanistan beaucoup plus proche. Le conflit nous montre que la nouvelle frontière de l’Italie et de l’Europe s’est déplacée plus au sud des côtes méditerranéennes, là où la guerre fait rage et où passent les routes des trafiquants d’êtres humains et des trafiquants armes. »
C’est ça aussi, l’islam. Il serait bon qu’on en prenne bonne note au Vatican.
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La photo ci-dessus n’a pas été prise au Sahel mais dans la péninsule du Sinaï, il s’agit du martyre d’un commerçant copte réputé, Nabil Habaski Khadim, enlevé le 8 novembre dernier et coupable d’avoir financé la construction d’une église dans la ville égyptienne de Bir Al Abd. Elle a été diffusée le 19 avril par l’État islamique et témoigne des méthodes utilisées par les groupes jihadistes actifs dans le monde entier.